Jean de la Fontaine
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Re: Jean de la Fontaine
Un Fou et un Sage (1)
Certain Fou poursuivait à coups de pierre un Sage.
Le Sage se retourne, et lui dit : Mon ami,
C'est fort bien fait à toi, reçois cet écu-ci :
Tu fatigues assez pour gagner davantage.
Toute peine, dit-on, est digne de loyer.
Vois cet homme qui passe, il a de quoi payer :
Adresse-lui tes dons, ils auront leur salaire.
Amorcé par le gain, notre Fou s'en va faire
Même insulte à l'autre Bourgeois.
On ne le paya pas en argent cette fois.
Maint Estafier (2) accourt : on vous happe notre homme,
On vous l'échine, (3) on vous l'assomme.
Auprès des Rois il est de pareils Fous :
A vos dépens ils font rire le Maître.
Pour réprimer leur babil, irez-vous
Les maltraiter ? Vous n'êtes pas peut-être
Assez puissant. Il faut les engager
A s'adresser à qui peut se venger.
Le Sage se retourne, et lui dit : Mon ami,
C'est fort bien fait à toi, reçois cet écu-ci :
Tu fatigues assez pour gagner davantage.
Toute peine, dit-on, est digne de loyer.
Vois cet homme qui passe, il a de quoi payer :
Adresse-lui tes dons, ils auront leur salaire.
Amorcé par le gain, notre Fou s'en va faire
Même insulte à l'autre Bourgeois.
On ne le paya pas en argent cette fois.
Maint Estafier (2) accourt : on vous happe notre homme,
On vous l'échine, (3) on vous l'assomme.
Auprès des Rois il est de pareils Fous :
A vos dépens ils font rire le Maître.
Pour réprimer leur babil, irez-vous
Les maltraiter ? Vous n'êtes pas peut-être
Assez puissant. Il faut les engager
A s'adresser à qui peut se venger.
La source de cette fable est Phèdre (III,5),
Une note manuscrite, trouvée par Walckenaer,
précise que cette fable aurait été faite contre
le sieur abbé Du Plessis, une espèce de fou sérieux, qui s'était mis sur le pied de censurer à la cour les ecclésiastiques et même les évêques, et
que M. l'archevêque de Reims fit bien châtier.
"Ce fou n'est plus un innocent mais un méchant. Et ce méchant n'est pas comme chez Phèdre, un simple passant : on le rencontre auprès des rois, c'est un de ces concentrés d'ambition, de haine et de brutalité qu'attire à lui le pouvoir politique." (Fables, M. Fumaroli, éd. La pochothèque, p.999)
(1) au XVIIème, sage signifie généralement "modéré, maître de ses passions"
(2) valet de pied qui suit un homme à cheval, qui lui tient l'étrier (Furetière)
(3) on lui rompt l'échine, on l'assome
Une note manuscrite, trouvée par Walckenaer,
précise que cette fable aurait été faite contre
le sieur abbé Du Plessis, une espèce de fou sérieux, qui s'était mis sur le pied de censurer à la cour les ecclésiastiques et même les évêques, et
que M. l'archevêque de Reims fit bien châtier.
"Ce fou n'est plus un innocent mais un méchant. Et ce méchant n'est pas comme chez Phèdre, un simple passant : on le rencontre auprès des rois, c'est un de ces concentrés d'ambition, de haine et de brutalité qu'attire à lui le pouvoir politique." (Fables, M. Fumaroli, éd. La pochothèque, p.999)
(1) au XVIIème, sage signifie généralement "modéré, maître de ses passions"
(2) valet de pied qui suit un homme à cheval, qui lui tient l'étrier (Furetière)
(3) on lui rompt l'échine, on l'assome
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Re: Jean de la Fontaine
Le Fou qui vend la sagesse
Jamais auprès des fous ne te mets à portée :
Je ne te puis donner un plus sage conseil.
Il n'est enseignement pareil
À celui-là de fuir une tête éventée (1).
On en voit souvent dans les cours :
Le Prince y prend plaisir ; car ils donnent toujours
Quelque trait (2) aux fripons, aux sots, aux ridicules.
Un Fol allait criant par tous les carrefours
Qu'il vendait la sagesse ; et les mortels crédules
De courir à l'achat : chacun fut diligent.
On essuyait force grimaces ;
Puis on avait pour son argent
Avec un bon soufflet un fil long de deux brasses (3).
La plupart s'en fâchaient ; mais que leur servait-il ?
C'étaient les plus moqués ; le mieux était de rire,
Ou de s'en aller, sans rien dire,
Avec son soufflet et son fil.
De chercher (4) du sens à la chose,
On se fût fait siffler ainsi qu'un ignorant.
La raison est-elle garant
De ce que fait un fou ? Le hasard est la cause
De tout ce qui se passe en un cerveau blessé.
Du fil et du soufflet pourtant embarrassé,
Un des dupes (5) un jour alla trouver un sage,
Qui, sans hésiter davantage,
Lui dit : Ce sont ici hiéroglyphes (6) tout purs.
Les gens bien conseillés (7), et qui voudront bien faire,
Entre eux et les gens fous mettront pour l'ordinaire
La longueur de ce fil ; sinon je les tiens sûrs (
De quelque semblable caresse.
Vous n'êtes point trompé : ce Fou vend la sagesse.
Je ne te puis donner un plus sage conseil.
Il n'est enseignement pareil
À celui-là de fuir une tête éventée (1).
On en voit souvent dans les cours :
Le Prince y prend plaisir ; car ils donnent toujours
Quelque trait (2) aux fripons, aux sots, aux ridicules.
Un Fol allait criant par tous les carrefours
Qu'il vendait la sagesse ; et les mortels crédules
De courir à l'achat : chacun fut diligent.
On essuyait force grimaces ;
Puis on avait pour son argent
Avec un bon soufflet un fil long de deux brasses (3).
La plupart s'en fâchaient ; mais que leur servait-il ?
C'étaient les plus moqués ; le mieux était de rire,
Ou de s'en aller, sans rien dire,
Avec son soufflet et son fil.
De chercher (4) du sens à la chose,
On se fût fait siffler ainsi qu'un ignorant.
La raison est-elle garant
De ce que fait un fou ? Le hasard est la cause
De tout ce qui se passe en un cerveau blessé.
Du fil et du soufflet pourtant embarrassé,
Un des dupes (5) un jour alla trouver un sage,
Qui, sans hésiter davantage,
Lui dit : Ce sont ici hiéroglyphes (6) tout purs.
Les gens bien conseillés (7), et qui voudront bien faire,
Entre eux et les gens fous mettront pour l'ordinaire
La longueur de ce fil ; sinon je les tiens sûrs (
De quelque semblable caresse.
Vous n'êtes point trompé : ce Fou vend la sagesse.
Après "Un fou et un sage" voici un autre "fou"
dans "Le fou qui vend la sagesse"
Vous pourrez comparer ces deux "fous"...
La source est la fable 185 d'Abstémius (anthologie
Nevelet p. 511) où c'est le fou qui donne le conseil -et un coup de poing- à "l'acheteur" de la sagesse.
La fable montre qu'il faut surtout éviter les insensés.
Le fou trouve plus fou que lui, qui pense que la
sagesse peut s'acheter !
(1) écervelée
(2) attaque satirique
(3) longueur de 2 bras étendus
(4) quant à chercher
(5) un de ceux qui furent victimes par stupidité
(6)"Symbole qui consiste en quelque figure d'animaux ou de corps naturels et qui sans l'aide des paroles, marque le caractère d'une personne ou d'une raison divine ou sacrée" (dict. Richelet)
(6) bien avisés, bien inspirés
(7) avisés
( ils seront sûrs de recevoir....
dans "Le fou qui vend la sagesse"
Vous pourrez comparer ces deux "fous"...
La source est la fable 185 d'Abstémius (anthologie
Nevelet p. 511) où c'est le fou qui donne le conseil -et un coup de poing- à "l'acheteur" de la sagesse.
La fable montre qu'il faut surtout éviter les insensés.
Le fou trouve plus fou que lui, qui pense que la
sagesse peut s'acheter !
(1) écervelée
(2) attaque satirique
(3) longueur de 2 bras étendus
(4) quant à chercher
(5) un de ceux qui furent victimes par stupidité
(6)"Symbole qui consiste en quelque figure d'animaux ou de corps naturels et qui sans l'aide des paroles, marque le caractère d'une personne ou d'une raison divine ou sacrée" (dict. Richelet)
(6) bien avisés, bien inspirés
(7) avisés
( ils seront sûrs de recevoir....
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Re: Jean de la Fontaine
LES FRELONS ET LES MOUCHES A MIEL (*)
..A l'œuvre on connaît l'artisan.
Quelques rayons de miel sans maître se trouvèrent,
Des Frelons (1) les réclamèrent,
Des Abeilles s'opposant (2),
Devant certaine Guêpe on traduisit (3) la cause.
Il était malaisé de décider la chose :
Les témoins déposaient qu'autour de ces rayons
Des animaux ailés, bourdonnants, un peu longs,
De couleur fort tannée (4) et tels que les Abeilles,
Avaient longtemps paru. Mais quoi ! dans les Frelons
Ces enseignes (5) étaient pareilles.
La Guêpe, ne sachant que dire à ces raisons,
Fit enquête nouvelle, et pour plus de lumière,
Entendit une fourmilière.
Le point n'en put être éclairci.
De grâce, à quoi bon tout ceci ?
Dit une Abeille fort prudente,
Depuis tantôt six mois que la cause est pendante (6), ........Nous voici comme aux premiers jours ;.
Pendant cela le miel se gâte.
Il est temps désormais que le Juge se hâte :
N'a-t-il point assez léché l'ours (7) ?
Sans tant de contredits et d'interlocutoires,
Et de fatras, et de grimoires,
Travaillons, les Frelons et nous :
On verra qui sait faire, avec un suc si doux,
Des cellules si bien bâties.
Le refus des Frelons fit voir
Que cet art passait leur savoir ;
Et la Guêpe adjugea le miel à leurs parties.
Plût à Dieu qu'on réglât ainsi tous les procès !
Que des Turcs ( en cela l'on suivît la méthode !
Le simple sens commun nous tiendrait lieu de Code :
Il ne faudrait point tant de frais ;
Au lieu qu'on nous mange, on nous gruge,
On nous mine par des longueurs :
On fait tant, à la fin, que l'huître est pour le juge,
Les éLes écailles pour les plaideurs (9).
Quelques rayons de miel sans maître se trouvèrent,
Des Frelons (1) les réclamèrent,
Des Abeilles s'opposant (2),
Devant certaine Guêpe on traduisit (3) la cause.
Il était malaisé de décider la chose :
Les témoins déposaient qu'autour de ces rayons
Des animaux ailés, bourdonnants, un peu longs,
De couleur fort tannée (4) et tels que les Abeilles,
Avaient longtemps paru. Mais quoi ! dans les Frelons
Ces enseignes (5) étaient pareilles.
La Guêpe, ne sachant que dire à ces raisons,
Fit enquête nouvelle, et pour plus de lumière,
Entendit une fourmilière.
Le point n'en put être éclairci.
De grâce, à quoi bon tout ceci ?
Dit une Abeille fort prudente,
Depuis tantôt six mois que la cause est pendante (6), ........Nous voici comme aux premiers jours ;.
Pendant cela le miel se gâte.
Il est temps désormais que le Juge se hâte :
N'a-t-il point assez léché l'ours (7) ?
Sans tant de contredits et d'interlocutoires,
Et de fatras, et de grimoires,
Travaillons, les Frelons et nous :
On verra qui sait faire, avec un suc si doux,
Des cellules si bien bâties.
Le refus des Frelons fit voir
Que cet art passait leur savoir ;
Et la Guêpe adjugea le miel à leurs parties.
Plût à Dieu qu'on réglât ainsi tous les procès !
Que des Turcs ( en cela l'on suivît la méthode !
Le simple sens commun nous tiendrait lieu de Code :
Il ne faudrait point tant de frais ;
Au lieu qu'on nous mange, on nous gruge,
On nous mine par des longueurs :
On fait tant, à la fin, que l'huître est pour le juge,
Les éLes écailles pour les plaideurs (9).
Ce que je qualifierai de discorde dans la famille des hyménoptères va servir de prétexte à La Fontaine pour donner son avis sur la justice de l'époque (il parlera encore mieux dans la fable " Le juge arbitre...(XII, 29) "[...] des soucis, des longueurs,des traverses / Qu'en apanage on trouve aux procès attachés /[...] ) et exprimer la supériorité du bon sens sur le formalisme. Le premier vers, proverbe, sera suivi du développement.
(*) La source est Phèdre "Les abeilles et le bourdon jugés
par la guêpe" (III, 13). La Fontaine a remplacé les
bourdons par des frelons, et ajouté le témoignagede la fourmilière.
(1) vrais frelons ou bien bourdons, c'est à dire mâles des abeilles, qui ne travaillent nullement dans la ruche
(2) faisant opposition (terme juridique)
(3) on soumit la cause
(4) le tan est un produit brun rougeâtre issu de l'écorcedu chêne après broyage et servant au tannage des peaux. Ici, de la couleur du tan.
(5) ces signes, ces marques distinctives
(6) en suspens
(7) allusion à un passage du "Tiers livre" de Rabelais où l'on voit le juge Bridoye comparer la naissance et l'évolution des procès à celles des ours qui, au départ, sont des boules informes, que leur mère transforme en animaux auxquels les membres et les formes apparaissent, à force de léchages
( chez eux, la méthode était expéditive
(9) la fable "l'huître et les plaideurs" ne paraîtra qu'ultérieurement
(*) La source est Phèdre "Les abeilles et le bourdon jugés
par la guêpe" (III, 13). La Fontaine a remplacé les
bourdons par des frelons, et ajouté le témoignagede la fourmilière.
(1) vrais frelons ou bien bourdons, c'est à dire mâles des abeilles, qui ne travaillent nullement dans la ruche
(2) faisant opposition (terme juridique)
(3) on soumit la cause
(4) le tan est un produit brun rougeâtre issu de l'écorcedu chêne après broyage et servant au tannage des peaux. Ici, de la couleur du tan.
(5) ces signes, ces marques distinctives
(6) en suspens
(7) allusion à un passage du "Tiers livre" de Rabelais où l'on voit le juge Bridoye comparer la naissance et l'évolution des procès à celles des ours qui, au départ, sont des boules informes, que leur mère transforme en animaux auxquels les membres et les formes apparaissent, à force de léchages
( chez eux, la méthode était expéditive
(9) la fable "l'huître et les plaideurs" ne paraîtra qu'ultérieurement
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Re: Jean de la Fontaine
Belle histoire pour sanctionner l'imposture...Le titre en est cité dans le langage courant pour la désigner...
Immortel La Fontaine !
Bref, revenons à ... notre fable :
Les rapports avec Phèdre (I,3) sont plus étroits qu'avec Esope "Le choucas et les oiseaux".
La traduction du mot "graculus" par "geai" aurait dû être, au dire de certains : "corneille"...
Dans cette fable, La Fontaine s'adresse apparemment aux plagiaires littéraires.
Voici :
Immortel La Fontaine !
Bref, revenons à ... notre fable :
Les rapports avec Phèdre (I,3) sont plus étroits qu'avec Esope "Le choucas et les oiseaux".
La traduction du mot "graculus" par "geai" aurait dû être, au dire de certains : "corneille"...
Dans cette fable, La Fontaine s'adresse apparemment aux plagiaires littéraires.
Voici :
LE GEAI PARE DES PLUMES DU PAON
Un paon muait : un geai prit son plumage ;
Puis après se l'accommoda (1) ;
Puis parmi d'autres paons tout fier se panada (2),
Croyant être un beau personnage.
Quelqu'un le reconnut : il se vit bafoué,
Berné, sifflé, moqué, joué,(3)
Et par messieurs les paons plumé d'étrange sorte ;
Même vers ses pareils s'étant réfugié,
Il fut par eux mis à la porte.
Il est assez de geais à deux pieds comme lui,
Qui se parent souvent des dépouilles d'autrui,
Et que l'on nomme plagiaires (4).
Je m'en tais, et ne veux leur causer nul ennui :
Ce ne sont pas là mes affaires.
Puis après se l'accommoda (1) ;
Puis parmi d'autres paons tout fier se panada (2),
Croyant être un beau personnage.
Quelqu'un le reconnut : il se vit bafoué,
Berné, sifflé, moqué, joué,(3)
Et par messieurs les paons plumé d'étrange sorte ;
Même vers ses pareils s'étant réfugié,
Il fut par eux mis à la porte.
Il est assez de geais à deux pieds comme lui,
Qui se parent souvent des dépouilles d'autrui,
Et que l'on nomme plagiaires (4).
Je m'en tais, et ne veux leur causer nul ennui :
Ce ne sont pas là mes affaires.
(1 ) se l'appropria et se l'adapta
(2) comme si on disait : se paonadait,
(faire parade, se pavaner)
(3) ces termes s'adressent aux gens de lettres
ou de théâtre, comme la moralité de la fable
(4) au XVIIème, la propriété littéraire n'était
pas protégée et le plagiat était fréquent
(2) comme si on disait : se paonadait,
(faire parade, se pavaner)
(3) ces termes s'adressent aux gens de lettres
ou de théâtre, comme la moralité de la fable
(4) au XVIIème, la propriété littéraire n'était
pas protégée et le plagiat était fréquent
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Re: Jean de la Fontaine
La Génisse, la Chévre et la Brebis,en société avec le Lion.
La Génisse, la Chèvre et leur sœur la Brebis,
Avec un fier Lion, Seigneur du voisinage,
Firent société, dit-on, au temps jadis,
Et mirent en commun le gain et le dommage.
Dans les lacs (1) de la Chèvre un Cerf se trouva pris ;
Vers ses associés aussitôt elle envoie :
Eux venus, le Lion par ses ongles (2) compta,
Et dit : Nous sommes quatre à partager la proie ;
Puis en autant de parts le Cerf il dépeça ;
Prit pour lui la première en qualité de Sire :
Elle doit être à moi, dit-il, et la raison,
C'est que je m'appelle Lion :
À cela l'on n'a rien à dire.
La seconde par droit me doit échoir encor :
Ce droit, vous le savez, c'est le droit du plus fort.
Comme le plus vaillant je prétends la troisième.
Si quelqu'une de vous touche à la quatrième,
Je l'étranglerai tout d'abord.
Firent société, dit-on, au temps jadis,
Et mirent en commun le gain et le dommage.
Dans les lacs (1) de la Chèvre un Cerf se trouva pris ;
Vers ses associés aussitôt elle envoie :
Eux venus, le Lion par ses ongles (2) compta,
Et dit : Nous sommes quatre à partager la proie ;
Puis en autant de parts le Cerf il dépeça ;
Prit pour lui la première en qualité de Sire :
Elle doit être à moi, dit-il, et la raison,
C'est que je m'appelle Lion :
À cela l'on n'a rien à dire.
La seconde par droit me doit échoir encor :
Ce droit, vous le savez, c'est le droit du plus fort.
Comme le plus vaillant je prétends la troisième.
Si quelqu'une de vous touche à la quatrième,
Je l'étranglerai tout d'abord.
(*) La source de la fable se trouve chez Phèdre (I,5)
traduction Sacy en 1647. En voici le début dans lequel est
exprimée la moralité :
"L'alliance avec un plus puissant n'est jamais
fermement assurée. Cette fable prouve cette maxime."
(1) piège pour prendre le gibier, sorte de lacet muni d'un noeud coulant, (cs ne se prononce pas)
(2) griffes
traduction Sacy en 1647. En voici le début dans lequel est
exprimée la moralité :
"L'alliance avec un plus puissant n'est jamais
fermement assurée. Cette fable prouve cette maxime."
(1) piège pour prendre le gibier, sorte de lacet muni d'un noeud coulant, (cs ne se prononce pas)
(2) griffes
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Re: Jean de la Fontaine
LE GLAND ET LA CITROUILLE
Dieu fait bien ce qu’il fait. Sans en chercher la preuve
En tout cet Univers, et l’aller parcourant,
Dans les Citrouilles je la treuve.
Un villageois, considérant
Combien ce fruit est gros, et sa tige menue
A quoi songeait, dit-il, l’Auteur de tout cela ?
Il a bien mal placé cette Citrouille-là :
Hé parbleu, je l’aurais pendue
A l’un des chênes que voilà.
C’eût été justement (1) l’affaire ;
Tel fruit, tel arbre, pour bien faire.
C’est dommage, Garo, que tu n’es point entré
Au conseil de celui que prêche ton Curé ;
Tout en eût été mieux ; car pourquoi par exemple
Le Gland, qui n’est pas gros comme mon petit doigt,
Ne pend-il pas en cet endroit ?
Dieu s’est mépris ; plus je contemple
Ces fruits ainsi placés, plus il semble à Garo
Que l’on a fait un quiproquo.
Cette réflexion embarrassant notre homme :
On ne dort point, dit-il, quand on a tant d’esprit.
Sous un chêne aussitôt il va prendre son somme.
Un gland tombe ; le nez du dormeur en pâtit.
II s’éveille ; et portant la main sur son visage,
Il trouve encor le Gland pris au poil du menton.
Son nez meurtri le force à changer de langage ;
Oh, oh, dit-il, je saigne ! et que serait-ce donc
S’il fût tombé de l’arbre une masse plus lourde,
Et que ce gland eût été gourde ?
Dieu ne l'a pas voulu : sans doute il et raison ;
J’en vois bien à présent la cause.
En louant Dieu de toute chose,
Garo retourne à la maison.
En tout cet Univers, et l’aller parcourant,
Dans les Citrouilles je la treuve.
Un villageois, considérant
Combien ce fruit est gros, et sa tige menue
A quoi songeait, dit-il, l’Auteur de tout cela ?
Il a bien mal placé cette Citrouille-là :
Hé parbleu, je l’aurais pendue
A l’un des chênes que voilà.
C’eût été justement (1) l’affaire ;
Tel fruit, tel arbre, pour bien faire.
C’est dommage, Garo, que tu n’es point entré
Au conseil de celui que prêche ton Curé ;
Tout en eût été mieux ; car pourquoi par exemple
Le Gland, qui n’est pas gros comme mon petit doigt,
Ne pend-il pas en cet endroit ?
Dieu s’est mépris ; plus je contemple
Ces fruits ainsi placés, plus il semble à Garo
Que l’on a fait un quiproquo.
Cette réflexion embarrassant notre homme :
On ne dort point, dit-il, quand on a tant d’esprit.
Sous un chêne aussitôt il va prendre son somme.
Un gland tombe ; le nez du dormeur en pâtit.
II s’éveille ; et portant la main sur son visage,
Il trouve encor le Gland pris au poil du menton.
Son nez meurtri le force à changer de langage ;
Oh, oh, dit-il, je saigne ! et que serait-ce donc
S’il fût tombé de l’arbre une masse plus lourde,
Et que ce gland eût été gourde ?
Dieu ne l'a pas voulu : sans doute il et raison ;
J’en vois bien à présent la cause.
En louant Dieu de toute chose,
Garo retourne à la maison.
Sources : La Fontaine a pris son sujet directement au théâtre populaire. Il se trouve dans les Rencontres, fantaisies et coq-à-l'âne facétieux du baron de Grattelard, de Tabarin.
Le nom de Garo est certainement emprunté au Pédant joué de Cyrano de Bergerac
(1) exactement
Le nom de Garo est certainement emprunté au Pédant joué de Cyrano de Bergerac
(1) exactement
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Re: Jean de la Fontaine
LA GOUTTE ET L'ARAIGNÉE
Quand l'Enfer eut produit la Goutte et l'Araignée :
Mes filles, leur dit-il, vous pouvez vous vanter
D'être pour l'humaine lignée
Egalement à redouter.
Or avisons aux lieux qu'il vous faut habiter.
Voyez-vous ces cases étrètes (1),
Et ces palais si grands, si beaux, si bien dorés ?
Je me suis proposé d'en faire vos retraites.
Tenez donc ; voici deux bûchettes :
Accommodez-vous, ou tirez (2).
Il n'est rien, dit l'Aragne (3), aux cases qui me plaise.
L'autre, tout au rebours, voyant les palais pleins
De ces gens nommés Médecins,
Ne crut pas y pouvoir demeurer à son aise.
Elle prend l'autre lot, y plante le piquet (4),
S'étend à son plaisir sur l'orteil d'un pauvre homme,
Disant : Je ne crois pas qu'en ce poste je chomme,
Ni que d'en déloger et faire mon paquet
Jamais Hippocrate me somme (5).
L'Aragne cependant se campe en un lambris,
Comme si de ces lieux elle eût fait bail à vie ;
Travaille à demeurer ; voilà sa toile ourdie ;
Voilà des moucherons de pris.
Une servante vient balayer tout l'ouvrage.
Autre toile tissue ; autre coup de balai :
Le pauvre Bestion (6) tous les jours déménage.
Enfin après un vain essai,
Il va trouver la Goutte. Elle était en campagne,
Plus malheureuse mille fois
Que la plus malheureuse Aragne.
Son hôte la menait tantôt fendre du bois,
Tantôt fouir, houer (7). Goutte bien tracassée
Est, dit-on, à demi pansée.
Oh ! je ne saurais plus, dit-elle, y résister :
Changeons, ma sœur l'Aragne. Et l'autre d'écouter.
Elle la prend au mot, se glisse en la cabane :
Point de coup de balai qui l'oblige à changer.
La Goutte d'autre part, va tout droit se loger
Chez un Prélat qu'elle condamne
A jamais du lit ne bouger.
Cataplasmes, Dieu sait. Les gens n'ont point de honte
De faire aller le mal toujours de pis en pis.
L'une et l'autre trouva de la sorte son conte ( ;
Et fit très sagement de changer de logis.
Mes filles, leur dit-il, vous pouvez vous vanter
D'être pour l'humaine lignée
Egalement à redouter.
Or avisons aux lieux qu'il vous faut habiter.
Voyez-vous ces cases étrètes (1),
Et ces palais si grands, si beaux, si bien dorés ?
Je me suis proposé d'en faire vos retraites.
Tenez donc ; voici deux bûchettes :
Accommodez-vous, ou tirez (2).
Il n'est rien, dit l'Aragne (3), aux cases qui me plaise.
L'autre, tout au rebours, voyant les palais pleins
De ces gens nommés Médecins,
Ne crut pas y pouvoir demeurer à son aise.
Elle prend l'autre lot, y plante le piquet (4),
S'étend à son plaisir sur l'orteil d'un pauvre homme,
Disant : Je ne crois pas qu'en ce poste je chomme,
Ni que d'en déloger et faire mon paquet
Jamais Hippocrate me somme (5).
L'Aragne cependant se campe en un lambris,
Comme si de ces lieux elle eût fait bail à vie ;
Travaille à demeurer ; voilà sa toile ourdie ;
Voilà des moucherons de pris.
Une servante vient balayer tout l'ouvrage.
Autre toile tissue ; autre coup de balai :
Le pauvre Bestion (6) tous les jours déménage.
Enfin après un vain essai,
Il va trouver la Goutte. Elle était en campagne,
Plus malheureuse mille fois
Que la plus malheureuse Aragne.
Son hôte la menait tantôt fendre du bois,
Tantôt fouir, houer (7). Goutte bien tracassée
Est, dit-on, à demi pansée.
Oh ! je ne saurais plus, dit-elle, y résister :
Changeons, ma sœur l'Aragne. Et l'autre d'écouter.
Elle la prend au mot, se glisse en la cabane :
Point de coup de balai qui l'oblige à changer.
La Goutte d'autre part, va tout droit se loger
Chez un Prélat qu'elle condamne
A jamais du lit ne bouger.
Cataplasmes, Dieu sait. Les gens n'ont point de honte
De faire aller le mal toujours de pis en pis.
L'une et l'autre trouva de la sorte son conte ( ;
Et fit très sagement de changer de logis.
Les sources de cette fable remontent à un conte inséré par Pétrarque dans une lettre à Jean Colonna, rentré ensuite dans d'autres recueils de contes facétieux.
Traditionnellement, la goutte, cette maladie qui se traduit par de fortes inflammations des orteils et genoux notamment, habite plutôt chez les riches, tandis que les araignées habitent plutôt chez les pauvres...
Ici, La Fontaine donne à l'Enfer le soin de laisser aux deux
"redoutables" le choix de leur logis. Elles décident de rompre la tradition et d'inverser leur lieu d'habitation...
Comment cela va-t-il se passer ? Et se terminer ?
(1) étroites : écriture ancienne utilisée ici pour rimer
avec "retraites"
(2) mettez-vous d'accord ou tirez à la courte paille
(3) l'araignée
(4) s'y établit
(5) j'aurai du travail et les médecins ne réussiront pas
à me chasser (surtout chez un pauvre !)
(6) petite bête
(7) remuer la terre avec la houe
( Au XVIIe siècle, on ne distinguait pas "conte" de "compte"
Traditionnellement, la goutte, cette maladie qui se traduit par de fortes inflammations des orteils et genoux notamment, habite plutôt chez les riches, tandis que les araignées habitent plutôt chez les pauvres...
Ici, La Fontaine donne à l'Enfer le soin de laisser aux deux
"redoutables" le choix de leur logis. Elles décident de rompre la tradition et d'inverser leur lieu d'habitation...
Comment cela va-t-il se passer ? Et se terminer ?
(1) étroites : écriture ancienne utilisée ici pour rimer
avec "retraites"
(2) mettez-vous d'accord ou tirez à la courte paille
(3) l'araignée
(4) s'y établit
(5) j'aurai du travail et les médecins ne réussiront pas
à me chasser (surtout chez un pauvre !)
(6) petite bête
(7) remuer la terre avec la houe
( Au XVIIe siècle, on ne distinguait pas "conte" de "compte"
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Re: Jean de la Fontaine
LA GRENOUILLE ET LE RAT
Tel, comme dit Merlin, cuide (1) engeigner (2) autrui,
Qui souvent s'engeigne soi-même.
J'ai regret que ce mot soit trop vieux aujourd'hui :
Il m'a toujours semblé d'une énergie extrême.
Mais afin d'en venir au dessein que j'ai pris,
Un rat plein d'embonpoint, gras et des mieux nourris,
Et qui ne connaissait l'avent ni le carême (3),
Sur le bord d'un marais égayait ses esprits (4).
Une grenouille approche, et lui dit en sa langue :
Venez me voir chez moi ; je vous ferai festin.
Messire Rat promit soudain (5) :
Il n'était pas besoin de plus longue harangue.
Elle allégua pourtant les délices du bain,
La curiosité, le plaisir du voyage,
Cent raretés à voir le long du marécage :
Un jour il conterait à ses petits-enfants
Les beautés de ces lieux, les moeurs des habitants,
Et le gouvernement de la chose publique
Aquatique.
Un point sans plus tenait le galand empêché.
Il nageait quelque peu ; mais il fallait de l'aide.
La Grenouille à cela trouve un très bon remède :
Le Rat fut à son pied par la patte attaché ;
Un brin de jonc en fit l'affaire.
Dans le marais entrés (6), notre bonne Commère
S'efforce de tirer son Hôte au fond de l'eau,
Contre le droit des gens, contre la foi jurée ;
Prétend qu'elle en fera gorge chaude et curée ;
(C'était, à son avis, un excellent morceau.)
Déjà, dans son esprit la Galande le croque.
Il atteste les dieux ; la Perfide s'en moque :
Il résiste ; elle tire. En ce combat nouveau,
Un Milan, qui dans l'air planait, faisait la ronde,
Voit d'en haut le pauvret se débattant sur l'onde.
Il fond dessus, l'enlève, et par même moyen
La Grenouille et le lien.
Tout en fut : tant et si bien,
Que de cette double proie
L'Oiseau se donne au coeur joie,
Ayant de cette façon
A souper chair et poisson.
La ruse la mieux ourdie (7)
Peut nuire à son inventeur;
Et souvent la perfidie
Retourne sur son auteur.
Qui souvent s'engeigne soi-même.
J'ai regret que ce mot soit trop vieux aujourd'hui :
Il m'a toujours semblé d'une énergie extrême.
Mais afin d'en venir au dessein que j'ai pris,
Un rat plein d'embonpoint, gras et des mieux nourris,
Et qui ne connaissait l'avent ni le carême (3),
Sur le bord d'un marais égayait ses esprits (4).
Une grenouille approche, et lui dit en sa langue :
Venez me voir chez moi ; je vous ferai festin.
Messire Rat promit soudain (5) :
Il n'était pas besoin de plus longue harangue.
Elle allégua pourtant les délices du bain,
La curiosité, le plaisir du voyage,
Cent raretés à voir le long du marécage :
Un jour il conterait à ses petits-enfants
Les beautés de ces lieux, les moeurs des habitants,
Et le gouvernement de la chose publique
Aquatique.
Un point sans plus tenait le galand empêché.
Il nageait quelque peu ; mais il fallait de l'aide.
La Grenouille à cela trouve un très bon remède :
Le Rat fut à son pied par la patte attaché ;
Un brin de jonc en fit l'affaire.
Dans le marais entrés (6), notre bonne Commère
S'efforce de tirer son Hôte au fond de l'eau,
Contre le droit des gens, contre la foi jurée ;
Prétend qu'elle en fera gorge chaude et curée ;
(C'était, à son avis, un excellent morceau.)
Déjà, dans son esprit la Galande le croque.
Il atteste les dieux ; la Perfide s'en moque :
Il résiste ; elle tire. En ce combat nouveau,
Un Milan, qui dans l'air planait, faisait la ronde,
Voit d'en haut le pauvret se débattant sur l'onde.
Il fond dessus, l'enlève, et par même moyen
La Grenouille et le lien.
Tout en fut : tant et si bien,
Que de cette double proie
L'Oiseau se donne au coeur joie,
Ayant de cette façon
A souper chair et poisson.
La ruse la mieux ourdie (7)
Peut nuire à son inventeur;
Et souvent la perfidie
Retourne sur son auteur.
La source de cet apologue est Esope. La Fontaine
l' a beaucoup amplifié.
Le proverbe qui débute la fable :
" Tel qui croit prendre autrui se prend à son propre
piège" est tiré du "premier volume deMerlin".
Les romans de la Table Ronde, étaient édités, lus et connus au XVIIème. Merlin l'enchanteur est unnpersonnage célèbre de ces romans.
"Le vieux langage a des grâces que celui de notre siècle
n'a pas" disait La Fontaine, c'est pourquoi il l'emploie
en montrant ainsi son indépendance par rapport aux
réformes.
Nous allons voir l'histoire d'une grenouille perfide qui, par
tous les moyens allèche le rat en lui vantant les merveilles
d'un voyage....aquatique ! duquel il ne devrait pas se
sortir vivant...Mais, attendons la fin ! Bonne lecture
Voici :
(1) croit
(2) engeigner : tromper
(3) donc, qui ne jeûnait pas !
(4) se distrayait
(5) aussitôt
(6) tournure qui serait incorrecte aujourd'hui, mais voulue par La Fontaine.
(7) tramée
l' a beaucoup amplifié.
Le proverbe qui débute la fable :
" Tel qui croit prendre autrui se prend à son propre
piège" est tiré du "premier volume deMerlin".
Les romans de la Table Ronde, étaient édités, lus et connus au XVIIème. Merlin l'enchanteur est unnpersonnage célèbre de ces romans.
"Le vieux langage a des grâces que celui de notre siècle
n'a pas" disait La Fontaine, c'est pourquoi il l'emploie
en montrant ainsi son indépendance par rapport aux
réformes.
Nous allons voir l'histoire d'une grenouille perfide qui, par
tous les moyens allèche le rat en lui vantant les merveilles
d'un voyage....aquatique ! duquel il ne devrait pas se
sortir vivant...Mais, attendons la fin ! Bonne lecture
Voici :
(1) croit
(2) engeigner : tromper
(3) donc, qui ne jeûnait pas !
(4) se distrayait
(5) aussitôt
(6) tournure qui serait incorrecte aujourd'hui, mais voulue par La Fontaine.
(7) tramée
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Re: Jean de la Fontaine
LA GRENOUILLE QUI SE VEUT FAIRE
AUSSI GROSSE QUE LE BŒUF
AUSSI GROSSE QUE LE BŒUF
Une Grenouille vit un Bœuf
Qui lui sembla de belle taille.
Elle qui n'était pas grosse en tout comme un œuf,
Envieuse s'étend, et s'enfle, et se travaille
Pour égaler l'animal en grosseur,
...............Disant : Regardez bien, ma sœur ;
Est-ce assez ? dites-moi ; n'y suis-je point encore ?
Nenni. M'y voici donc ? Point du tout. M'y voilà ?
Vous n'en approchez point. La chétive Pécore
S'enfla si bien qu'elle creva.
Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages :
Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs,
Tout petit prince a des ambassadeurs,
Tout marquis veut avoir des pages.
Qui lui sembla de belle taille.
Elle qui n'était pas grosse en tout comme un œuf,
Envieuse s'étend, et s'enfle, et se travaille
Pour égaler l'animal en grosseur,
...............Disant : Regardez bien, ma sœur ;
Est-ce assez ? dites-moi ; n'y suis-je point encore ?
Nenni. M'y voici donc ? Point du tout. M'y voilà ?
Vous n'en approchez point. La chétive Pécore
S'enfla si bien qu'elle creva.
Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages :
Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs,
Tout petit prince a des ambassadeurs,
Tout marquis veut avoir des pages.
(*) Les sources de la fable se trouvent dans Phèdre
(Traduction Sacy de 1647). Mais La Fontaine suit Horace (Satires II, III, 316-320) qui institue un dialogue entre la grenouille ambitieuse et sa soeur. La fable est courte, connue, "facile", et là, un dessin remplacera agréablement un long discours :
- Les moralistes de XVIIème ont tous combattu l'ambition sociale.
- Au XIXème, Grandville illustre la fable : La grenouille
se rengorge etc...Près d'elle, le bœuf ainsi vêtu, plein
d'assurance représente la puissance de l'argent.
(Traduction Sacy de 1647). Mais La Fontaine suit Horace (Satires II, III, 316-320) qui institue un dialogue entre la grenouille ambitieuse et sa soeur. La fable est courte, connue, "facile", et là, un dessin remplacera agréablement un long discours :
- Les moralistes de XVIIème ont tous combattu l'ambition sociale.
- Au XIXème, Grandville illustre la fable : La grenouille
se rengorge etc...Près d'elle, le bœuf ainsi vêtu, plein
d'assurance représente la puissance de l'argent.
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Re: Jean de la Fontaine
Au cas où vous ne seriez pas satisfait(e)s de votre (ou de vos)
supérieurs, (on ne sait jamais...) la lecture de cette fable
peut vous être d'un grand secours...
La Fontaine s'inspire d' Esope "Les grenouilles qui réclamaient un roi" et de Phèdre I,2 .
La traduction de la fable d'Esope par daniel Loayza
(GF-Flammarion) se termine ainsi : "La fable montre qu'il vaut mieux avoir pour chefs des hommes nonchalants, mais sans méchanceté, que de cruels fauteurs de trouble."
Dans "Les membres et l'estomac" L.F. cherchait à justifier
le principe du pouvoir royal. Ici, il affiche plutôt une sorte
de résignation, tout en gardant une distance intérieure vis-à-vis de l'orde établi. Il y ajoute l'humour...
supérieurs, (on ne sait jamais...) la lecture de cette fable
peut vous être d'un grand secours...
La Fontaine s'inspire d' Esope "Les grenouilles qui réclamaient un roi" et de Phèdre I,2 .
La traduction de la fable d'Esope par daniel Loayza
(GF-Flammarion) se termine ainsi : "La fable montre qu'il vaut mieux avoir pour chefs des hommes nonchalants, mais sans méchanceté, que de cruels fauteurs de trouble."
Dans "Les membres et l'estomac" L.F. cherchait à justifier
le principe du pouvoir royal. Ici, il affiche plutôt une sorte
de résignation, tout en gardant une distance intérieure vis-à-vis de l'orde établi. Il y ajoute l'humour...
LES GRENOUILLES QUI DEMANDENT UN ROI
Les Grenouilles, se lassant
De l'état démocratique,
Par leurs clameurs firent tant
Que Jupin (1) les soumit au pouvoir monarchique.
Il leur tomba du ciel un Roi tout pacifique :
Ce roi fit toutefois un tel bruit en tombant,
Que la gent marécageuse,
Gent fort sotte et fort peureuse,
S'alla cacher sous les eaux,
Dans les joncs, dans les roseaux,
Dans les trous du marécage,
Sans oser de longtemps regarder au visage
Celui qu'elles croyaient être un géant nouveau ;
Or c'était un Soliveau (2),
De qui la gravité fit peur à la première
Qui, de le voir s'aventurant (3)
Osa bien quitter sa tanière (4).
Elle approcha, mais en tremblant.
Une autre la suivit, une autre en fit autant,
Il en vint une fourmilière ;
Et leur troupe à la fin se rendit familière,
Jusqu'à sauter sur l'épaule du Roi.
Le bon Sire le souffre et se tient toujours coi (5).
Jupin en a bientôt la cervelle rompue :
Donnez-nous, dit ce peuple, un Roi qui se remue.
Le Monarque des Dieux leur envoie une Grue,
Qui les croque, qui les tue,
Qui les gobe à son plaisir,
Et Grenouilles de se plaindre ;
Et Jupin de leur dire : Eh quoi ! votre désir
À ses lois croit-il nous astreindre ?
Vous avez dû(6) premièrement
Garder votre gouvernement ;
Mais ne l'ayant pas fait, il vous devait suffire
Que votre premier Roi fut débonnaire et doux :
De celui-ci contentez-vous,
De peur d'en rencontrer un pire.
De l'état démocratique,
Par leurs clameurs firent tant
Que Jupin (1) les soumit au pouvoir monarchique.
Il leur tomba du ciel un Roi tout pacifique :
Ce roi fit toutefois un tel bruit en tombant,
Que la gent marécageuse,
Gent fort sotte et fort peureuse,
S'alla cacher sous les eaux,
Dans les joncs, dans les roseaux,
Dans les trous du marécage,
Sans oser de longtemps regarder au visage
Celui qu'elles croyaient être un géant nouveau ;
Or c'était un Soliveau (2),
De qui la gravité fit peur à la première
Qui, de le voir s'aventurant (3)
Osa bien quitter sa tanière (4).
Elle approcha, mais en tremblant.
Une autre la suivit, une autre en fit autant,
Il en vint une fourmilière ;
Et leur troupe à la fin se rendit familière,
Jusqu'à sauter sur l'épaule du Roi.
Le bon Sire le souffre et se tient toujours coi (5).
Jupin en a bientôt la cervelle rompue :
Donnez-nous, dit ce peuple, un Roi qui se remue.
Le Monarque des Dieux leur envoie une Grue,
Qui les croque, qui les tue,
Qui les gobe à son plaisir,
Et Grenouilles de se plaindre ;
Et Jupin de leur dire : Eh quoi ! votre désir
À ses lois croit-il nous astreindre ?
Vous avez dû(6) premièrement
Garder votre gouvernement ;
Mais ne l'ayant pas fait, il vous devait suffire
Que votre premier Roi fut débonnaire et doux :
De celui-ci contentez-vous,
De peur d'en rencontrer un pire.
(1) Jupiter
(2) petite solive (pièce de charpente)
(3) s'aventurant à le voir
(4) son refuge
(5) il supporte en silence
(6) vous auriez dû
(2) petite solive (pièce de charpente)
(3) s'aventurant à le voir
(4) son refuge
(5) il supporte en silence
(6) vous auriez dû
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Re: Jean de la Fontaine
LE HÉRON
Un jour sur ses longs pieds allait je ne sais où
Le Héron au long bec emmanché d’un long cou.
Il côtoyait une rivière.
L’onde était transparente ainsi qu’aux plus beaux jours ;
Ma commère la Carpe y faisait mille tours
Avec le Brochet son compère.
Le Héron en eût fait aisément son profit :
Tous approchaient du bord, l’Oiseau n’avait qu’à prendre ;
Mais il crut mieux faire d’attendre
Qu’il eût un peu plus d’appétit.
Il vivait de régime, et mangeait à ses heures.
Après quelques moments l’appétit vint ; l’Oiseau
S’approchant du bord vit sur l’eau
Des Tanches qui sortaient du fond de ces demeures.
Le mets ne lui plut pas ; il s’attendait à mieux,
Et montrait un goût dédaigneux
Comme le Rat du bon Horace. (1)
Moi des Tanches ? dit-il, moi Héron que je fasse
Une si pauvre chère ? Et pour qui me prend-on ?
La Tanche rebutée (2), il trouva du Goujon.
Du Goujon ! c’est bien là le dîné d’un Héron !
J’ouvrirais pour si peu le bec ! aux Dieux ne plaise !
Il l’ouvrit pour bien moins : tout alla de façon
Qu’il ne vit plus aucun Poisson.
La faim le prit ; il fut tout heureux et tout aise
De rencontrer un Limaçon.
Ne soyons pas si difficiles :
Les plus accommodants, ce sont les plus habiles :
On hasarde de perdre en voulant trop gagner.
Gardez-vous de rien dédaigner ;
Surtout quand vous avez à peu près votre compte.
Bien des gens y sont pris ; ce n’est pas aux Hérons
Que je parle ; écoutez, humains, un autre conte ;
Vous verrez que chez vous j’ai puisé ces leçons.
Le Héron au long bec emmanché d’un long cou.
Il côtoyait une rivière.
L’onde était transparente ainsi qu’aux plus beaux jours ;
Ma commère la Carpe y faisait mille tours
Avec le Brochet son compère.
Le Héron en eût fait aisément son profit :
Tous approchaient du bord, l’Oiseau n’avait qu’à prendre ;
Mais il crut mieux faire d’attendre
Qu’il eût un peu plus d’appétit.
Il vivait de régime, et mangeait à ses heures.
Après quelques moments l’appétit vint ; l’Oiseau
S’approchant du bord vit sur l’eau
Des Tanches qui sortaient du fond de ces demeures.
Le mets ne lui plut pas ; il s’attendait à mieux,
Et montrait un goût dédaigneux
Comme le Rat du bon Horace. (1)
Moi des Tanches ? dit-il, moi Héron que je fasse
Une si pauvre chère ? Et pour qui me prend-on ?
La Tanche rebutée (2), il trouva du Goujon.
Du Goujon ! c’est bien là le dîné d’un Héron !
J’ouvrirais pour si peu le bec ! aux Dieux ne plaise !
Il l’ouvrit pour bien moins : tout alla de façon
Qu’il ne vit plus aucun Poisson.
La faim le prit ; il fut tout heureux et tout aise
De rencontrer un Limaçon.
Ne soyons pas si difficiles :
Les plus accommodants, ce sont les plus habiles :
On hasarde de perdre en voulant trop gagner.
Gardez-vous de rien dédaigner ;
Surtout quand vous avez à peu près votre compte.
Bien des gens y sont pris ; ce n’est pas aux Hérons
Que je parle ; écoutez, humains, un autre conte ;
Vous verrez que chez vous j’ai puisé ces leçons.
(1) Il s'agit du rat de ville, de Horace ( Satires, livre II, 6, 87), invité par le rat des champs, épisode que La Fontaine n'a pas repris dans sa fable
(2) refusée, mise au rebut
(2) refusée, mise au rebut
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Re: Jean de la Fontaine
L'hirondelle et les petits oiseaux
Une Hirondelle en ses voyages
Avait beaucoup appris. Quiconque a beaucoup vu
Peut avoir beaucoup retenu.
Celle-ci prévoyait jusqu'aux moindres orages,
Et devant qu'ils fussent éclos,
Les annonçait aux Matelots.
Il arriva qu'au temps que la chanvre (1) se sème,
Elle vit un Manant en couvrir (2) maints sillons.
Ceci ne me plaît pas, dit-elle aux Oisillons.
Je vous plains : car pour moi, dans ce péril extrême,
Je saurai m'éloigner, ou vivre en quelque coin.
Voyez-vous cette main qui par les airs chemine ?
Un jour viendra, qui n'est pas loin,
Que ce qu'elle répand sera votre ruine.
De là naîtront engins à vous envelopper,
Et lacets pour vous attraper ;
Enfin mainte et mainte machine
Qui causera dans la saison
Votre mort ou votre prison ;
Gare la cage ou le chaudron.
C'est pourquoi, leur dit l'Hirondelle,
Mangez ce grain et croyez-moi.
Les Oiseaux se moquèrent d'elle,
Ils trouvaient aux champs trop de quoi.
Quand la chènevière (3) fut verte,
L'Hirondelle leur dit : Arrachez brin à brin
Ce qu'a produit ce mauvais grain,
Ou soyez sûrs de votre perte.
Prophète de malheur, babillarde, dit-on,
Le bel emploi que tu nous donnes!
Il nous faudrait mille personnes
Pour éplucher tout ce canton.
La chanvre étant tout à fait crue (4),
L'Hirondelle ajouta : Ceci ne va pas bien ;
Mauvaise graine est tôt venue ;
Mais puisque jusqu'ici l'on ne m'a crue en rien,
Dès que vous verrez que la terre
Sera couverte, et qu'à leurs blés
Les gens n'étant plus occupés
Feront aux Oisillons la guerre;
Quand reginglettes (5) et réseaux
Attraperont petits Oiseaux,
Ne volez plus de place en place ;
Demeurez au logis, ou changez de climat :
Imitez le Canard, la Grue et la Bécasse.
Mais vous n'êtes pas en état
De passer comme nous les déserts et les ondes,
Ni d'aller chercher d'autres mondes.
C'est pourquoi vous n'avez qu'un parti qui soit sûr :
C'est de vous enfermer aux trous de quelque mur.
Les Oisillons, las de l'entendre,
Se mirent à jaser aussi confusément
Que faisaient les Troyens quand la pauvre Cassandre (6)
Ouvrait la bouche seulement.
Il en prit aux uns comme aux autres :
Maint Oisillon se vit esclave retenu.
Nous n'écoutons d'instincts que ceux qui sont les nôtres,
Et ne croyons le mal que quand il est venu.
Avait beaucoup appris. Quiconque a beaucoup vu
Peut avoir beaucoup retenu.
Celle-ci prévoyait jusqu'aux moindres orages,
Et devant qu'ils fussent éclos,
Les annonçait aux Matelots.
Il arriva qu'au temps que la chanvre (1) se sème,
Elle vit un Manant en couvrir (2) maints sillons.
Ceci ne me plaît pas, dit-elle aux Oisillons.
Je vous plains : car pour moi, dans ce péril extrême,
Je saurai m'éloigner, ou vivre en quelque coin.
Voyez-vous cette main qui par les airs chemine ?
Un jour viendra, qui n'est pas loin,
Que ce qu'elle répand sera votre ruine.
De là naîtront engins à vous envelopper,
Et lacets pour vous attraper ;
Enfin mainte et mainte machine
Qui causera dans la saison
Votre mort ou votre prison ;
Gare la cage ou le chaudron.
C'est pourquoi, leur dit l'Hirondelle,
Mangez ce grain et croyez-moi.
Les Oiseaux se moquèrent d'elle,
Ils trouvaient aux champs trop de quoi.
Quand la chènevière (3) fut verte,
L'Hirondelle leur dit : Arrachez brin à brin
Ce qu'a produit ce mauvais grain,
Ou soyez sûrs de votre perte.
Prophète de malheur, babillarde, dit-on,
Le bel emploi que tu nous donnes!
Il nous faudrait mille personnes
Pour éplucher tout ce canton.
La chanvre étant tout à fait crue (4),
L'Hirondelle ajouta : Ceci ne va pas bien ;
Mauvaise graine est tôt venue ;
Mais puisque jusqu'ici l'on ne m'a crue en rien,
Dès que vous verrez que la terre
Sera couverte, et qu'à leurs blés
Les gens n'étant plus occupés
Feront aux Oisillons la guerre;
Quand reginglettes (5) et réseaux
Attraperont petits Oiseaux,
Ne volez plus de place en place ;
Demeurez au logis, ou changez de climat :
Imitez le Canard, la Grue et la Bécasse.
Mais vous n'êtes pas en état
De passer comme nous les déserts et les ondes,
Ni d'aller chercher d'autres mondes.
C'est pourquoi vous n'avez qu'un parti qui soit sûr :
C'est de vous enfermer aux trous de quelque mur.
Les Oisillons, las de l'entendre,
Se mirent à jaser aussi confusément
Que faisaient les Troyens quand la pauvre Cassandre (6)
Ouvrait la bouche seulement.
Il en prit aux uns comme aux autres :
Maint Oisillon se vit esclave retenu.
Nous n'écoutons d'instincts que ceux qui sont les nôtres,
Et ne croyons le mal que quand il est venu.
Les sources de la fable seraient une version anonyme
de la fable d'Ésope : "L'hirondelle et les oiseaux", qui
figurait dans l'ouvrage de Nicolas Nevelet : recueil ésopique ( Ésope : VIIème-VIème siècle av.J.C.)
sans cesse réédité (1610,1660 ) comportant le texte grec, une traduction latine, les fables latines de Phèdre etc.,
(1) féminin archaïque
(2) ensemencer
(3) champ semé de chènevis, ou graine de chanvre
(4) participe passé du verbe croître (poussée)
(5) ce doit être un collet, monté au bout d'une branchette qui fait ressort, et en se détendant, en reginglant, serre le lacet. Apparemment, ce mot est un mot de Château-Thierry, non connu des oiseliers de Paris (d'après Richelet)
(6) fille de Priam, roi de Troie. Apollon lui avait accordé le don de connaître l'avenir; mais pour la punir de lui avoir refusé ses faveurs, il l'avait condamnée à n'être jamais crue.
de la fable d'Ésope : "L'hirondelle et les oiseaux", qui
figurait dans l'ouvrage de Nicolas Nevelet : recueil ésopique ( Ésope : VIIème-VIème siècle av.J.C.)
sans cesse réédité (1610,1660 ) comportant le texte grec, une traduction latine, les fables latines de Phèdre etc.,
(1) féminin archaïque
(2) ensemencer
(3) champ semé de chènevis, ou graine de chanvre
(4) participe passé du verbe croître (poussée)
(5) ce doit être un collet, monté au bout d'une branchette qui fait ressort, et en se détendant, en reginglant, serre le lacet. Apparemment, ce mot est un mot de Château-Thierry, non connu des oiseliers de Paris (d'après Richelet)
(6) fille de Priam, roi de Troie. Apollon lui avait accordé le don de connaître l'avenir; mais pour la punir de lui avoir refusé ses faveurs, il l'avait condamnée à n'être jamais crue.
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Re: Jean de la Fontaine
L'HOMME ENTRE DEUX ÂGES (1) ET SES DEUX MAÎTRESSES (*)
...Un homme de moyen âge (2),
Et tirant sur le grison, (3)
Jugea qu'il était saison
De songer au mariage.
Il avait du comptant (4),
Et partant (5)
De quoi choisir. Toutes voulaient lui plaire ;
En quoi notre Amoureux ne se pressait pas tant :
Bien adresser n'est pas petite affaire.
Deux Veuves sur son coeur eurent le plus de part ;
L'une encor verte, et l'autre un peu bien mûre,
Mais qui réparait par son art
Ce qu'avait détruit la nature.
Ces deux Veuves, en badinant,
En riant, en lui faisant fête,
L'allaient quelquefois testonnant (6),
C'est à dire ajustant sa tête.
La Vieille à tous moments de sa part emportait
Un peu du poil noir qui restait,
Afin que son Amant en fût plus à sa guise.
La Jeune saccageait les poils blancs à son tour.
Toutes deux firent tant, que notre tête grise
Demeura sans cheveux, et se douta du tour.
Je vous rends, leur dit-il, mille grâces, les Belles,
Qui m'avez si bien tondu :
J'ai plus gagné que perdu ;
Car d'hymen point de nouvelles.
Celle que je prendrais voudrait qu'à sa façon
Je vécusse, et non à la mienne.
Il n'est tête chauve qui tienne ;
Je vous suis obligé, Belles, de la leçon.
Et tirant sur le grison, (3)
Jugea qu'il était saison
De songer au mariage.
Il avait du comptant (4),
Et partant (5)
De quoi choisir. Toutes voulaient lui plaire ;
En quoi notre Amoureux ne se pressait pas tant :
Bien adresser n'est pas petite affaire.
Deux Veuves sur son coeur eurent le plus de part ;
L'une encor verte, et l'autre un peu bien mûre,
Mais qui réparait par son art
Ce qu'avait détruit la nature.
Ces deux Veuves, en badinant,
En riant, en lui faisant fête,
L'allaient quelquefois testonnant (6),
C'est à dire ajustant sa tête.
La Vieille à tous moments de sa part emportait
Un peu du poil noir qui restait,
Afin que son Amant en fût plus à sa guise.
La Jeune saccageait les poils blancs à son tour.
Toutes deux firent tant, que notre tête grise
Demeura sans cheveux, et se douta du tour.
Je vous rends, leur dit-il, mille grâces, les Belles,
Qui m'avez si bien tondu :
J'ai plus gagné que perdu ;
Car d'hymen point de nouvelles.
Celle que je prendrais voudrait qu'à sa façon
Je vécusse, et non à la mienne.
Il n'est tête chauve qui tienne ;
Je vous suis obligé, Belles, de la leçon.
(*) Sources : Phèdre (II,2)
Voici un extrait de la traduction Sacy,(cit. par M.Fumaroli : L.F., fables, coll. La Pochothèque)
[...] Ainsi toutes deux voulant paraître être de son âge, commencèrent à lui arracher les poils de la tête. Lui s'imaginant que ces femmes avaient soin de lui bien ajuster les cheveux, devint chauve tout d'un coup [...]
(1) "entre 2 âges, c'est à trente ans" (Furetière : cité par J.P. Collinet dans La Pléiade)
(2) d'âge moyen
(3) gris, en parlant de cheveux, de la barbe
(4) de l'argent comptant
(5) par conséquent
(6) coiffer, peigner
Voici un extrait de la traduction Sacy,(cit. par M.Fumaroli : L.F., fables, coll. La Pochothèque)
[...] Ainsi toutes deux voulant paraître être de son âge, commencèrent à lui arracher les poils de la tête. Lui s'imaginant que ces femmes avaient soin de lui bien ajuster les cheveux, devint chauve tout d'un coup [...]
(1) "entre 2 âges, c'est à trente ans" (Furetière : cité par J.P. Collinet dans La Pléiade)
(2) d'âge moyen
(3) gris, en parlant de cheveux, de la barbe
(4) de l'argent comptant
(5) par conséquent
(6) coiffer, peigner
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Re: Jean de la Fontaine
L’HOMME ET LA COULEUVRE
Un Homme vit une Couleuvre (1).
Ah ! méchante, dit-il, je m'en vais faire une œuvre
Agréable à tout l'univers.
À ces mots, l'animal pervers
(C'est le Serpent que je veux dire,
Et non l'Homme : on pourrait aisément s'y tromper),
A ces mots, le Serpent, se laissant attraper,
Est pris, mis en un sac , et, ce qui fut le pire,
On résolut sa mort, fût-il coupable ou non.
Afin de le payer toutefois de raison, (2)
L'autre lui fit cette harangue :
Symbole des ingrats, être bon aux méchants,
C'est être sot, meurs donc : ta colère et tes dents
Ne me nuiront jamais. Le Serpent, en sa langue,
Reprit du mieux qu'il put : S'il fallait condamner
Tous les ingrats qui sont au monde,
A qui pourrait-on pardonner ?
Toi-même tu te fais ton procès. Je me fonde
Sur tes propres leçons ; jette les yeux sur toi.
Mes jours sont en tes mains, tranche-les : ta justice,
C'est ton utilité, ton plaisir, ton caprice ;
Selon ces lois, condamne-moi ;
Mais trouve bon qu'avec franchise
En mourant au moins je te dise
Que le symbole des ingrats
Ce n'est point le serpent, c'est l'homme. Ces paroles
Firent arrêter l'autre ; il recula d'un pas.
Enfin il repartit : Tes raisons sont frivoles :
Je pourrais décider, car ce droit m'appartient ;
Mais rapportons -nous-en. Soit fait, dit le Reptile.
Une Vache était là, l'on l'appelle, elle vient,
Le cas est proposé ; c'était chose facile :
Fallait-il pour cela, dit-elle, m'appeler ?
La Couleuvre a raison ; pourquoi dissimuler ?
Je nourris celui-ci depuis longues années ;
Il n'a sans mes bienfaits passé nulles journées ;
Tout n'est que pour lui seul ; mon lait et mes enfants
Le font à la maison revenir les mains pleines ;
Même j'ai rétabli sa santé, que les ans
Avaient altérée, et mes peines
Ont pour but son plaisir ainsi que son besoin.
Enfin me voilà vieille ; il me laisse en un coin
Sans herbe ; s'il voulait encor me laisser paître !
Mais je suis attachée ; et si j'eusse eu pour maître
Un serpent, eût-il su jamais pousser si loin
L’ingratitude ? Adieu : j’ai dit ce que je pense.
L'Homme tout étonné d'une telle sentence
Dit au Serpent : Faut-il croire ce qu'elle dit ?
C'est une radoteuse, elle a perdu l'esprit.
Croyons ce Bœuf. Croyons, dit la rampante bête.
Ainsi dit, ainsi fait. Le Bœuf vient à pas lents.
Quand il eut ruminé tout le cas en sa tête,
Il dit que du labeur des ans
Pour nous seuls il portait les soins (3) les plus pesants,
Parcourant sans cesser ce long cercle de peines
Qui, revenant sur soi ramenait dans nos plaines
Ce que Cérès (4) nous donne, et vend aux animaux.
Que cette suite de travaux
Pour récompense avait, de tous tant que nous sommes,
Force coups, peu de gré ; puis, quand il était vieux,
On croyait l'honorer chaque fois que les hommes
Achetaient de son sang l'indulgence des Dieux.
Ainsi parla le Bœuf. L'Homme dit : Faisons taire
Cet ennuyeux déclamateur ;
Il cherche de grands mots, et vient ici se faire,
Au lieu d'arbitre, accusateur.
Je le récuse aussi. L'arbre étant pris pour juge,
Ce fut bien pis encore. Il servait de refuge
Contre le chaud, la pluie, et la fureur des vents ;
Pour nous seuls il ornait les jardins et les champs.
L'ombrage n'était pas le seul bien qu'il sût faire ;
Il courbait sous les fruits ; cependant pour salaire
Un rustre l'abattait, c'était là son loyer ;
Quoique pendant tout l'an libéral il nous donne
Ou des fleurs au Printemps, ou du fruit en Automne ;
L'ombre, l'été, l'hiver, les plaisirs du foyer.
Que ne l'émondait-on, sans prendre la cognée ?
De son tempérament il eût encor vécu.
L'Homme trouvant mauvais que l'on l'eût convaincu,
Voulut à toute force avoir cause gagnée.
Je suis bien bon, dit-il, d'écouter ces gens-là.
Du sac et du Serpent aussitôt il donna
Contre les murs, tant qu'il tua la bête.
On en use ainsi chez les grands.
La raison les offense ; ils se mettent en tête
Que tout est né pour eux, quadrupèdes, et gens,
Et serpents.
Si quelqu'un desserre les dents,
C'est un sot. J'en conviens. Mais que faut-il donc faire ?
Parler de loin ; ou bien se taire.
Ah ! méchante, dit-il, je m'en vais faire une œuvre
Agréable à tout l'univers.
À ces mots, l'animal pervers
(C'est le Serpent que je veux dire,
Et non l'Homme : on pourrait aisément s'y tromper),
A ces mots, le Serpent, se laissant attraper,
Est pris, mis en un sac , et, ce qui fut le pire,
On résolut sa mort, fût-il coupable ou non.
Afin de le payer toutefois de raison, (2)
L'autre lui fit cette harangue :
Symbole des ingrats, être bon aux méchants,
C'est être sot, meurs donc : ta colère et tes dents
Ne me nuiront jamais. Le Serpent, en sa langue,
Reprit du mieux qu'il put : S'il fallait condamner
Tous les ingrats qui sont au monde,
A qui pourrait-on pardonner ?
Toi-même tu te fais ton procès. Je me fonde
Sur tes propres leçons ; jette les yeux sur toi.
Mes jours sont en tes mains, tranche-les : ta justice,
C'est ton utilité, ton plaisir, ton caprice ;
Selon ces lois, condamne-moi ;
Mais trouve bon qu'avec franchise
En mourant au moins je te dise
Que le symbole des ingrats
Ce n'est point le serpent, c'est l'homme. Ces paroles
Firent arrêter l'autre ; il recula d'un pas.
Enfin il repartit : Tes raisons sont frivoles :
Je pourrais décider, car ce droit m'appartient ;
Mais rapportons -nous-en. Soit fait, dit le Reptile.
Une Vache était là, l'on l'appelle, elle vient,
Le cas est proposé ; c'était chose facile :
Fallait-il pour cela, dit-elle, m'appeler ?
La Couleuvre a raison ; pourquoi dissimuler ?
Je nourris celui-ci depuis longues années ;
Il n'a sans mes bienfaits passé nulles journées ;
Tout n'est que pour lui seul ; mon lait et mes enfants
Le font à la maison revenir les mains pleines ;
Même j'ai rétabli sa santé, que les ans
Avaient altérée, et mes peines
Ont pour but son plaisir ainsi que son besoin.
Enfin me voilà vieille ; il me laisse en un coin
Sans herbe ; s'il voulait encor me laisser paître !
Mais je suis attachée ; et si j'eusse eu pour maître
Un serpent, eût-il su jamais pousser si loin
L’ingratitude ? Adieu : j’ai dit ce que je pense.
L'Homme tout étonné d'une telle sentence
Dit au Serpent : Faut-il croire ce qu'elle dit ?
C'est une radoteuse, elle a perdu l'esprit.
Croyons ce Bœuf. Croyons, dit la rampante bête.
Ainsi dit, ainsi fait. Le Bœuf vient à pas lents.
Quand il eut ruminé tout le cas en sa tête,
Il dit que du labeur des ans
Pour nous seuls il portait les soins (3) les plus pesants,
Parcourant sans cesser ce long cercle de peines
Qui, revenant sur soi ramenait dans nos plaines
Ce que Cérès (4) nous donne, et vend aux animaux.
Que cette suite de travaux
Pour récompense avait, de tous tant que nous sommes,
Force coups, peu de gré ; puis, quand il était vieux,
On croyait l'honorer chaque fois que les hommes
Achetaient de son sang l'indulgence des Dieux.
Ainsi parla le Bœuf. L'Homme dit : Faisons taire
Cet ennuyeux déclamateur ;
Il cherche de grands mots, et vient ici se faire,
Au lieu d'arbitre, accusateur.
Je le récuse aussi. L'arbre étant pris pour juge,
Ce fut bien pis encore. Il servait de refuge
Contre le chaud, la pluie, et la fureur des vents ;
Pour nous seuls il ornait les jardins et les champs.
L'ombrage n'était pas le seul bien qu'il sût faire ;
Il courbait sous les fruits ; cependant pour salaire
Un rustre l'abattait, c'était là son loyer ;
Quoique pendant tout l'an libéral il nous donne
Ou des fleurs au Printemps, ou du fruit en Automne ;
L'ombre, l'été, l'hiver, les plaisirs du foyer.
Que ne l'émondait-on, sans prendre la cognée ?
De son tempérament il eût encor vécu.
L'Homme trouvant mauvais que l'on l'eût convaincu,
Voulut à toute force avoir cause gagnée.
Je suis bien bon, dit-il, d'écouter ces gens-là.
Du sac et du Serpent aussitôt il donna
Contre les murs, tant qu'il tua la bête.
On en use ainsi chez les grands.
La raison les offense ; ils se mettent en tête
Que tout est né pour eux, quadrupèdes, et gens,
Et serpents.
Si quelqu'un desserre les dents,
C'est un sot. J'en conviens. Mais que faut-il donc faire ?
Parler de loin ; ou bien se taire.
La source est d'origine indienne (Pilpay, Le Livre des Lumières, 1644, p. 204-209) (Chez Pilpay, l'homme sauve la couleuvre du feu, mais celle-ci passe sa rage sur son sauveur ; il faudra la ruse du renard pour qu'elle se laisse reprendre.)
Les discours des "condamnés" (cf Le Loup et l'agneau, le Milan et le Rossignol, le Villageois et le serpent) une fois de plus, ne dissuadent pas les "boureaux"...
Le discours des trois animaux appelés en défenseurs renvoie à de nombreux passages des Géorgiques de Virgile.
(1) sorte d'insecte rond qui a les dents venimeuses (Richelet). Au XVIIe, ce mot s'applique à tout serpent
(2) afin de lui donner une raison
(3) il supportait les efforts
(4) les produits de la terre ne sont dons que pour l'homme. C'est le travail de l'animal qui les achète.
Les discours des "condamnés" (cf Le Loup et l'agneau, le Milan et le Rossignol, le Villageois et le serpent) une fois de plus, ne dissuadent pas les "boureaux"...
Le discours des trois animaux appelés en défenseurs renvoie à de nombreux passages des Géorgiques de Virgile.
(1) sorte d'insecte rond qui a les dents venimeuses (Richelet). Au XVIIe, ce mot s'applique à tout serpent
(2) afin de lui donner une raison
(3) il supportait les efforts
(4) les produits de la terre ne sont dons que pour l'homme. C'est le travail de l'animal qui les achète.
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Re: Jean de la Fontaine
L’HOMME ET LA PUCE
Par des vœux importuns nous fatiguons les dieux :
Souvent pour des sujets même indignes des hommes.
Il semble que le Ciel sur tous tant que nous sommes
Soit obligé d'avoir incessamment les yeux,
Et que le plus petit de la race mortelle,
A chaque pas qu'il fait, à chaque bagatelle,
Doive intriguer (1) l'Olympe et tous ses citoyens,
Comme s'il s'agissait des Grecs et des Troyens.
Un Sot par une Puce eut l'épaule mordue.
Dans les plis de ses draps elle alla se loger.
Hercule, ce dit-il, tu devais bien purger
La terre de cette Hydre (2) au printemps revenue.
Que fais-tu, Jupiter, que du haut de la nue
Tu n'en perdes (3) la race afin de me venger ?
Pour tuer une Puce il voulait obliger
Ces Dieux à lui prêter leur foudre et leur massue.
Souvent pour des sujets même indignes des hommes.
Il semble que le Ciel sur tous tant que nous sommes
Soit obligé d'avoir incessamment les yeux,
Et que le plus petit de la race mortelle,
A chaque pas qu'il fait, à chaque bagatelle,
Doive intriguer (1) l'Olympe et tous ses citoyens,
Comme s'il s'agissait des Grecs et des Troyens.
Un Sot par une Puce eut l'épaule mordue.
Dans les plis de ses draps elle alla se loger.
Hercule, ce dit-il, tu devais bien purger
La terre de cette Hydre (2) au printemps revenue.
Que fais-tu, Jupiter, que du haut de la nue
Tu n'en perdes (3) la race afin de me venger ?
Pour tuer une Puce il voulait obliger
Ces Dieux à lui prêter leur foudre et leur massue.
Sources : Esope : La puce et l'athlète
(1) embarrasser
(2) allusion comique à l'Hydre de Lerne dont les têtes repoussaient... aussitôt coupées (évocation d'un des 12 travaux d'Hercule)
(3) détruises
(1) embarrasser
(2) allusion comique à l'Hydre de Lerne dont les têtes repoussaient... aussitôt coupées (évocation d'un des 12 travaux d'Hercule)
(3) détruises
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Re: Jean de la Fontaine
L’HOMME ET SON IMAGE(*)
Pour M.L.D.D.L.R. (**)
Un Homme qui s'aimait sans avoir de rivaux
Passait dans son esprit pour le plus beau du monde :
Il accusait toujours les miroirs d'être faux,
Vivant plus que content dans son erreur profonde.
Afin de le guérir, le Sort officieux (1)
Présentait partout à ses yeux
Les conseillers muets dont se servent nos Dames ;
Miroirs dans les logis, miroirs chez les Marchands,
Miroirs aux poches des Galands, (2)
Miroirs aux ceintures des femmes.
Que fait notre Narcisse? Il se va confiner
Aux lieux les plus cachés qu'il peut s'imaginer,
N'osant plus des miroirs éprouver l'aventure. (3)
Mais un canal formé par une source pure,
Se trouve en ces lieux écartés :
Il s'y voit, il se fâche ; et ses yeux irrités
Pensent apercevoir une chimère vaine.
Il fait tout ce qu'il peut pour éviter cette eau.
Mais quoi, le canal est si beau
Qu'il ne le quitte qu'avec peine.
On voit bien où je veux venir :
Je parle à tous ; et cette erreur extrême
Est un mal que chacun se plaît d'entretenir.
Notre âme c'est cet Homme amoureux de lui-même ;
Tant de miroirs, ce sont les sottises d'autrui,
Miroirs, de nos défauts les peintres légitimes ;
Et quant au canal, c'est celui
Que chacun sait, le livre des Maximes.
Passait dans son esprit pour le plus beau du monde :
Il accusait toujours les miroirs d'être faux,
Vivant plus que content dans son erreur profonde.
Afin de le guérir, le Sort officieux (1)
Présentait partout à ses yeux
Les conseillers muets dont se servent nos Dames ;
Miroirs dans les logis, miroirs chez les Marchands,
Miroirs aux poches des Galands, (2)
Miroirs aux ceintures des femmes.
Que fait notre Narcisse? Il se va confiner
Aux lieux les plus cachés qu'il peut s'imaginer,
N'osant plus des miroirs éprouver l'aventure. (3)
Mais un canal formé par une source pure,
Se trouve en ces lieux écartés :
Il s'y voit, il se fâche ; et ses yeux irrités
Pensent apercevoir une chimère vaine.
Il fait tout ce qu'il peut pour éviter cette eau.
Mais quoi, le canal est si beau
Qu'il ne le quitte qu'avec peine.
On voit bien où je veux venir :
Je parle à tous ; et cette erreur extrême
Est un mal que chacun se plaît d'entretenir.
Notre âme c'est cet Homme amoureux de lui-même ;
Tant de miroirs, ce sont les sottises d'autrui,
Miroirs, de nos défauts les peintres légitimes ;
Et quant au canal, c'est celui
Que chacun sait, le livre des Maximes.
Avant de commencer la lecture de "Lhomme et son image", rappelons qui était Narcisse : c'est ce jeune homme de la mythologie grecque qui fut séduit par sa propre image reflétée dansl'eau d'une fontaine. Ne pouvant la saisir, ilmourut de cette passion insatisfaite. (d'où le nom de la fleur qui poussa à l'endroit où il mourut et...le narcissisme ...comme vous le saviez )
(*) L.F. semble avoir créé cette allégorie à partirdu mythe de Narcisse (Ovide, "Métamorphoses", III). Ici, son "Narcisse"se croit "le plus beau du monde" (c'est notre complaisance envers nous-mêmes) mais il trouve son image laide dans les miroirs, c'est pourquoi il les fuit (nous refusons de nous reconnaître). Le "canal", c'est le livre des "Maximes".Voici ce qu'en dit La Harpe dans son "éloge de La Fontaine" :"Quoi de plus ingénieusement imaginé pour louer un livre d'une morale piquante, qui plaît à ceux même qu'il censure, que de le comparer au cristal d'une eau transparente, où l'homme vain qui craint tous les miroirs parce qu'il n'en a jamais trouvé d'assez flatteurs, aperçoit malgré lui ses traits dont il veut en vain s'éloigner, et vers laquelle il revient toujours ? Peut-on louer avec plus d'esprit? "
(*) L.F. semble avoir créé cette allégorie à partirdu mythe de Narcisse (Ovide, "Métamorphoses", III). Ici, son "Narcisse"se croit "le plus beau du monde" (c'est notre complaisance envers nous-mêmes) mais il trouve son image laide dans les miroirs, c'est pourquoi il les fuit (nous refusons de nous reconnaître). Le "canal", c'est le livre des "Maximes".Voici ce qu'en dit La Harpe dans son "éloge de La Fontaine" :"Quoi de plus ingénieusement imaginé pour louer un livre d'une morale piquante, qui plaît à ceux même qu'il censure, que de le comparer au cristal d'une eau transparente, où l'homme vain qui craint tous les miroirs parce qu'il n'en a jamais trouvé d'assez flatteurs, aperçoit malgré lui ses traits dont il veut en vain s'éloigner, et vers laquelle il revient toujours ? Peut-on louer avec plus d'esprit? "
(**) M. le duc de La Rochefoucauld
(1) obligeant, qui rend volontiers un bon office (Richelet)
(2) au XVIIème, t ou d
(3) n'osant plus se regarder dans les miroirs
(2) au XVIIème, t ou d
(3) n'osant plus se regarder dans les miroirs
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Re: Jean de la Fontaine
L'Homme qui court après la fortune
et
l'Homme qui l'attend dans son lit
et
l'Homme qui l'attend dans son lit
Qui ne court après la Fortune ?
Je voudrais être en lieu d'où je pusse aisément
Contempler la foule importune
De ceux qui cherchent vainement
Cette fille du sort de Royaume en Royaume,
Fidèles courtisans d'un volage fantôme.
Quand ils sont près du bon moment,
L'inconstante aussitôt à leurs désirs échappe :
Pauvres gens, je les plains, car on a pour les fous
Plus de pitié que de courroux.
Cet homme, disent-ils, était planteur de choux,
Et le voilà devenu Pape :
Ne le valons-nous pas ? Vous valez cent fois mieux ;
Mais que vous sert votre mérite ?
La Fortune a-t-elle des yeux ?
Et puis la papauté vaut-elle ce qu'on quitte,
Le repos, le repos, trésor si précieux
Qu'on en faisait jadis le partage des Dieux ?
Rarement la Fortune à ses hôtes le laisse.(1)
Ne cherchez point cette Déesse,
Elle vous cherchera ; son sexe en use ainsi.(2)
Certain couple d'Amis en un bourg établi,
Possédait quelque bien : l'un soupirait sans cesse
Pour la Fortune ; il dit à l'autre un jour :
Si nous quittions notre séjour ? (3)
Vous savez que nul n'est prophète
En son pays : cherchons notre aventure ailleurs.
Cherchez, dit l'autre Ami, pour moi je ne souhaite
Ni climats ni destins meilleurs.
Contentez-vous ; suivez votre humeur inquiète ; (4)
Vous reviendrez bientôt. Je fais voeu cependant
De dormir en vous attendant.
L'ambitieux, ou si l'on veut, l'avare,(5)
S'en va par voie et par chemin.
Il arriva le lendemain
En un lieu que devait la Déesse bizarre (6)
Fréquenter sur tout autre ; et ce lieu, c'est la cour.
Là donc pour quelque temps il fixe son séjour,
Se trouvant au coucher, au lever, à ces heures
Que l'on sait être les meilleures ;
Bref, se trouvant à tout, et n'arrivant à rien.
Qu'est ceci ? ce dit-il, cherchons ailleurs du bien.
La Fortune pourtant habite ces demeures.
Je la vois tous les jours entrer chez celui-ci,
Chez celui-là ; d'où vient qu'aussi
Je ne puis héberger cette capricieuse ?
On me l'avait bien dit, que des gens de ce lieu
L'on n'aime pas toujours l'humeur ambitieuse.
Adieu messieurs de cour ; messieurs de cour adieu :
Suivez jusques au bout une ombre qui vous flatte.
La Fortune a, dit-on, des temples à Surate ; (7)
Allons là. Ce fut un de dire et s'embarquer.
Ames de bronze, humains, celui-là fut sans doute (
Armé de diamant, qui tenta cette route,
Et le premier osa l'abîme défier.
Celui-ci pendant son voyage
Tourna les yeux vers son village
Plus d'une fois, essuyant les dangers
Des pirates, des vents, du calme (9) et des rochers,
Ministres de la mort. Avec beaucoup de peines
On s'en va la chercher en des rives lointaines,
La trouvant assez tôt (10) sans quitter la maison.
L'homme arrive au Mogol ; on lui dit qu'au Japon
La Fortune pour lors distribuait ses grâces.
Il y court ; les mers étaient lasses
De le porter ; et tout le fruit
Qu'il tira de ses longs voyages,
Ce fut cette leçon que donnent les sauvages :
Demeure en ton pays, par la nature instruit.
Le Japon ne fut pas plus heureux à cet homme
Que le Mogol l'avait été ;
Ce qui lui fit conclure en somme,
Qu'il avait à grand tort son village quitté.
Il renonce aux courses ingrates,
Revient en son pays, voit de loin ses pénates,
Pleure de joie, et dit : Heureux, qui vit chez soi ;
De régler ses désirs faisant tout son emploi.
Il ne sait que par ouïr-dire (11)
Ce que c'est que la cour, la mer, et ton empire,
Fortune, qui nous fais passer devant les yeux
Des dignités, des biens, que jusqu'au bout du monde
On suit, sans que l'effet aux promesses réponde.
Désormais je ne bouge, et ferai cent fois mieux.
En raisonnant de cette sorte,
Et contre la Fortune ayant pris ce conseil, (12)
Il la trouve assise à la porte
De son ami plongé dans un profond sommeil.
Je voudrais être en lieu d'où je pusse aisément
Contempler la foule importune
De ceux qui cherchent vainement
Cette fille du sort de Royaume en Royaume,
Fidèles courtisans d'un volage fantôme.
Quand ils sont près du bon moment,
L'inconstante aussitôt à leurs désirs échappe :
Pauvres gens, je les plains, car on a pour les fous
Plus de pitié que de courroux.
Cet homme, disent-ils, était planteur de choux,
Et le voilà devenu Pape :
Ne le valons-nous pas ? Vous valez cent fois mieux ;
Mais que vous sert votre mérite ?
La Fortune a-t-elle des yeux ?
Et puis la papauté vaut-elle ce qu'on quitte,
Le repos, le repos, trésor si précieux
Qu'on en faisait jadis le partage des Dieux ?
Rarement la Fortune à ses hôtes le laisse.(1)
Ne cherchez point cette Déesse,
Elle vous cherchera ; son sexe en use ainsi.(2)
Certain couple d'Amis en un bourg établi,
Possédait quelque bien : l'un soupirait sans cesse
Pour la Fortune ; il dit à l'autre un jour :
Si nous quittions notre séjour ? (3)
Vous savez que nul n'est prophète
En son pays : cherchons notre aventure ailleurs.
Cherchez, dit l'autre Ami, pour moi je ne souhaite
Ni climats ni destins meilleurs.
Contentez-vous ; suivez votre humeur inquiète ; (4)
Vous reviendrez bientôt. Je fais voeu cependant
De dormir en vous attendant.
L'ambitieux, ou si l'on veut, l'avare,(5)
S'en va par voie et par chemin.
Il arriva le lendemain
En un lieu que devait la Déesse bizarre (6)
Fréquenter sur tout autre ; et ce lieu, c'est la cour.
Là donc pour quelque temps il fixe son séjour,
Se trouvant au coucher, au lever, à ces heures
Que l'on sait être les meilleures ;
Bref, se trouvant à tout, et n'arrivant à rien.
Qu'est ceci ? ce dit-il, cherchons ailleurs du bien.
La Fortune pourtant habite ces demeures.
Je la vois tous les jours entrer chez celui-ci,
Chez celui-là ; d'où vient qu'aussi
Je ne puis héberger cette capricieuse ?
On me l'avait bien dit, que des gens de ce lieu
L'on n'aime pas toujours l'humeur ambitieuse.
Adieu messieurs de cour ; messieurs de cour adieu :
Suivez jusques au bout une ombre qui vous flatte.
La Fortune a, dit-on, des temples à Surate ; (7)
Allons là. Ce fut un de dire et s'embarquer.
Ames de bronze, humains, celui-là fut sans doute (
Armé de diamant, qui tenta cette route,
Et le premier osa l'abîme défier.
Celui-ci pendant son voyage
Tourna les yeux vers son village
Plus d'une fois, essuyant les dangers
Des pirates, des vents, du calme (9) et des rochers,
Ministres de la mort. Avec beaucoup de peines
On s'en va la chercher en des rives lointaines,
La trouvant assez tôt (10) sans quitter la maison.
L'homme arrive au Mogol ; on lui dit qu'au Japon
La Fortune pour lors distribuait ses grâces.
Il y court ; les mers étaient lasses
De le porter ; et tout le fruit
Qu'il tira de ses longs voyages,
Ce fut cette leçon que donnent les sauvages :
Demeure en ton pays, par la nature instruit.
Le Japon ne fut pas plus heureux à cet homme
Que le Mogol l'avait été ;
Ce qui lui fit conclure en somme,
Qu'il avait à grand tort son village quitté.
Il renonce aux courses ingrates,
Revient en son pays, voit de loin ses pénates,
Pleure de joie, et dit : Heureux, qui vit chez soi ;
De régler ses désirs faisant tout son emploi.
Il ne sait que par ouïr-dire (11)
Ce que c'est que la cour, la mer, et ton empire,
Fortune, qui nous fais passer devant les yeux
Des dignités, des biens, que jusqu'au bout du monde
On suit, sans que l'effet aux promesses réponde.
Désormais je ne bouge, et ferai cent fois mieux.
En raisonnant de cette sorte,
Et contre la Fortune ayant pris ce conseil, (12)
Il la trouve assise à la porte
De son ami plongé dans un profond sommeil.
Pas de source connue, M. Fumaroli précise que ce pourrait être le simple proverbe La fortune vient en dormant.
(1) à ceux chez lesquels elle se trouve
(2) agit ainsi
(3) l'endroit où nous vivons
(4) votre caractère instable
(5) ici : plein d'envie, de convoitise
(6) que la fantasque déesse devait fréquenter plus que tout autre
(7) Comptoir des Indes important pour le commerce, fondé par Colbert,
( il ne le dit pas deux fois...sans aucun doute
(9) le calme de la mer et l'absence de vent qui immobi lisent le bateau
(10) qu'on trouve pourtant
(11) ouï dire
(12) cette décision
(1) à ceux chez lesquels elle se trouve
(2) agit ainsi
(3) l'endroit où nous vivons
(4) votre caractère instable
(5) ici : plein d'envie, de convoitise
(6) que la fantasque déesse devait fréquenter plus que tout autre
(7) Comptoir des Indes important pour le commerce, fondé par Colbert,
( il ne le dit pas deux fois...sans aucun doute
(9) le calme de la mer et l'absence de vent qui immobi lisent le bateau
(10) qu'on trouve pourtant
(11) ouï dire
(12) cette décision
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Re: Jean de la Fontaine
L’HOROSCOPE
On rencontre sa destinée
Souvent par des chemins qu'on prend pour l'éviter.
Un Père eut pour toute lignée
Un fils qu'il aima trop, jusques à consulter
Sur le sort de sa géniture (1)
Les Diseurs de bonne aventure.
Un de ces gens lui dit, que des Lions surtout
Il éloignât l'enfant jusques à certain âge :
Jusqu'à vingt ans, point davantage.
Le Père pour venir à bout
D'une précaution sur qui roulait (2) la vie
De celui qu'il aimait, défendit que jamais
On lui laissât passer le seuil de son palais.
Il pouvait sans sortir contenter son envie,
Avec ses compagnons tout le jour badiner,
Sauter, courir, se promener.
Quand il fut en l'âge où la chasse
Plaît le plus aux jeunes esprits,
Cet exercice avec mépris
Lui fut dépeint ; mais, quoi qu'on fasse,
Propos, conseil, enseignement,
Rien ne change un tempérament.
Le jeune homme, inquiet (3), ardent, plein de courage,
A peine se sentit des bouillons (4) d'un tel âge,
Qu'il soupira pour ce plaisir.
Plus l'obstacle était grand, plus fort fut le désir.
Il savait le sujet des fatales (5) défenses ;
Et comme ce logis plein de magnificences
Abondait partout en tableaux,
Et que la laine (6) et les pinceaux
Traçaient de tous côtés chasses et paysages,
En cet endroit des animaux,
En cet autre des personnages,
Le jeune homme s'émut, voyant peint un Lion.
Ah ! monstre, cria-t-il, c'est toi qui me fais vivre
Dans l'ombre et dans les fers. A ces mots, il se livre
Aux transports violents de l'indignation,
Porte le poing sur l'innocente bête.
Sous la tapisserie un clou se rencontra.
Ce clou le blesse ; il pénétra
Jusqu'aux ressorts de l'âme ; et cette chère tête
Pour qui l'art d'Esculape (7)en vain fit ce qu'il put,
Dut sa perte à ces soins qu'on prit pour son salut.
Même précaution nuisit au Poète Eschyle.
Quelque Devin le menaça, dit-on,
De la chute d'une maison.
Aussitôt il quitta la ville,
Mit son lit en plein champ, loin des toits, sous les cieux.
Un Aigle, qui portait en l'air une Tortue,
Passa par là, vit l'homme, et sur sa tête nue,
Qui parut un morceau de rocher à ses yeux,
Étant de cheveux dépourvue,
Laissa tomber sa proie, afin de la casser :
Le pauvre Eschyle ainsi sut ses jours avancer.
De ces exemples il résulte
Que cet art, s'il est vrai, fait tomber dans les maux
Que craint celui qui le consulte ;
Mais je l'en justifie, et maintiens qu'il est faux.
Je ne crois point que la nature
Se soit lié les mains, et nous les lie encor,
Jusqu'au point de marquer dans les cieux notre sort.
Il dépend d'une conjoncture
De lieux, de personnes, de temps ;
Non des conjonctions ( de tous ces charlatans.
Ce Berger et ce Roi sont sous même planète ;
L'un d'eux porte le sceptre, et l'autre la houlette :
Jupiter (9) le voulait ainsi.
Qu'est-ce que Jupiter ? un corps sans connaissance.
D'où vient donc que son influence
Agit différemment sur ces deux hommes-ci ?
Puis comment pénétrer jusques à notre monde ?
Comment percer des airs la campagne profonde ?
Percer Mars, le Soleil, et des vuides sans fin ?
Un atome la peut détourner en chemin :
Où l'iront retrouver les faiseurs d'horoscope ?
L'état où nous voyons l'Europe
Mérite que du moins quelqu'un d'eux l'ait prévu ;
Que ne l'a-t-il donc dit ? Mais nul d'eux ne l'a su.
L'immense éloignement, le point, et sa vitesse,
Celle aussi de nos passions,
Permettent-ils à leur faiblesse
De suivre pas à pas toutes nos actions ?
Notre sort en dépend : sa course entre-suivie ,
Ne va, non plus que nous, jamais d'un même pas ;
Et ces gens veulent au compas,
Tracer le cours de notre vie !
Il ne se faut point arrêter
Aux deux faits ambigus que je viens de conter.
Ce fils par trop chéri ni le bonhomme Eschyle,
N'y font rien. Tout aveugle et menteur qu'est cet art,
Il peut frapper au but une fois entre mille ;
Ce sont des effets du hasard.
Souvent par des chemins qu'on prend pour l'éviter.
Un Père eut pour toute lignée
Un fils qu'il aima trop, jusques à consulter
Sur le sort de sa géniture (1)
Les Diseurs de bonne aventure.
Un de ces gens lui dit, que des Lions surtout
Il éloignât l'enfant jusques à certain âge :
Jusqu'à vingt ans, point davantage.
Le Père pour venir à bout
D'une précaution sur qui roulait (2) la vie
De celui qu'il aimait, défendit que jamais
On lui laissât passer le seuil de son palais.
Il pouvait sans sortir contenter son envie,
Avec ses compagnons tout le jour badiner,
Sauter, courir, se promener.
Quand il fut en l'âge où la chasse
Plaît le plus aux jeunes esprits,
Cet exercice avec mépris
Lui fut dépeint ; mais, quoi qu'on fasse,
Propos, conseil, enseignement,
Rien ne change un tempérament.
Le jeune homme, inquiet (3), ardent, plein de courage,
A peine se sentit des bouillons (4) d'un tel âge,
Qu'il soupira pour ce plaisir.
Plus l'obstacle était grand, plus fort fut le désir.
Il savait le sujet des fatales (5) défenses ;
Et comme ce logis plein de magnificences
Abondait partout en tableaux,
Et que la laine (6) et les pinceaux
Traçaient de tous côtés chasses et paysages,
En cet endroit des animaux,
En cet autre des personnages,
Le jeune homme s'émut, voyant peint un Lion.
Ah ! monstre, cria-t-il, c'est toi qui me fais vivre
Dans l'ombre et dans les fers. A ces mots, il se livre
Aux transports violents de l'indignation,
Porte le poing sur l'innocente bête.
Sous la tapisserie un clou se rencontra.
Ce clou le blesse ; il pénétra
Jusqu'aux ressorts de l'âme ; et cette chère tête
Pour qui l'art d'Esculape (7)en vain fit ce qu'il put,
Dut sa perte à ces soins qu'on prit pour son salut.
Même précaution nuisit au Poète Eschyle.
Quelque Devin le menaça, dit-on,
De la chute d'une maison.
Aussitôt il quitta la ville,
Mit son lit en plein champ, loin des toits, sous les cieux.
Un Aigle, qui portait en l'air une Tortue,
Passa par là, vit l'homme, et sur sa tête nue,
Qui parut un morceau de rocher à ses yeux,
Étant de cheveux dépourvue,
Laissa tomber sa proie, afin de la casser :
Le pauvre Eschyle ainsi sut ses jours avancer.
De ces exemples il résulte
Que cet art, s'il est vrai, fait tomber dans les maux
Que craint celui qui le consulte ;
Mais je l'en justifie, et maintiens qu'il est faux.
Je ne crois point que la nature
Se soit lié les mains, et nous les lie encor,
Jusqu'au point de marquer dans les cieux notre sort.
Il dépend d'une conjoncture
De lieux, de personnes, de temps ;
Non des conjonctions ( de tous ces charlatans.
Ce Berger et ce Roi sont sous même planète ;
L'un d'eux porte le sceptre, et l'autre la houlette :
Jupiter (9) le voulait ainsi.
Qu'est-ce que Jupiter ? un corps sans connaissance.
D'où vient donc que son influence
Agit différemment sur ces deux hommes-ci ?
Puis comment pénétrer jusques à notre monde ?
Comment percer des airs la campagne profonde ?
Percer Mars, le Soleil, et des vuides sans fin ?
Un atome la peut détourner en chemin :
Où l'iront retrouver les faiseurs d'horoscope ?
L'état où nous voyons l'Europe
Mérite que du moins quelqu'un d'eux l'ait prévu ;
Que ne l'a-t-il donc dit ? Mais nul d'eux ne l'a su.
L'immense éloignement, le point, et sa vitesse,
Celle aussi de nos passions,
Permettent-ils à leur faiblesse
De suivre pas à pas toutes nos actions ?
Notre sort en dépend : sa course entre-suivie ,
Ne va, non plus que nous, jamais d'un même pas ;
Et ces gens veulent au compas,
Tracer le cours de notre vie !
Il ne se faut point arrêter
Aux deux faits ambigus que je viens de conter.
Ce fils par trop chéri ni le bonhomme Eschyle,
N'y font rien. Tout aveugle et menteur qu'est cet art,
Il peut frapper au but une fois entre mille ;
Ce sont des effets du hasard.
Le canevas de la fable est emprunté à Esope ( Recueil Nevelet p 301-302 : L'enfant et son père. L'histoire d'Eschyle et de la tortue est présente chez Valère Maxime, Pline, G. Cousin.
(1) progéniture
(2) reposait
(3) ici : remuant, agité
(4) agitation, ardeur, transports...
(5) imposées par le destin
(6) les tapisseries
(7) dieu des médecins
( La Fontaine joue sur les mots conjonstion ( rencontre des astres, terme d'astronomie) et conjoncture (résultat de l'entrecroisement de nombreuses causes)
(9) il s'agit de la planète...
(1) progéniture
(2) reposait
(3) ici : remuant, agité
(4) agitation, ardeur, transports...
(5) imposées par le destin
(6) les tapisseries
(7) dieu des médecins
( La Fontaine joue sur les mots conjonstion ( rencontre des astres, terme d'astronomie) et conjoncture (résultat de l'entrecroisement de nombreuses causes)
(9) il s'agit de la planète...
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Re: Jean de la Fontaine
L'HUÎTRE ET LES PLAIDEURS
Un jour deux Pèlerins sur le sable rencontrent
Une Huître que le flot y venait d'apporter :
Ils l'avalent des yeux, du doigt ils se la montrent ;
A l'égard de la dent il fallut contester.(2)
L'un se baissait déjà pour amasser (1) la proie ;
L'autre le pousse, et dit : Il est bon de savoir
Qui de nous en aura la joie.
Celui qui le premier a pu l'apercevoir
En sera le gobeur ; l'autre le verra faire.
Si par là on juge l'affaire,
Reprit son compagnon, j'ai l'oeil bon, Dieu merci.
Je ne l'ai pas mauvais aussi,(3)
Dit l'autre, et je l'ai vue avant vous, sur ma vie.
Eh bien ! vous l'avez vue, et moi je l'ai sentie.
Pendant tout ce bel incident,
Perrin Dandin arrive : ils le prennent pour juge.
Perrin fort gravement ouvre l'Huître, et la gruge, (4)
Nos deux Messieurs le regardant.
Ce repas fait, il dit d'un ton de Président :
Tenez, la cour vous donne à chacun une écaille
Sans dépens, et qu'en paix chacun chez soi s'en aille.
Mettez ce qu'il en coûte à plaider aujourd'hui ;
Comptez ce qu'il en reste à beaucoup de familles ;
Vous verrez que Perrin tire l'argent à lui,
Et ne laisse aux plaideurs que le sac et les quilles (5)
Une Huître que le flot y venait d'apporter :
Ils l'avalent des yeux, du doigt ils se la montrent ;
A l'égard de la dent il fallut contester.(2)
L'un se baissait déjà pour amasser (1) la proie ;
L'autre le pousse, et dit : Il est bon de savoir
Qui de nous en aura la joie.
Celui qui le premier a pu l'apercevoir
En sera le gobeur ; l'autre le verra faire.
Si par là on juge l'affaire,
Reprit son compagnon, j'ai l'oeil bon, Dieu merci.
Je ne l'ai pas mauvais aussi,(3)
Dit l'autre, et je l'ai vue avant vous, sur ma vie.
Eh bien ! vous l'avez vue, et moi je l'ai sentie.
Pendant tout ce bel incident,
Perrin Dandin arrive : ils le prennent pour juge.
Perrin fort gravement ouvre l'Huître, et la gruge, (4)
Nos deux Messieurs le regardant.
Ce repas fait, il dit d'un ton de Président :
Tenez, la cour vous donne à chacun une écaille
Sans dépens, et qu'en paix chacun chez soi s'en aille.
Mettez ce qu'il en coûte à plaider aujourd'hui ;
Comptez ce qu'il en reste à beaucoup de familles ;
Vous verrez que Perrin tire l'argent à lui,
Et ne laisse aux plaideurs que le sac et les quilles (5)
On ne connaît pas la source de cette fable publiée pour la première fois en 1671, traitée aussi par Boileau, sensiblement dans les mêmes années...Peut-être est-elle issue d'une ancienne comédie italienne rapportée au père de Boileau...
La fable de La Fontaine est nettement plus élégante et originale que celle de Boileau...
(1) Ici : ramasser
(2) plaider, discuter..
(3) non plus
(4) la mange (gruger : mot burlesque pour dire "manger" Dict. Richelet)
(5) donner à quelqu'un son sac et ses quilles : proverbe pour congédier quelqu'un (d'après dict. Richelet). Ici : évocation du petit sac de toile où sont les pièces du procès
La fable de La Fontaine est nettement plus élégante et originale que celle de Boileau...
(1) Ici : ramasser
(2) plaider, discuter..
(3) non plus
(4) la mange (gruger : mot burlesque pour dire "manger" Dict. Richelet)
(5) donner à quelqu'un son sac et ses quilles : proverbe pour congédier quelqu'un (d'après dict. Richelet). Ici : évocation du petit sac de toile où sont les pièces du procès
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Re: Jean de la Fontaine
L'ingratitude et l'injustice des Hommes envers la Fortune
Un Trafiquant sur mer par bonheur (1) s'enrichit.
Il triompha des vents pendant plus d'un voyage,
Gouffre, banc, ni rocher, n'exigea de péage
D'aucun de ses ballots ; le sort l'en affranchit.
Sur tous ses compagnons Atropos et Neptune (2)
Recueillirent leur droit, tandis que la Fortune
Prenait soin d'amener son Marchand à bon port.
Facteurs (3), associés, chacun lui fut fidèle.
Il vendit son tabac, son sucre, sa cannelle.
Ce qu'il voulut (4), sa porcelaine encor :
Le luxe et la folie enflèrent son trésor ;
Bref il plut dans son escarcelle.
On ne parlait chez lui que par doubles ducats.
Et mon homme d'avoir chiens, chevaux et carrosses.
Ses jours de jeûne étaient des noces.
Un sien ami, voyant ces somptueux repas,
Lui dit : Et d'où vient donc un si bon ordinaire ?
Et d'où me viendrait-il que de mon savoir-faire ?
Je n'en dois rien qu'à moi, qu'à mes soins (5), qu'au talent
De risquer à propos, et bien placer l'argent.
Le profit lui semblant une fort douce chose,
Il risqua de nouveau le gain qu'il avait fait :
Mais rien, pour cette fois, ne lui vint à souhait.
Son imprudence en fut la cause.
Un vaisseau mal frété périt au premier vent.
Un autre mal pourvu des armes nécessaires
Fut enlevé par les Corsaires.
Un troisième au port arrivant,
Rien n'eut cours (6) ni débit. Le luxe et la folie
N'étaient plus tels qu'auparavant.
Enfin ses facteurs le trompant,
Et lui-même ayant fait grand fracas, chère lie, (7)
Mis beaucoup en plaisirs, en bâtiments beaucoup,
Il devint pauvre tout d'un coup.
Son ami le voyant en mauvais équipage,
Lui dit : D'où vient cela ? De la fortune, hélas !
Consolez-vous, dit l'autre ; et s'il ne lui plaît pas
Que vous soyez heureux ; tout au moins soyez sage.
Je ne sais s'il crut ce conseil ;
Mais je sais que chacun impute en cas pareil
Son bonheur à son industrie,(
Et si de quelque échec notre faute est suivie,
Nous disons injures au sort.
Chose n'est ici plus commune :
Le bien nous le faisons, le mal c'est la Fortune,
On a toujours raison, le destin toujours tort.
Il triompha des vents pendant plus d'un voyage,
Gouffre, banc, ni rocher, n'exigea de péage
D'aucun de ses ballots ; le sort l'en affranchit.
Sur tous ses compagnons Atropos et Neptune (2)
Recueillirent leur droit, tandis que la Fortune
Prenait soin d'amener son Marchand à bon port.
Facteurs (3), associés, chacun lui fut fidèle.
Il vendit son tabac, son sucre, sa cannelle.
Ce qu'il voulut (4), sa porcelaine encor :
Le luxe et la folie enflèrent son trésor ;
Bref il plut dans son escarcelle.
On ne parlait chez lui que par doubles ducats.
Et mon homme d'avoir chiens, chevaux et carrosses.
Ses jours de jeûne étaient des noces.
Un sien ami, voyant ces somptueux repas,
Lui dit : Et d'où vient donc un si bon ordinaire ?
Et d'où me viendrait-il que de mon savoir-faire ?
Je n'en dois rien qu'à moi, qu'à mes soins (5), qu'au talent
De risquer à propos, et bien placer l'argent.
Le profit lui semblant une fort douce chose,
Il risqua de nouveau le gain qu'il avait fait :
Mais rien, pour cette fois, ne lui vint à souhait.
Son imprudence en fut la cause.
Un vaisseau mal frété périt au premier vent.
Un autre mal pourvu des armes nécessaires
Fut enlevé par les Corsaires.
Un troisième au port arrivant,
Rien n'eut cours (6) ni débit. Le luxe et la folie
N'étaient plus tels qu'auparavant.
Enfin ses facteurs le trompant,
Et lui-même ayant fait grand fracas, chère lie, (7)
Mis beaucoup en plaisirs, en bâtiments beaucoup,
Il devint pauvre tout d'un coup.
Son ami le voyant en mauvais équipage,
Lui dit : D'où vient cela ? De la fortune, hélas !
Consolez-vous, dit l'autre ; et s'il ne lui plaît pas
Que vous soyez heureux ; tout au moins soyez sage.
Je ne sais s'il crut ce conseil ;
Mais je sais que chacun impute en cas pareil
Son bonheur à son industrie,(
Et si de quelque échec notre faute est suivie,
Nous disons injures au sort.
Chose n'est ici plus commune :
Le bien nous le faisons, le mal c'est la Fortune,
On a toujours raison, le destin toujours tort.
Source : fable d'Abstemius, L'homme qui disait qu'il était la cause de son bonheur, et la Fortune cause de son malheur
(1) grâce à sa chance, à la Fortune
(2) Atropos : La Parque qui coupait le fil de la vie, donc la Mort
Neptune : Dieu de la mer
(3) personne qui fait du commerce pour le compte d'une autre
(4) le prix qu'il voulut
(5) mes efforts, ma façon de faire
(6) succès
(7) joyeuse vie
( moyen ingénieux
(1) grâce à sa chance, à la Fortune
(2) Atropos : La Parque qui coupait le fil de la vie, donc la Mort
Neptune : Dieu de la mer
(3) personne qui fait du commerce pour le compte d'une autre
(4) le prix qu'il voulut
(5) mes efforts, ma façon de faire
(6) succès
(7) joyeuse vie
( moyen ingénieux
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Re: Jean de la Fontaine
L'IVROGNE ET SA FEMME
Chacun a son défaut, où toujours il revient :
Honte ni peur n'y remédie.
Sur ce propos, d'un conte il me souvient :
Je ne dis rien que je n'appuie
De quelque exemple. Un suppôt (1) de Bacchus
Altérait sa santé, son esprit et sa bourse.
Telles gens n'ont pas fait la moitié de leur course
Qu'ils sont au bout de leurs écus.
Un jour que celui-ci, plein du jus de la treille,
Avait laissé ses sens au fond d'une bouteille,
Sa femme l'enferma dans un certain tombeau.
Là, les vapeurs du vin nouveau
Cuvèrent à loisir. A son réveil il treuve
L'attirail de la mort à l'entour de son corps :
Un luminaire, un drap des morts.
Oh! dit-il, qu'est ceci ? Ma femme est-elle veuve ?
Là-dessus, son épouse, en habit d'Alecton (2),
Masquée et de sa voix contrefaisant le ton,
Vient au prétendu mort, approche de sa bière,
Lui présente un chaudeau (3) propre pour Lucifer.
L'époux alors ne doute en aucune manière
Qu'il ne soit citoyen d'enfer.
Quelle personne es-tu ? dit-il à ce fantôme.
La cellerière (4) du royaume
De Satan, reprit-elle ; et je porte à manger
A ceux qu'enclôt la tombe noire.
Le mari repart sans songer :
Tu ne leur portes point à boire ?
Honte ni peur n'y remédie.
Sur ce propos, d'un conte il me souvient :
Je ne dis rien que je n'appuie
De quelque exemple. Un suppôt (1) de Bacchus
Altérait sa santé, son esprit et sa bourse.
Telles gens n'ont pas fait la moitié de leur course
Qu'ils sont au bout de leurs écus.
Un jour que celui-ci, plein du jus de la treille,
Avait laissé ses sens au fond d'une bouteille,
Sa femme l'enferma dans un certain tombeau.
Là, les vapeurs du vin nouveau
Cuvèrent à loisir. A son réveil il treuve
L'attirail de la mort à l'entour de son corps :
Un luminaire, un drap des morts.
Oh! dit-il, qu'est ceci ? Ma femme est-elle veuve ?
Là-dessus, son épouse, en habit d'Alecton (2),
Masquée et de sa voix contrefaisant le ton,
Vient au prétendu mort, approche de sa bière,
Lui présente un chaudeau (3) propre pour Lucifer.
L'époux alors ne doute en aucune manière
Qu'il ne soit citoyen d'enfer.
Quelle personne es-tu ? dit-il à ce fantôme.
La cellerière (4) du royaume
De Satan, reprit-elle ; et je porte à manger
A ceux qu'enclôt la tombe noire.
Le mari repart sans songer :
Tu ne leur portes point à boire ?
La fable "La chatte métamorphosée en femme" (II,18) illustrait déjà : "chassez le naturel, il revient au galop".
Dans " l'ivrogne et sa femme", conte facétieux plutôt que fable (La Fontaine l'annonce lui-même au vers 3), souvenir....d'Esope, et non invention, La Fontaine illustre la moralité annoncée dès le début du texte.
(1) Ici, les suppôts de Bacchus sont les ivrognes
(2) l'une des Furies, Divinités de la vengeance
(3) bouillon chaud
(4) dans un couvent, religieux(se) responsable des réserves de nourriture
Dans " l'ivrogne et sa femme", conte facétieux plutôt que fable (La Fontaine l'annonce lui-même au vers 3), souvenir....d'Esope, et non invention, La Fontaine illustre la moralité annoncée dès le début du texte.
(1) Ici, les suppôts de Bacchus sont les ivrognes
(2) l'une des Furies, Divinités de la vengeance
(3) bouillon chaud
(4) dans un couvent, religieux(se) responsable des réserves de nourriture
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Re: Jean de la Fontaine
LE JARDINIER ET SON SEIGNEUR
Un amateur de jardinage,
Demi-Bourgeois, demi-Manant,(1)
Possédait en certain village
Un jardin assez propre, et le clos attenant.
Il avait de plant vif (2) fermé cette étendue.
Là croissait à plaisir l'oseille et la laitue,
De quoi faire à Margot pour sa fête un bouquet,
Peu de jasmin d'Espagne , et force serpolet (3).
Cette félicité par un Lièvre troublée
Fit qu'au Seigneur du bourg notre homme se plaignit:
Ce maudit animal vient prendre sa goulée (4)
Soir et matin, dit-il, et des pièges(5) se rit.
Les pierres, les bâtons y perdent leur crédit.
Il est sorcier, je crois. Sorcier, je l'en défie,
Repartit le Seigneur. Fut-il diable, Miraut
En dépit de ses tours, l'attrapera bientôt.
Je vous en déferai, bon homme, sur ma vie.
Et quand ? Et dès demain, sans tarder plus longtemps.
La partie ainsi faite, il vient avec ses gens.
Ca, déjeunons, dit-il, vos poulets sont-ils tendres ?
La fille du logis, qu'on vous voie, approchez.
Quand la marierons-nous ? quand aurons-nous des gendres ?
Bon homme, c'est ce coup qu'il faut, vous m'entendez,
Qu'il faut fouiller à l'escarcelle (6).
Disant ces mots, il fait connaissance avec elle,
Auprès de lui la fait asseoir,
Prend une main, un bras, lève un coin du mouchoir ;
Toutes sottises dont la Belle
Se défend avec grand respect ;
Tant qu'au père à la fin cela devient suspect.
Cependant on fricasse, on se rue en cuisine :
De quand sont vos jambons ? ils ont fort bonne mine.
Monsieur, ils sont à vous. Vraiment, dit le Seigneur,
Je les reçois, et de bon coeur.
Il déjeune très bien ; aussi fait sa famille (7),
Chiens, chevaux et valets, tous gens bien endentés :
Il commande chez l'Hôte, y prend des libertés,
Boit son vin, caresse sa fille.
L'embarras des Chasseurs( succède au déjeuné.
Chacun s'anime et se prépare :
Les trompes et les cors font un tel tintamarre
Que le bon homme est étonné (9).
Le pis fut que l'on mit en piteux équipage
Le pauvre potager : adieu planches, carreaux ;
Adieu chicorée et poreaux (10);
Adieu de quoi mettre au potage.
Le lièvre était gîté dessous un maître chou,
On le quête, on le lance (11) : il s'enfuit par un trou,
Non pas trou, mais trouée, horrible et large plaie
Que l'on fit à la pauvre haie
Par ordre du Seigneur ; car il eût été mal
Qu'on n'eût pu du jardin sortir tout à cheval.
Le bon homme disait : Ce sont là jeux de Prince (12).
Mais on le laissait dire ; et les chiens et les gens
Firent plus de dégât en une heure de temps
Que n'en auraient fait en cent ans
Tous les lièvres de la province.
Petits Princes, videz vos débats entre vous.
De recourir aux Rois vous seriez de grands fous.
Il ne les faut jamais engager dans vos guerres,
Ni les faire entrer sur vos terres.
Demi-Bourgeois, demi-Manant,(1)
Possédait en certain village
Un jardin assez propre, et le clos attenant.
Il avait de plant vif (2) fermé cette étendue.
Là croissait à plaisir l'oseille et la laitue,
De quoi faire à Margot pour sa fête un bouquet,
Peu de jasmin d'Espagne , et force serpolet (3).
Cette félicité par un Lièvre troublée
Fit qu'au Seigneur du bourg notre homme se plaignit:
Ce maudit animal vient prendre sa goulée (4)
Soir et matin, dit-il, et des pièges(5) se rit.
Les pierres, les bâtons y perdent leur crédit.
Il est sorcier, je crois. Sorcier, je l'en défie,
Repartit le Seigneur. Fut-il diable, Miraut
En dépit de ses tours, l'attrapera bientôt.
Je vous en déferai, bon homme, sur ma vie.
Et quand ? Et dès demain, sans tarder plus longtemps.
La partie ainsi faite, il vient avec ses gens.
Ca, déjeunons, dit-il, vos poulets sont-ils tendres ?
La fille du logis, qu'on vous voie, approchez.
Quand la marierons-nous ? quand aurons-nous des gendres ?
Bon homme, c'est ce coup qu'il faut, vous m'entendez,
Qu'il faut fouiller à l'escarcelle (6).
Disant ces mots, il fait connaissance avec elle,
Auprès de lui la fait asseoir,
Prend une main, un bras, lève un coin du mouchoir ;
Toutes sottises dont la Belle
Se défend avec grand respect ;
Tant qu'au père à la fin cela devient suspect.
Cependant on fricasse, on se rue en cuisine :
De quand sont vos jambons ? ils ont fort bonne mine.
Monsieur, ils sont à vous. Vraiment, dit le Seigneur,
Je les reçois, et de bon coeur.
Il déjeune très bien ; aussi fait sa famille (7),
Chiens, chevaux et valets, tous gens bien endentés :
Il commande chez l'Hôte, y prend des libertés,
Boit son vin, caresse sa fille.
L'embarras des Chasseurs( succède au déjeuné.
Chacun s'anime et se prépare :
Les trompes et les cors font un tel tintamarre
Que le bon homme est étonné (9).
Le pis fut que l'on mit en piteux équipage
Le pauvre potager : adieu planches, carreaux ;
Adieu chicorée et poreaux (10);
Adieu de quoi mettre au potage.
Le lièvre était gîté dessous un maître chou,
On le quête, on le lance (11) : il s'enfuit par un trou,
Non pas trou, mais trouée, horrible et large plaie
Que l'on fit à la pauvre haie
Par ordre du Seigneur ; car il eût été mal
Qu'on n'eût pu du jardin sortir tout à cheval.
Le bon homme disait : Ce sont là jeux de Prince (12).
Mais on le laissait dire ; et les chiens et les gens
Firent plus de dégât en une heure de temps
Que n'en auraient fait en cent ans
Tous les lièvres de la province.
Petits Princes, videz vos débats entre vous.
De recourir aux Rois vous seriez de grands fous.
Il ne les faut jamais engager dans vos guerres,
Ni les faire entrer sur vos terres.
On trouve l'idée de la fable suivante, dans Camerarius
"Fabula aesopicae" 1564.
La Fontaine décrit plutôt ici les moeurs de la campagne au XVIIème siècle, en mettant en scène : un jardinier scrupuleux, respectueux des lois ; un seigneur "en pays conquis", bon vivant, sans-gêne, égoïste ; la fille du jardinier, timide, prude, malhabile à écarter les avances du Seigneur.
Les rapports entre les grands et les petits peuvent s'appliquer
au-delà de l'exemple de la fable...
(1) habite le bourg, et possède un jardin à
la campagne
(2) elle était entourée d'une haie vive
(3) le jasmin d'Espagne est une plante de luxe à cette époque, le serpolet beaucoup plus commun
(4) gueule : goulée ; bouche : bouchée...
(5) la pose de pièges est le seul droit accordé aux non nobles ; la chasse est réservée à l'aristocratie
(6) il faut débourser de l'argent
(7) tout son entourage fait de même
( l'embarras causé par les chasseurs
(9) épouvanté
(10) poireaux
(11) termes de chasse à courre (assez burlesque ici pour un lièvre)
(12) proverbe ancien : "Ce sont jeux de princes, ils plaisent à ceux qui les font."
"Fabula aesopicae" 1564.
La Fontaine décrit plutôt ici les moeurs de la campagne au XVIIème siècle, en mettant en scène : un jardinier scrupuleux, respectueux des lois ; un seigneur "en pays conquis", bon vivant, sans-gêne, égoïste ; la fille du jardinier, timide, prude, malhabile à écarter les avances du Seigneur.
Les rapports entre les grands et les petits peuvent s'appliquer
au-delà de l'exemple de la fable...
(1) habite le bourg, et possède un jardin à
la campagne
(2) elle était entourée d'une haie vive
(3) le jasmin d'Espagne est une plante de luxe à cette époque, le serpolet beaucoup plus commun
(4) gueule : goulée ; bouche : bouchée...
(5) la pose de pièges est le seul droit accordé aux non nobles ; la chasse est réservée à l'aristocratie
(6) il faut débourser de l'argent
(7) tout son entourage fait de même
( l'embarras causé par les chasseurs
(9) épouvanté
(10) poireaux
(11) termes de chasse à courre (assez burlesque ici pour un lièvre)
(12) proverbe ancien : "Ce sont jeux de princes, ils plaisent à ceux qui les font."
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Re: Jean de la Fontaine
LA JEUNE VEUVE
La perte d'un Époux ne va point sans soupirs,
On fait beaucoup de bruit, et puis on se console.
Sur les ailes du Temps la Tristesse s'envole ;
Le Temps ramène les plaisirs.
Entre la Veuve d'une année
Et la Veuve d'une journée
La différence est grande : on ne croirait jamais
Que ce fût la même personne :
L'une fait fuir les gens, et l'autre a mille attraits.
Aux soupirs vrais ou faux celle-là s'abandonne ;
C'est toujours même note et pareil entretien :
On dit qu'on est inconsolable ;
On le dit, mais il n'en est rien,
Comme on verra par cette fable,
Ou plutôt par la vérité.
L'Époux d'une jeune Beauté
Partait pour l'autre monde. A ses côtés, sa Femme
Lui criait : Attends-moi, je te suis ; et mon âme,
Aussi bien que la tienne, est prête à s'envoler.
Le Mari fait seul le voyage.
La Belle avait un Père, homme prudent et sage :
Il laissa le torrent couler.(1)
A la fin, pour la consoler,
Ma fille, luit dit-il, c'est trop verser de larmes :
Qu'a besoin le Défunt que vous noyiez vos charmes ?
Puisqu'il est des vivants, ne songez plus aux morts.
Je ne dis pas que tout à l'heure (2)
Une condition meilleure
Change en des noces ces transports (3) ;
Mais après certain temps souffrez qu'on vous propose
Un époux beau, bien fait, jeune, et tout autre chose
Que le Défunt. Ah ! dit-elle aussitôt,
Un cloître est l'époux qu'il me faut.
Le père lui laissa digérer sa disgrâce. (4)
Un mois de la sorte se passe.
L'autre mois, on l'emploie à changer tous les jours
Quelque chose à l'habit, au linge, à la coiffure.
Le deuil enfin sert de parure,
En attendant d'autres atours.
Toute la bande des Amours
Revient au colombier ; les Jeux, les Ris, la Danse,
Ont aussi leur tour à la fin :
On se plonge soir et matin
Dans la fontaine de Jouvence. (5)
Le père ne craint plus ce défunt tant chéri ;
Mais comment il ne parlait de rien à notre Belle :
Où donc est le jeune mari
Que vous m'avez promis ? dit-elle.
On fait beaucoup de bruit, et puis on se console.
Sur les ailes du Temps la Tristesse s'envole ;
Le Temps ramène les plaisirs.
Entre la Veuve d'une année
Et la Veuve d'une journée
La différence est grande : on ne croirait jamais
Que ce fût la même personne :
L'une fait fuir les gens, et l'autre a mille attraits.
Aux soupirs vrais ou faux celle-là s'abandonne ;
C'est toujours même note et pareil entretien :
On dit qu'on est inconsolable ;
On le dit, mais il n'en est rien,
Comme on verra par cette fable,
Ou plutôt par la vérité.
L'Époux d'une jeune Beauté
Partait pour l'autre monde. A ses côtés, sa Femme
Lui criait : Attends-moi, je te suis ; et mon âme,
Aussi bien que la tienne, est prête à s'envoler.
Le Mari fait seul le voyage.
La Belle avait un Père, homme prudent et sage :
Il laissa le torrent couler.(1)
A la fin, pour la consoler,
Ma fille, luit dit-il, c'est trop verser de larmes :
Qu'a besoin le Défunt que vous noyiez vos charmes ?
Puisqu'il est des vivants, ne songez plus aux morts.
Je ne dis pas que tout à l'heure (2)
Une condition meilleure
Change en des noces ces transports (3) ;
Mais après certain temps souffrez qu'on vous propose
Un époux beau, bien fait, jeune, et tout autre chose
Que le Défunt. Ah ! dit-elle aussitôt,
Un cloître est l'époux qu'il me faut.
Le père lui laissa digérer sa disgrâce. (4)
Un mois de la sorte se passe.
L'autre mois, on l'emploie à changer tous les jours
Quelque chose à l'habit, au linge, à la coiffure.
Le deuil enfin sert de parure,
En attendant d'autres atours.
Toute la bande des Amours
Revient au colombier ; les Jeux, les Ris, la Danse,
Ont aussi leur tour à la fin :
On se plonge soir et matin
Dans la fontaine de Jouvence. (5)
Le père ne craint plus ce défunt tant chéri ;
Mais comment il ne parlait de rien à notre Belle :
Où donc est le jeune mari
Que vous m'avez promis ? dit-elle.
Sources : Abstemius, fable 14 (figure dans le Nevelet) : La femme qui pleurait son mari mourant et son père qui la consolait.
Il est clair qu'ici, l'instinct vital de la jeune veuve, tout en se pliant aux oscillations décrites par le sage désabusé, n'en finit pas moins avec la pleine sympathie du poète, à "tourner du côté du bonheur" (M. Fumaroli : La Fontaine, Fables, Ed. La Pochothèque, p.869)
(1) ... Les larmes !
(2) A l'instant
(3) Ici : Mouvements de douleur de l'âme
(4) Son malheur
(5 La fontaine de Jouvence, légendaire, ou fontaine de vie, ou fontaine d'immortalité est ici source de perpétuel rajeunissement.
Il est clair qu'ici, l'instinct vital de la jeune veuve, tout en se pliant aux oscillations décrites par le sage désabusé, n'en finit pas moins avec la pleine sympathie du poète, à "tourner du côté du bonheur" (M. Fumaroli : La Fontaine, Fables, Ed. La Pochothèque, p.869)
(1) ... Les larmes !
(2) A l'instant
(3) Ici : Mouvements de douleur de l'âme
(4) Son malheur
(5 La fontaine de Jouvence, légendaire, ou fontaine de vie, ou fontaine d'immortalité est ici source de perpétuel rajeunissement.
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Re: Jean de la Fontaine
LE JUGE ARBITRE, L'HOSPITALIER (1) ET LE SOLITAIRE
Trois Saints, également jaloux (2) de leur salut,
Portés d'un même esprit, tendaient à même but.
Ils s'y prirent tous trois par des routes diverses :
Tous chemins vont à Rome : ainsi nos Concurrents
Crurent pouvoir choisir des sentiers différents.
L'un, touché des soucis, des longueurs, des traverses, (3)
Qu'en apanage (4) on voit aux procès attachés,
S'offrit de les juger sans récompense aucune,
Peu soigneux d'établir ici-bas sa fortune. (5)
Depuis qu'il est des lois, l'Homme pour ses péchés
Se condamne à plaider la moitié de sa vie.
La moitié ? les trois quarts, et bien souvent le tout.
Le Conciliateur crut qu'il viendrait à bout
De guérir cette folle et détestable envie.
Le second de nos Saints choisit les hôpitaux.
Je le loue ; et le soin de soulager ces maux
Est une charité que je préfère aux autres.
Les malades d'alors, étant tels que les nôtres,
Donnaient de l'exercice (6) au pauvre Hospitalier,
Chagrins, impatients, et se plaignant sans cesse :
Il a pour tels et tels un soin particulier ;
Ce sont ses amis ; il nous laisse.
Ces plaintes n'étaient rien au prix de l'embarras
Où se trouva réduit l'Appointeur de débats : (7)
Aucun n'était content ; la sentence arbitrale
À nul des deux ne convenait :
Jamais le Juge ne tenait
À leur gré la balance égale.
De semblables discours rebutaient l'Appointeur :
Il court aux hôpitaux, va voir leur Directeur :
Tous deux ne recueillant que plainte et que murmure,
Affligés, et contraints de quitter ces emplois,
Vont confier leur peine au silence des bois.
Là sous d'âpres rochers, près d'une source pure,
Lieu respecté des vents, ignoré du soleil,
Ils trouvent l'autre Saint, lui demandent conseil.
Il faut, dit leur ami, le prendre de soi-même.
Qui mieux que vous sait vos besoins ?
Apprendre à se connaître est le premier des soins
Qu'impose à tous mortels la Majesté suprême.
Vous êtes-vous connus dans le monde habité ?
L'on ne le peut qu'aux lieux pleins de tranquillité :
Chercher ailleurs ce bien est une erreur extrême.
Troublez l'eau : vous y voyez-vous ?
Agitez celle-ci. Comment nous verrions-nous ?
La vase est un épais nuage
Qu'aux effets du cristal ( nous venons d'opposer.
Mes frères, dit le Saint, laissez-la reposer,
Vous verrez alors votre image.
Pour vous mieux contempler demeurez au désert.
Ainsi parla le Solitaire. (9)
Il fut cru, l'on suivit ce conseil salutaire.
Ce n'est pas qu'un emploi ne doive être souffert.
Puisqu'on plaide, et qu'on meurt, et qu'on devient malade,
Il faut des médecins, il faut des avocats.
Ces secours, grâce à Dieu, ne nous manqueront pas ;
Les honneurs et le gain, tout me le persuade.
Cependant on s'oublie en ces communs besoins.
Ô vous, dont le public emporte tous les soins,
Magistrats, Princes et Ministres,
Vous que doivent troubler mille accidents sinistres,
Que le malheur abat, que le bonheur corrompt,
Vous ne vous voyez point, vous ne voyez personne.
Si quelque bon moment à ces pensers vous donne,
Quelque flatteur vous interrompt.
Cette leçon sera la fin de ces ouvrages :
Puisse-t-elle être utile aux siècles à venir !
Je la présente aux Rois, je la propose aux Sages ;
Par où saurais-je mieux finir ?
Portés d'un même esprit, tendaient à même but.
Ils s'y prirent tous trois par des routes diverses :
Tous chemins vont à Rome : ainsi nos Concurrents
Crurent pouvoir choisir des sentiers différents.
L'un, touché des soucis, des longueurs, des traverses, (3)
Qu'en apanage (4) on voit aux procès attachés,
S'offrit de les juger sans récompense aucune,
Peu soigneux d'établir ici-bas sa fortune. (5)
Depuis qu'il est des lois, l'Homme pour ses péchés
Se condamne à plaider la moitié de sa vie.
La moitié ? les trois quarts, et bien souvent le tout.
Le Conciliateur crut qu'il viendrait à bout
De guérir cette folle et détestable envie.
Le second de nos Saints choisit les hôpitaux.
Je le loue ; et le soin de soulager ces maux
Est une charité que je préfère aux autres.
Les malades d'alors, étant tels que les nôtres,
Donnaient de l'exercice (6) au pauvre Hospitalier,
Chagrins, impatients, et se plaignant sans cesse :
Il a pour tels et tels un soin particulier ;
Ce sont ses amis ; il nous laisse.
Ces plaintes n'étaient rien au prix de l'embarras
Où se trouva réduit l'Appointeur de débats : (7)
Aucun n'était content ; la sentence arbitrale
À nul des deux ne convenait :
Jamais le Juge ne tenait
À leur gré la balance égale.
De semblables discours rebutaient l'Appointeur :
Il court aux hôpitaux, va voir leur Directeur :
Tous deux ne recueillant que plainte et que murmure,
Affligés, et contraints de quitter ces emplois,
Vont confier leur peine au silence des bois.
Là sous d'âpres rochers, près d'une source pure,
Lieu respecté des vents, ignoré du soleil,
Ils trouvent l'autre Saint, lui demandent conseil.
Il faut, dit leur ami, le prendre de soi-même.
Qui mieux que vous sait vos besoins ?
Apprendre à se connaître est le premier des soins
Qu'impose à tous mortels la Majesté suprême.
Vous êtes-vous connus dans le monde habité ?
L'on ne le peut qu'aux lieux pleins de tranquillité :
Chercher ailleurs ce bien est une erreur extrême.
Troublez l'eau : vous y voyez-vous ?
Agitez celle-ci. Comment nous verrions-nous ?
La vase est un épais nuage
Qu'aux effets du cristal ( nous venons d'opposer.
Mes frères, dit le Saint, laissez-la reposer,
Vous verrez alors votre image.
Pour vous mieux contempler demeurez au désert.
Ainsi parla le Solitaire. (9)
Il fut cru, l'on suivit ce conseil salutaire.
Ce n'est pas qu'un emploi ne doive être souffert.
Puisqu'on plaide, et qu'on meurt, et qu'on devient malade,
Il faut des médecins, il faut des avocats.
Ces secours, grâce à Dieu, ne nous manqueront pas ;
Les honneurs et le gain, tout me le persuade.
Cependant on s'oublie en ces communs besoins.
Ô vous, dont le public emporte tous les soins,
Magistrats, Princes et Ministres,
Vous que doivent troubler mille accidents sinistres,
Que le malheur abat, que le bonheur corrompt,
Vous ne vous voyez point, vous ne voyez personne.
Si quelque bon moment à ces pensers vous donne,
Quelque flatteur vous interrompt.
Cette leçon sera la fin de ces ouvrages :
Puisse-t-elle être utile aux siècles à venir !
Je la présente aux Rois, je la propose aux Sages ;
Par où saurais-je mieux finir ?
"Le juge arbitre, l'hospitalier et le Solitaire" est la dernière fable du dernier recueil et constitue sans aucun doute le "testament spirituel" de La Fontaine.
"Cette leçon sera la fin de ces ouvrages". Elle date certainement du printemps de 1693
A cette époque :
Décembre 1692 : maladie très grave de LaFontaine, conversion, confession générale
12 février 1693 : séance publique de désaveu des Contes après avoir entre autres, jeté au feu une comédie manuscrite.
printemps 1693 : L.F. est convalescent...
26 octobre 1693 : Il écrit à Maucroix " Je continue à bien me porter et ai un appétit et une vigueur enragée" et puis :
" Je mourrais d'ennui si je ne composais plus" donc :
"Le juge arbitre... est le testament du poète des Fables, c'est un chef-d'oeuvre écrit à un moment où le poète est en pleine possession de sa vigueur et de sa pensée et il faut le lire à la lumière de l'oeuvre entière et non d'accidents biographiques extérieurs à celle-ci"
(M.Fumaroli : L.F., fables)
L'inspiration en est puisée dans "Les vies des Saints Pères des déserts (1647-1653) pieuses légendes anciennes traduites par Arnaud d'Andilly, l'un des Solitaires de Port-Royal.
Il s'agit dans cette fable de la question du "salut" de l'âme. La Fontaine décrit 3 expériences qui naissent de la même situation mais engagent 3 voies différentes.
Le Solitaire amène ses deux visiteurs à trouver en eux-mêmes la réponse à leurs questions dans le précepte de Socrate "Connais-toi toi-même"
(1) religieux(se) qui fait voeu de servir, d'assister pauvres et malades reçus dans un hôpital
(2) désireux de
(3) obstacle, empêchement
(4) au figuré : suites et conséquences d'une chose
(5) la justice officielle étant lente et coûteuse, la Compagnie du Saint-Sacrement avait institué des "arbitres charitables"chargés d'une mission de "conciliateurs" pour assister les plaideurs.
(6) occasion d'exercer la charité
(7) gens qui s'empressent de faire toutes sortes d'accomodements ; "des débats"
( l'eau....transparente comme le cristal
(9) désert et solitaire évoquent Port-Royal.
Le solitaire peut représenter ici tous ceux qu'attire la vie contemplative.
"Cette leçon sera la fin de ces ouvrages". Elle date certainement du printemps de 1693
A cette époque :
Décembre 1692 : maladie très grave de LaFontaine, conversion, confession générale
12 février 1693 : séance publique de désaveu des Contes après avoir entre autres, jeté au feu une comédie manuscrite.
printemps 1693 : L.F. est convalescent...
26 octobre 1693 : Il écrit à Maucroix " Je continue à bien me porter et ai un appétit et une vigueur enragée" et puis :
" Je mourrais d'ennui si je ne composais plus" donc :
"Le juge arbitre... est le testament du poète des Fables, c'est un chef-d'oeuvre écrit à un moment où le poète est en pleine possession de sa vigueur et de sa pensée et il faut le lire à la lumière de l'oeuvre entière et non d'accidents biographiques extérieurs à celle-ci"
(M.Fumaroli : L.F., fables)
L'inspiration en est puisée dans "Les vies des Saints Pères des déserts (1647-1653) pieuses légendes anciennes traduites par Arnaud d'Andilly, l'un des Solitaires de Port-Royal.
Il s'agit dans cette fable de la question du "salut" de l'âme. La Fontaine décrit 3 expériences qui naissent de la même situation mais engagent 3 voies différentes.
Le Solitaire amène ses deux visiteurs à trouver en eux-mêmes la réponse à leurs questions dans le précepte de Socrate "Connais-toi toi-même"
(1) religieux(se) qui fait voeu de servir, d'assister pauvres et malades reçus dans un hôpital
(2) désireux de
(3) obstacle, empêchement
(4) au figuré : suites et conséquences d'une chose
(5) la justice officielle étant lente et coûteuse, la Compagnie du Saint-Sacrement avait institué des "arbitres charitables"chargés d'une mission de "conciliateurs" pour assister les plaideurs.
(6) occasion d'exercer la charité
(7) gens qui s'empressent de faire toutes sortes d'accomodements ; "des débats"
( l'eau....transparente comme le cristal
(9) désert et solitaire évoquent Port-Royal.
Le solitaire peut représenter ici tous ceux qu'attire la vie contemplative.
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Re: Jean de la Fontaine
JUPITER ET LE METAYER
Jupiter eut jadis une ferme à donner.
Mercure (1) en fit l'annonce ; et Gens se présentèrent,
Firent des offres, écoutèrent :
Ce ne fut pas sans bien tourner.
L'un alléguait que l'héritage
Etait frayant (2) et rude, et l'autre un autre si (3).
Pendant qu'ils marchandaient ainsi,
Un d'eux le plus hardi, mais non pas le plus sage,
Promit d'en rendre tant (4), pourvu que Jupiter
Le laissât disposer de l'air,
Lui donnât saison à sa guise,
Qu'il eût du chaud, du froid, du beau temps, de la bise,
Enfin du sec et du mouillé,
Aussitôt qu'il aurait bâillé.
Jupiter y consent. Contrat passé ; notre homme
Tranche (5) du roi des airs , pleut, vente, et fait en somme
Un climat pour lui seul : ses plus proches voisins
Ne s'en sentaient (6) non plus que les Américains.
Ce fut leur avantage ; ils eurent bonne année,
Pleine moisson, pleine vinée.
Monsieur le Receveur (7) fut très mal partagé.
L'an suivant, voilà tout changé,
Il ajuste d'une autre sorte
La température des cieux.
Son champ ne s'en trouve pas mieux.
Celui de ses voisins fructifie et rapporte.
Que fait-il ? Il recourt au Monarque des dieux :
Il confesse son imprudence.
Jupiter en usa comme un maître fort doux.
Concluons que la Providence
Sait ce qu'il nous faut mieux que nous .
Mercure (1) en fit l'annonce ; et Gens se présentèrent,
Firent des offres, écoutèrent :
Ce ne fut pas sans bien tourner.
L'un alléguait que l'héritage
Etait frayant (2) et rude, et l'autre un autre si (3).
Pendant qu'ils marchandaient ainsi,
Un d'eux le plus hardi, mais non pas le plus sage,
Promit d'en rendre tant (4), pourvu que Jupiter
Le laissât disposer de l'air,
Lui donnât saison à sa guise,
Qu'il eût du chaud, du froid, du beau temps, de la bise,
Enfin du sec et du mouillé,
Aussitôt qu'il aurait bâillé.
Jupiter y consent. Contrat passé ; notre homme
Tranche (5) du roi des airs , pleut, vente, et fait en somme
Un climat pour lui seul : ses plus proches voisins
Ne s'en sentaient (6) non plus que les Américains.
Ce fut leur avantage ; ils eurent bonne année,
Pleine moisson, pleine vinée.
Monsieur le Receveur (7) fut très mal partagé.
L'an suivant, voilà tout changé,
Il ajuste d'une autre sorte
La température des cieux.
Son champ ne s'en trouve pas mieux.
Celui de ses voisins fructifie et rapporte.
Que fait-il ? Il recourt au Monarque des dieux :
Il confesse son imprudence.
Jupiter en usa comme un maître fort doux.
Concluons que la Providence
Sait ce qu'il nous faut mieux que nous .
Les sources de la fable se trouvent chez les auteurs suivants : Faërne, Cesare Pavesi et Verdizotti. Chez ces auteurs, une contre-épreuve permet au paysan de reprendre en main avec plus de succès le gouvernement du temps. Chez La Fontaine, le second essai reste infructueux.
(1) le messager des Dieux
(2) était coûteux, occasionnait des frais
(3) si était un nom commun, dans le sens d'affirmation ou de condition
(4) ... d'en obtenir un tel rendement
(5) fait le souverain
(6) ne s'en ressentaient
(7) Qui reçoit pour autrui. Les fermiers des terres seigneuriales s'appellent des Receveurs. (Dict. Furetière)
(1) le messager des Dieux
(2) était coûteux, occasionnait des frais
(3) si était un nom commun, dans le sens d'affirmation ou de condition
(4) ... d'en obtenir un tel rendement
(5) fait le souverain
(6) ne s'en ressentaient
(7) Qui reçoit pour autrui. Les fermiers des terres seigneuriales s'appellent des Receveurs. (Dict. Furetière)
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Re: Jean de la Fontaine
JUPITER ET LE PASSAGER
Ô ! combien le péril enrichirait les Dieux,
Si nous nous souvenions des vœux qu'il nous fait faire !
Mais le péril passé, l'on ne se souvient guère
De ce qu'on a promis aux Cieux ; (1)
On compte seulement ce qu'on doit à la terre.
Jupiter, dit l'impie, est un bon créancier ;
Il ne se sert jamais d'huissier.
Eh ! qu'est-ce donc que le tonnerre ?
Comment appelez-vous ces avertissements ?
Un passager, pendant l'orage,
Avait voué cent Bœufs au vainqueur des Titans.
Il n'en avait pas un : vouer cent Éléphants
N'aurait pas coûté davantage.
Il brûla quelques os quand il fut au rivage.
Au nez de Jupiter la fumée en monta.
Sire Jupin, dit-il, prends mon vœu ; le voilà :
C'est un parfum de Bœuf que ta grandeur respire.
La fumée est ta part : je ne te dois plus rien.
Jupiter fit semblant de rire ;
Mais, après quelques jours, le Dieu l'attrapa bien,
Envoyant un songe lui dire
Qu'un tel trésor était en tel lieu. L'homme au vœu
Courut au trésor comme au feu :
Il trouva des voleurs, et n'ayant dans sa bourse
Qu'un écu pour toute ressource,
Il leur promit cent talents d'or, (2)
Bien comptés, et d'un tel trésor :
On l'avait enterré dedans telle bourgade.
L'endroit parut suspect aux voleurs ; de façon
Qu'à notre prometteur l'un dit : Mon camarade,
Tu te moques de nous, meurs, et va chez Pluton
Porter tes cent talents en don.
Si nous nous souvenions des vœux qu'il nous fait faire !
Mais le péril passé, l'on ne se souvient guère
De ce qu'on a promis aux Cieux ; (1)
On compte seulement ce qu'on doit à la terre.
Jupiter, dit l'impie, est un bon créancier ;
Il ne se sert jamais d'huissier.
Eh ! qu'est-ce donc que le tonnerre ?
Comment appelez-vous ces avertissements ?
Un passager, pendant l'orage,
Avait voué cent Bœufs au vainqueur des Titans.
Il n'en avait pas un : vouer cent Éléphants
N'aurait pas coûté davantage.
Il brûla quelques os quand il fut au rivage.
Au nez de Jupiter la fumée en monta.
Sire Jupin, dit-il, prends mon vœu ; le voilà :
C'est un parfum de Bœuf que ta grandeur respire.
La fumée est ta part : je ne te dois plus rien.
Jupiter fit semblant de rire ;
Mais, après quelques jours, le Dieu l'attrapa bien,
Envoyant un songe lui dire
Qu'un tel trésor était en tel lieu. L'homme au vœu
Courut au trésor comme au feu :
Il trouva des voleurs, et n'ayant dans sa bourse
Qu'un écu pour toute ressource,
Il leur promit cent talents d'or, (2)
Bien comptés, et d'un tel trésor :
On l'avait enterré dedans telle bourgade.
L'endroit parut suspect aux voleurs ; de façon
Qu'à notre prometteur l'un dit : Mon camarade,
Tu te moques de nous, meurs, et va chez Pluton
Porter tes cent talents en don.
Sources : Esope : Le trompeur, imité par Haudent : d'un pauvre homme et des larrons (1547)
(1) passé le péril, on se moque du saint (proverbe italien)
(2) le talent variat selon les lieux allant juque 1 500kg d'or, en tout cas, somme fabuleuse
(1) passé le péril, on se moque du saint (proverbe italien)
(2) le talent variat selon les lieux allant juque 1 500kg d'or, en tout cas, somme fabuleuse
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Re: Jean de la Fontaine
JUPITER ET LES TONNERRES
Jupiter, voyant nos fautes,
Dit un jour, du haut des airs :
Remplissons de nouveaux hôtes
Les cantons de l'univers
Habités par cette race
Qui m'importune et me lasse.
Va-t'en, Mercure (1), aux Enfers :
Amène-moi la Furie (2)
La plus cruelle des trois.
Race que j'ai trop chérie,
Tu périras cette fois.
Jupiter ne tarda guère
modérer son transport.
Ô vous, Rois, qu'il voulut faire
Arbitres de notre sort,
Laissez, entre la colère
Et l'orage qui la suit,
L'intervalle d'une nuit.
Le Dieu dont l'aile est légère,
Et la langue a des douceurs (2),
Alla voir les noires sœurs.
A Tisiphone et Mégère
Il préféra, ce dit-on,
L'impitoyable Alecton.
Ce choix la rendit si fière,
Qu'elle jura par Pluton
Que toute l'engeance humaine
Serait bientôt du domaine
Des Déités de là-bas. (3)
Jupiter n'approuva pas
Le serment de l'Euménide.
Il la renvoie, et pourtant
Il lance un foudre à l'instant
Sur certain peuple perfide.
Le tonnerre, ayant pour guide
Le père même de ceux
Qu'il menaçait de ses feux,
Se contenta de leur crainte ;
Il n'embrasa que l'enceinte
D'un désert inhabité :
Tout père frappe à côté.
Qu'arriva-t-il ? Notre engeance
Prit pied sur cette indulgence.
Tout l'Olympe s'en plaignit ;
Et l'assembleur de nuages (4)
Jura le Styx (5), et promit
De former d'autres orages ;
Ils seraient sûrs. On sourit :
On lui dit qu'il était père,
Et qu'il laissât pour le mieux
A quelqu'un des autres Dieux
D'autres tonnerres à faire.
Vulcan (6) entreprit l'affaire.
Ce Dieu remplit ses fourneaux
De deux sortes de carreaux (7).
L'un jamais ne se fourvoie ,
Et c'est celui que toujours
L'Olympe en corps nous envoie.
L'autre s'écarte en son cours ;
Ce n'est qu'aux monts qu'il en coûte :
Bien souvent même il se perd,
Et ce dernier en sa route
Nous vient du seul Jupiter.
Dit un jour, du haut des airs :
Remplissons de nouveaux hôtes
Les cantons de l'univers
Habités par cette race
Qui m'importune et me lasse.
Va-t'en, Mercure (1), aux Enfers :
Amène-moi la Furie (2)
La plus cruelle des trois.
Race que j'ai trop chérie,
Tu périras cette fois.
Jupiter ne tarda guère
modérer son transport.
Ô vous, Rois, qu'il voulut faire
Arbitres de notre sort,
Laissez, entre la colère
Et l'orage qui la suit,
L'intervalle d'une nuit.
Le Dieu dont l'aile est légère,
Et la langue a des douceurs (2),
Alla voir les noires sœurs.
A Tisiphone et Mégère
Il préféra, ce dit-on,
L'impitoyable Alecton.
Ce choix la rendit si fière,
Qu'elle jura par Pluton
Que toute l'engeance humaine
Serait bientôt du domaine
Des Déités de là-bas. (3)
Jupiter n'approuva pas
Le serment de l'Euménide.
Il la renvoie, et pourtant
Il lance un foudre à l'instant
Sur certain peuple perfide.
Le tonnerre, ayant pour guide
Le père même de ceux
Qu'il menaçait de ses feux,
Se contenta de leur crainte ;
Il n'embrasa que l'enceinte
D'un désert inhabité :
Tout père frappe à côté.
Qu'arriva-t-il ? Notre engeance
Prit pied sur cette indulgence.
Tout l'Olympe s'en plaignit ;
Et l'assembleur de nuages (4)
Jura le Styx (5), et promit
De former d'autres orages ;
Ils seraient sûrs. On sourit :
On lui dit qu'il était père,
Et qu'il laissât pour le mieux
A quelqu'un des autres Dieux
D'autres tonnerres à faire.
Vulcan (6) entreprit l'affaire.
Ce Dieu remplit ses fourneaux
De deux sortes de carreaux (7).
L'un jamais ne se fourvoie ,
Et c'est celui que toujours
L'Olympe en corps nous envoie.
L'autre s'écarte en son cours ;
Ce n'est qu'aux monts qu'il en coûte :
Bien souvent même il se perd,
Et ce dernier en sa route
Nous vient du seul Jupiter.
Source : Sénèque (questions naturelles, II, 41) distingue trois espèces de foudre :
- Lancée par Jupiter seul : avertissement salutaire
- Par Jupiter avec l'avis des 12 grands dieux : elle a d'heureux effets, mais cause des dégâts
- Par Jupiter avec l'avis des dieux supérieurs et voilés : elle ravage
La Fontaine ramène les foudres à 2 variétés :
- L'amour du roi pour ses sujets (n'infligeant que des corrections paternelles)
- Celle des ministres... qui ravage
La Fontaine respecte la tradition royaliste des Français refusant de juger leur roi.
La fable a certainement des sous-entendus politiques...
( D'après les notes de G. Couton, La Fontaine, fables, p. 494)
(1) Le messager de Jupiter
(2) Les Furies étaient les divinités du monde infernal dans la religion romaine, très tôt assimilées aux Erinyes grecques, divinités de la vengeance, filles de Gaïa et d’Ouranos (Mégère, Alecto et Tisiphone). Les Erinyes, à la suite du procès acquittant Oreste, devinrent les Euménides (les Bienveillantes auxquelles un culte fut rendu à Athènes)
(3) l’engeance humaine serait bientôt sous l’autorité du domaine des Enfers
(4) Formule homérique
(5) Le serment par le Styx (fleuve des Enfers) est le plus terrible des serments des dieux.
(6) Vulcain
(7) Grosses pierres lancées dans les villes assiégées. Aussi une arme de trait ou flèche carrée qu'on tire avec une arbalète)
- Lancée par Jupiter seul : avertissement salutaire
- Par Jupiter avec l'avis des 12 grands dieux : elle a d'heureux effets, mais cause des dégâts
- Par Jupiter avec l'avis des dieux supérieurs et voilés : elle ravage
La Fontaine ramène les foudres à 2 variétés :
- L'amour du roi pour ses sujets (n'infligeant que des corrections paternelles)
- Celle des ministres... qui ravage
La Fontaine respecte la tradition royaliste des Français refusant de juger leur roi.
La fable a certainement des sous-entendus politiques...
( D'après les notes de G. Couton, La Fontaine, fables, p. 494)
(1) Le messager de Jupiter
(2) Les Furies étaient les divinités du monde infernal dans la religion romaine, très tôt assimilées aux Erinyes grecques, divinités de la vengeance, filles de Gaïa et d’Ouranos (Mégère, Alecto et Tisiphone). Les Erinyes, à la suite du procès acquittant Oreste, devinrent les Euménides (les Bienveillantes auxquelles un culte fut rendu à Athènes)
(3) l’engeance humaine serait bientôt sous l’autorité du domaine des Enfers
(4) Formule homérique
(5) Le serment par le Styx (fleuve des Enfers) est le plus terrible des serments des dieux.
(6) Vulcain
(7) Grosses pierres lancées dans les villes assiégées. Aussi une arme de trait ou flèche carrée qu'on tire avec une arbalète)
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Re: Jean de la Fontaine
Regarder la video (adaptation chantée ...)
"Le laboureur et ses enfants" est inspiré d'Esope (recueil Névelet) avec un titre identique. LE LABOUREUR ET SES ENFANTS Travaillez, prenez de la peine : C'est le fonds (1) qui manque le moins. Un riche Laboureur(2), sentant sa mort prochaine, Fit venir ses enfants, leur parla sans témoins. Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l'héritage Que nous ont laissé nos parents. Un trésor est caché dedans. Je ne sais pas l'endroit ; mais un peu de courage Vous le fera trouver : vous en viendrez à bout. Remuez votre champ dès qu'on aura fait l'août. Creusez, fouillez, bêchez, ne laissez nulle place Où la main ne passe et repasse. Le Père mort, les fils vous retournent le champ Deçà, delà, partout ; si bien qu'au bout de l'an Il en rapporta davantage. D'argent, point de caché. Mais le Père fut sage De leur montrer avant sa mort Que le travail est un trésor . (1) capital, ressource. Manquer veut dire ici : échouer Le travail que nous possédons est le bien qui craint le moins d'être improductif. Il est payant. (2) le propriétaire de la terre, qui exploite lui-même ses terres. |
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Re: Jean de la Fontaine
LA LAITIÈRE ET LE POT AU LAIT
Perrette, sur sa tête ayant un Pot au lait
Bien posé sur un coussinet,
Prétendait (1) arriver sans encombre à la ville.
Légère et court vêtue elle allait à grands pas ;
Ayant mis ce jour-là pour être plus agile
Cotillon (2) simple, et souliers plats.
Notre Laitière ainsi troussée
Comptait déjà dans sa pensée
Tout le prix de son lait, en employait l’argent,
Achetait un cent d’ œufs, faisait triple couvée ;
La chose allait à bien par son soin diligent.(3)
Il m’est, disait-elle, facile
D’élever des poulets autour de ma maison :
Le Renard sera bien habile,
S’il ne m’en laisse assez pour avoir un cochon.
Le porc à s’engraisser coûtera peu de son ;
Il était quand je l’eus de grosseur raisonnable ;
J’aurai le revendant de l’argent bel et bon ;
Et qui m’empêchera de mettre en notre étable,
Vu le prix dont il (4) est, une vache et son veau,
Que je verrai sauter au milieu du troupeau ?
Perrette là-dessus saute aussi, transportée.
Le lait tombe ; adieu veau, vache, cochon, couvée ;
La Dame de ces biens, quittant d’un oeil marri
Sa fortune ainsi répandue,
Va s’excuser à son mari
En grand danger d’être battue.
Le récit en farce (5) en fut fait ;
On l' appela le Pot au lait.
Quel esprit ne bat la campagne ?
Qui ne fait châteaux en Espagne ?
Picrochole, Pyrrhus (6), la Laitière, enfin tous,
Autant les sages que les fous ?
Chacun songe en veillant, il n’est rien de plus doux :
Une flatteuse erreur emporte alors nos âmes :
Tout le bien du monde est à nous,
Tous les honneurs, toutes les femmes.
Quand je suis seul, je fais au plus brave un défi ;
Je m écarte (7), je vais détrôner le Sophi ( ;
On m’élit Roi, mon peuple m’aime ;
Les diadèmes vont sur ma tête pleuvant :
Quelque accident fait-il que je rentre en moi-même ;
Je suis gros Jean (9) comme devant.
Bien posé sur un coussinet,
Prétendait (1) arriver sans encombre à la ville.
Légère et court vêtue elle allait à grands pas ;
Ayant mis ce jour-là pour être plus agile
Cotillon (2) simple, et souliers plats.
Notre Laitière ainsi troussée
Comptait déjà dans sa pensée
Tout le prix de son lait, en employait l’argent,
Achetait un cent d’ œufs, faisait triple couvée ;
La chose allait à bien par son soin diligent.(3)
Il m’est, disait-elle, facile
D’élever des poulets autour de ma maison :
Le Renard sera bien habile,
S’il ne m’en laisse assez pour avoir un cochon.
Le porc à s’engraisser coûtera peu de son ;
Il était quand je l’eus de grosseur raisonnable ;
J’aurai le revendant de l’argent bel et bon ;
Et qui m’empêchera de mettre en notre étable,
Vu le prix dont il (4) est, une vache et son veau,
Que je verrai sauter au milieu du troupeau ?
Perrette là-dessus saute aussi, transportée.
Le lait tombe ; adieu veau, vache, cochon, couvée ;
La Dame de ces biens, quittant d’un oeil marri
Sa fortune ainsi répandue,
Va s’excuser à son mari
En grand danger d’être battue.
Le récit en farce (5) en fut fait ;
On l' appela le Pot au lait.
Quel esprit ne bat la campagne ?
Qui ne fait châteaux en Espagne ?
Picrochole, Pyrrhus (6), la Laitière, enfin tous,
Autant les sages que les fous ?
Chacun songe en veillant, il n’est rien de plus doux :
Une flatteuse erreur emporte alors nos âmes :
Tout le bien du monde est à nous,
Tous les honneurs, toutes les femmes.
Quand je suis seul, je fais au plus brave un défi ;
Je m écarte (7), je vais détrôner le Sophi ( ;
On m’élit Roi, mon peuple m’aime ;
Les diadèmes vont sur ma tête pleuvant :
Quelque accident fait-il que je rentre en moi-même ;
Je suis gros Jean (9) comme devant.
Source : L'origine de la fable semble être la nouvelle XIV de Bonaventure des Périers : Comparaison des alquemistes à la bonne femme qui portait une potée de lait au marché. La comparaison avec les alchimistes n'a pas été reprise par La Fontaine.
(1) espérait
(2) petite jupe ou cotte de dessous
(3) méticuleux
(4) le prix que représente le porc
(5) comédie populaire ; cette farce n'a sans doute jamais été écrite...
(6) ils avaient rêvé de conquérir le monde entier
(7) je m'éloigne
( titre donné au roi de Perse (le chah ou shah)
(9) Nom propre que le peuple a mis en usage dans la langue, en le joignant abusivement à plusieurs mots injurieux (Furetière)
(1) espérait
(2) petite jupe ou cotte de dessous
(3) méticuleux
(4) le prix que représente le porc
(5) comédie populaire ; cette farce n'a sans doute jamais été écrite...
(6) ils avaient rêvé de conquérir le monde entier
(7) je m'éloigne
( titre donné au roi de Perse (le chah ou shah)
(9) Nom propre que le peuple a mis en usage dans la langue, en le joignant abusivement à plusieurs mots injurieux (Furetière)
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Re: Jean de la Fontaine
DISCOURS À M. LE DUC DE LA ROCHEFOUCAULD
Les Lapins
Je me suis souvent dit, voyant de quelle sorte
L'homme agit, et qu'il se comporte
En mille occasions comme les animaux :
Le Roi de ces gens-là (1) n'a pas moins de défauts
Que ses sujets, et la nature
A mis dans chaque créature
Quelque grain d'une masse où puisent les esprits ;
J'entends les esprits corps, et pétris de matière. "
Je vais prouver ce que je dis.
A l'heure de l'affût, soit lorsque la lumière
Précipite ses traits dans l'humide séjour,
Soit lorsque le soleil rentre dans sa carrière,
Et que, n'étant plus nuit, il n'est pas encor jour,
Au bord de quelque bois sur un arbre je grimpe, (2)
Et, nouveau Jupiter, du haut de cet Olympe,
Je foudroie, à discrétion,
Un lapin qui n'y pensait guère.
Je vois fuir aussitôt toute la nation
Des lapins, qui, sur la bruyère,
L'œil éveillé, l'oreille au guet,
S'égayaient, et de thym parfumaient leur banquet.
Le bruit du coup fait que la bande
S'en va chercher sa sûreté
Dans la souterraine cité :
Mais le danger s'oublie, et cette peur si grande
S'évanouit bientôt. Je revois les lapins,
Plus gais qu'auparavant, revenir sous mes mains.
Ne reconnaît-on pas en cela les humains ?
Dispersés par quelque orage,
A peine ils touchent le port
Qu'ils vont hasarder (3)encor
Même vent, même naufrage ;
Vrais lapins, on les revoit
Sous les mains de la fortune.
Joignons à cet exemple une chose commune.
Quand des chiens étrangers passent par quelque endroit,
Qui n'est pas de leur détroit (4),
Je laisse à penser quelle fête.
Les chiens du lieu, n'ayant en tête
Qu'un intérêt de gueule, à cris, à coups de dents,
Vous accompagnent ces passants
Jusqu'aux confins du territoire.
Un intérêt de biens, de grandeur, et de gloire (5),
Aux gouverneurs d'Etats, à certains courtisans,
A gens de tous métiers, en fait tout autant faire.
On nous voit tous, pour l'ordinaire,
Piller le survenant, nous jeter sur sa peau.
La coquette et l'auteur sont de ce caractère ;
Malheur à l'écrivain nouveau !
Le moins de gens qu'on peut à l'entour du gâteau,
C'est le droit du jeu (6), c'est l'affaire (7).
Cent exemples pourraient appuyer mon discours ;
Mais les ouvrages les plus courts
Sont toujours les meilleurs. En cela, j'ai pour guides
Tous les maîtres de l'art, et tiens qu'il faut laisser
Dans les plus beaux sujets quelque chose à penser :
Ainsi ce discours doit cesser.
Vous qui m'avez donné ce qu'il a de solide,
Et dont la modestie égale la grandeur,
Qui ne pûtes jamais écouter sans pudeur (
La louange la plus permise,
La plus juste et la mieux acquise,
Vous enfin, dont à peine ai-je encore obtenu
Que votre nom reçût ici quelques hommages,
Du temps et des censeurs défendant mes ouvrages,
Comme un nom qui, des ans et des peuples connu,
Fait honneur à la France, en grands noms plus féconde
Qu'aucun climat de l'univers,
Permettez-moi du moins d'apprendre à tout le monde
Que vous m'avez donné le sujet de ces vers.
L'homme agit, et qu'il se comporte
En mille occasions comme les animaux :
Le Roi de ces gens-là (1) n'a pas moins de défauts
Que ses sujets, et la nature
A mis dans chaque créature
Quelque grain d'une masse où puisent les esprits ;
J'entends les esprits corps, et pétris de matière. "
Je vais prouver ce que je dis.
A l'heure de l'affût, soit lorsque la lumière
Précipite ses traits dans l'humide séjour,
Soit lorsque le soleil rentre dans sa carrière,
Et que, n'étant plus nuit, il n'est pas encor jour,
Au bord de quelque bois sur un arbre je grimpe, (2)
Et, nouveau Jupiter, du haut de cet Olympe,
Je foudroie, à discrétion,
Un lapin qui n'y pensait guère.
Je vois fuir aussitôt toute la nation
Des lapins, qui, sur la bruyère,
L'œil éveillé, l'oreille au guet,
S'égayaient, et de thym parfumaient leur banquet.
Le bruit du coup fait que la bande
S'en va chercher sa sûreté
Dans la souterraine cité :
Mais le danger s'oublie, et cette peur si grande
S'évanouit bientôt. Je revois les lapins,
Plus gais qu'auparavant, revenir sous mes mains.
Ne reconnaît-on pas en cela les humains ?
Dispersés par quelque orage,
A peine ils touchent le port
Qu'ils vont hasarder (3)encor
Même vent, même naufrage ;
Vrais lapins, on les revoit
Sous les mains de la fortune.
Joignons à cet exemple une chose commune.
Quand des chiens étrangers passent par quelque endroit,
Qui n'est pas de leur détroit (4),
Je laisse à penser quelle fête.
Les chiens du lieu, n'ayant en tête
Qu'un intérêt de gueule, à cris, à coups de dents,
Vous accompagnent ces passants
Jusqu'aux confins du territoire.
Un intérêt de biens, de grandeur, et de gloire (5),
Aux gouverneurs d'Etats, à certains courtisans,
A gens de tous métiers, en fait tout autant faire.
On nous voit tous, pour l'ordinaire,
Piller le survenant, nous jeter sur sa peau.
La coquette et l'auteur sont de ce caractère ;
Malheur à l'écrivain nouveau !
Le moins de gens qu'on peut à l'entour du gâteau,
C'est le droit du jeu (6), c'est l'affaire (7).
Cent exemples pourraient appuyer mon discours ;
Mais les ouvrages les plus courts
Sont toujours les meilleurs. En cela, j'ai pour guides
Tous les maîtres de l'art, et tiens qu'il faut laisser
Dans les plus beaux sujets quelque chose à penser :
Ainsi ce discours doit cesser.
Vous qui m'avez donné ce qu'il a de solide,
Et dont la modestie égale la grandeur,
Qui ne pûtes jamais écouter sans pudeur (
La louange la plus permise,
La plus juste et la mieux acquise,
Vous enfin, dont à peine ai-je encore obtenu
Que votre nom reçût ici quelques hommages,
Du temps et des censeurs défendant mes ouvrages,
Comme un nom qui, des ans et des peuples connu,
Fait honneur à la France, en grands noms plus féconde
Qu'aucun climat de l'univers,
Permettez-moi du moins d'apprendre à tout le monde
Que vous m'avez donné le sujet de ces vers.
C'est à partir de 1709 que les éditeurs ont parfois appelé cette fable "Les Lapins".
La Fontaine, enchanté par "le Livre des Maximes" avait déjà dédicacé la fable "l'homme et son image" à son auteur M. de La Rochefoucauld...
Une étude "Du rapport des hommes avec les animaux" figure dans les Réflexions diverses de La Rochefoucauld, et les lapins sont invoqués pour justifier ce rapport. Or les deux hommes partagent les mêmes réflexions. La Fontaine a certainement connu l'ouvrage de La Rochefoucauld.
M. Fumaroli (La Fontaine, Fables) écrit : On pourrait supposer qu'il s'agit d'une immense amplification d'un passage de la réflexion XI où La Rochefoucauld évoque "les lapins qui s'épouvantent et se rassurent en un moment"
(1) des hommes
(2) La Fontaine chassait sur les terres du prince de Condé, avec l'autorisation de son intendant
(3) braver
(4) district
(5) vanité
(6) c'est l'odrre, c'est l'usage
(7) c'est l'occupation essentielle
( honnêteté, honte
(9) allusion à la vieille noblesse de La Rochefoucauld
(2) La Fontaine chassait sur les terres du prince de Condé, avec l'autorisation de son intendant
(3) braver
(4) district
(5) vanité
(6) c'est l'odrre, c'est l'usage
(7) c'est l'occupation essentielle
( honnêteté, honte
(9) allusion à la vieille noblesse de La Rochefoucauld
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Re: Jean de la Fontaine
LA LICE ET SA COMPAGNE (*)
...............Une Lice (1) étant sur son terme (2),
Et ne sachant où mettre un fardeau si pressant,
Fait si bien qu'à la fin sa Compagne consent
De lui prêter sa hutte, où la Lice s'enferme.
Au bout de quelque temps sa Compagne revient.
La Lice lui demande encore une quinzaine.
Ses petits ne marchaient, disait-elle, qu'à peine.
Pour faire court (3), elle l'obtient.
Ce second terme échu, l'autre lui redemande
Sa maison, sa chambre, son lit.
La Lice cette fois montre les dents, et dit :
Je suis prête à sortir avec toute ma bande,
Si vous pouvez nous mettre hors.
Ses enfants étaient déjà forts.
Ce qu'on donne aux méchants, toujours on le regrette.
Pour tirer d'eux ce qu'on leur prête,
Il faut que l'on en vienne aux coups ;
Il faut plaider, il faut combattre :
Laissez-leur prendre un pied chez vous,
Ils en auront bientôt pris quatre.
Et ne sachant où mettre un fardeau si pressant,
Fait si bien qu'à la fin sa Compagne consent
De lui prêter sa hutte, où la Lice s'enferme.
Au bout de quelque temps sa Compagne revient.
La Lice lui demande encore une quinzaine.
Ses petits ne marchaient, disait-elle, qu'à peine.
Pour faire court (3), elle l'obtient.
Ce second terme échu, l'autre lui redemande
Sa maison, sa chambre, son lit.
La Lice cette fois montre les dents, et dit :
Je suis prête à sortir avec toute ma bande,
Si vous pouvez nous mettre hors.
Ses enfants étaient déjà forts.
Ce qu'on donne aux méchants, toujours on le regrette.
Pour tirer d'eux ce qu'on leur prête,
Il faut que l'on en vienne aux coups ;
Il faut plaider, il faut combattre :
Laissez-leur prendre un pied chez vous,
Ils en auront bientôt pris quatre.
(*) Source : Phèdre (I,19) : La chienne et ses petits
(1) Lice : femelle de chien de chasse, destinée à faire race (Richelet)
(2) sur le point de mettre bas
(3) pour abréger
(1) Lice : femelle de chien de chasse, destinée à faire race (Richelet)
(2) sur le point de mettre bas
(3) pour abréger
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Re: Jean de la Fontaine
LE LIEVRE ET LA PERDRIX
Il ne se faut jamais moquer des misérables :
Car qui peut s'assurer d'être toujours heureux ?
Le sage Esope dans ses fables
Nous en donne un exemple ou deux.
Celui qu'en ces vers je propose
Et les siens, ce sont même chose.
Le Lièvre et la Perdrix, concitoyens d'un champ,
Vivaient dans un état, ce semble, assez tranquille,
Quand une Meute s'approchant
Oblige le premier à chercher un asile.
Il s'enfuit dans son fort (1), met les Chiens en défaut,
Sans même en excepter Brifaut.
Enfin il se trahit lui-même
Par les esprits sortant de son corps échauffé.
Miraut sur leur odeur ayant philosophé
Conclut que c'est son Lièvre, et d'une ardeur extrême
Il le pousse (2) ; et Rustaut, qui n'a jamais menti,
Dit que le Lièvre est reparti.
Le pauvre malheureux vient mourir à son gîte.
La perdrix le raille et lui dit :
Tu te vantais d'être si vite (3) !
Qu'as-tu fait de tes pieds ? Au moment qu'elle rit,
Son tour vient ; on la trouve. Elle croit que ses ailes
La sauront garantir à toute extrémité ;
Mais la pauvrette avait compté
Sans l'Autour (4) aux serres cruelles.
Car qui peut s'assurer d'être toujours heureux ?
Le sage Esope dans ses fables
Nous en donne un exemple ou deux.
Celui qu'en ces vers je propose
Et les siens, ce sont même chose.
Le Lièvre et la Perdrix, concitoyens d'un champ,
Vivaient dans un état, ce semble, assez tranquille,
Quand une Meute s'approchant
Oblige le premier à chercher un asile.
Il s'enfuit dans son fort (1), met les Chiens en défaut,
Sans même en excepter Brifaut.
Enfin il se trahit lui-même
Par les esprits sortant de son corps échauffé.
Miraut sur leur odeur ayant philosophé
Conclut que c'est son Lièvre, et d'une ardeur extrême
Il le pousse (2) ; et Rustaut, qui n'a jamais menti,
Dit que le Lièvre est reparti.
Le pauvre malheureux vient mourir à son gîte.
La perdrix le raille et lui dit :
Tu te vantais d'être si vite (3) !
Qu'as-tu fait de tes pieds ? Au moment qu'elle rit,
Son tour vient ; on la trouve. Elle croit que ses ailes
La sauront garantir à toute extrémité ;
Mais la pauvrette avait compté
Sans l'Autour (4) aux serres cruelles.
Les 6 premiers vers de la fable se retrouvent
dans "Le renard et l'écureuil", non publiée
du vivant de La Fontaine, retrouvée dans le recueil
manuscrit de Conrart, et certainement écrite au
moment du procès de Fouquet. Il était trop dangereux
pour La Fontaine de publier cette fable dans laquelle
on sentait qu'il prenait position pour Fouquet, contre
Colbert. Par contre, il en a placé les 6 premiers vers
au début de "le lièvre et la perdrix".
Contrairement à ce qu'il annonce, la source de cette
fable n'est pas Esope, mais Phèdre (fabuliste latin,
v.10 av. J.C. -54 apr. J.C. )
(1) repaire, retraite
(2) le poursuit
(3) rapide
(4) oiseau de proie diurne, se nourrissant d'oiseaux
et de petits mammifères ; très apprécié en fauconnerie.
dans "Le renard et l'écureuil", non publiée
du vivant de La Fontaine, retrouvée dans le recueil
manuscrit de Conrart, et certainement écrite au
moment du procès de Fouquet. Il était trop dangereux
pour La Fontaine de publier cette fable dans laquelle
on sentait qu'il prenait position pour Fouquet, contre
Colbert. Par contre, il en a placé les 6 premiers vers
au début de "le lièvre et la perdrix".
Contrairement à ce qu'il annonce, la source de cette
fable n'est pas Esope, mais Phèdre (fabuliste latin,
v.10 av. J.C. -54 apr. J.C. )
(1) repaire, retraite
(2) le poursuit
(3) rapide
(4) oiseau de proie diurne, se nourrissant d'oiseaux
et de petits mammifères ; très apprécié en fauconnerie.
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Re: Jean de la Fontaine
LE LIÈVRE ET LA TORTUE
Rien ne sert de courir ; il faut partir à point.
Le Lièvre et la Tortue en sont un témoignage.
Gageons, dit celle-ci, que vous n'atteindrez point
Si tôt que moi ce but. Si tôt ? Êtes-vous sage ?(1)
Repartit l'Animal léger.(2)
Ma Commère, il vous faut purger
Avec quatre grains (3) d'ellébore.
Sage ou non, je parie encore.
Ainsi fut fait : et de tous deux
On mit près du but les enjeux.
Savoir quoi, ce n'est pas l'affaire ;
Ni de quel juge l'on convint. (4)
Notre Lièvre n'avait que quatre pas à faire ;
J'entends de ceux qu'il fait lorsque prêt d'être atteint
Il s'éloigne des Chiens, les renvoie aux calendes, (5)
Et leur fait arpenter les landes.
Ayant, dis-je, du temps de reste pour brouter,
Pour dormir, et pour écouter
D'où vient le vent, il laisse la Tortue
Aller son train de Sénateur. (6)
Elle part, elle s'évertue ;
Elle se hâte avec lenteur.
Lui cependant méprise une telle victoire ;
Tient la gageure (7) à peu de gloire ;
Croit qu'il y va de son honneur
De partir tard. Il broute, il se repose,
Il s'amuse à toute autre chose
Qu'à la gageure. À la fin, quand il vit
Que l'autre touchait presque au bout de la carrière, (
Il partit comme un trait ; mais les élans qu'il fit
Furent vains : la Tortue arriva la première.
Eh bien, lui cria-t-elle, avais-je pas raison ? (9)
De quoi vous sert votre vitesse ?
Moi l'emporter ! et que serait-ce
Si vous portiez une maison ?
Le Lièvre et la Tortue en sont un témoignage.
Gageons, dit celle-ci, que vous n'atteindrez point
Si tôt que moi ce but. Si tôt ? Êtes-vous sage ?(1)
Repartit l'Animal léger.(2)
Ma Commère, il vous faut purger
Avec quatre grains (3) d'ellébore.
Sage ou non, je parie encore.
Ainsi fut fait : et de tous deux
On mit près du but les enjeux.
Savoir quoi, ce n'est pas l'affaire ;
Ni de quel juge l'on convint. (4)
Notre Lièvre n'avait que quatre pas à faire ;
J'entends de ceux qu'il fait lorsque prêt d'être atteint
Il s'éloigne des Chiens, les renvoie aux calendes, (5)
Et leur fait arpenter les landes.
Ayant, dis-je, du temps de reste pour brouter,
Pour dormir, et pour écouter
D'où vient le vent, il laisse la Tortue
Aller son train de Sénateur. (6)
Elle part, elle s'évertue ;
Elle se hâte avec lenteur.
Lui cependant méprise une telle victoire ;
Tient la gageure (7) à peu de gloire ;
Croit qu'il y va de son honneur
De partir tard. Il broute, il se repose,
Il s'amuse à toute autre chose
Qu'à la gageure. À la fin, quand il vit
Que l'autre touchait presque au bout de la carrière, (
Il partit comme un trait ; mais les élans qu'il fit
Furent vains : la Tortue arriva la première.
Eh bien, lui cria-t-elle, avais-je pas raison ? (9)
De quoi vous sert votre vitesse ?
Moi l'emporter ! et que serait-ce
Si vous portiez une maison ?
(*) Sources : Esope : La tortue et le lièvre
(1) êtes-vous sensée
(2) léger...de cervelle
(3) le grain est une mesure de poids valant 1/24 de denier, soit 0,053g. L'expression purger avec l'ellébore était proverbiale par allusion aux Anciens qui soignaient la folie par ce moyen.
(4) ces 2 vers font certainement référence au texte ésopique, dont La Fontaine supprime les détails inutiles.
(5) aux calendes grecques....
(6) les sénateurs romains, dont la majesté est proverbiale
(7) le pari
( au bout de la course
(9) n'avais-je pas
(1) êtes-vous sensée
(2) léger...de cervelle
(3) le grain est une mesure de poids valant 1/24 de denier, soit 0,053g. L'expression purger avec l'ellébore était proverbiale par allusion aux Anciens qui soignaient la folie par ce moyen.
(4) ces 2 vers font certainement référence au texte ésopique, dont La Fontaine supprime les détails inutiles.
(5) aux calendes grecques....
(6) les sénateurs romains, dont la majesté est proverbiale
(7) le pari
( au bout de la course
(9) n'avais-je pas
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Re: Jean de la Fontaine
LE LIÈVRE ET LES GRENOUILLES
Un Lièvre en son gîte (1) songeait
(Car que faire en un gîte, à moins que l’on ne songe ?) ;
Dans un profond ennui ce Lièvre se plongeait :
Cet animal est triste, et la crainte le ronge.
Les gens de naturel peureux
Sont, disait-il, bien malheureux :
Ils ne sauraient manger morceau qui leur profite.
Jamais un plaisir pur ; toujours assauts divers.
Voilà comme je vis : cette crainte maudite
M’empêche de dormir, sinon les yeux ouverts (2).
Corrigez-vous, dira quelque sage cervelle.
Et la peur se corrige-t-elle ?
Je crois même qu’en bonne foi
Les hommes ont peur comme moi.
Ainsi raisonnait notre Lièvre,
Et cependant (3) faisait le guet.
Il était douteux (4), inquiet ;
Un souffle, une ombre, un rien, tout lui donnait la fièvre.
Le mélancolique (5) Animal,
En rêvant à cette matière,
Entend un léger bruit : ce lui fut un signal
Pour s’enfuir devers (6) sa tanière.
Il s’en alla passer sur le bord d’un étang :
Grenouilles aussitôt de sauter dans les ondes ;
Grenouilles de rentrer en leurs grottes profondes.
Oh ! dit-il, j’en fais faire autant
Qu’on m’en fait faire! ma présence
Effraie aussi les gens! je mets l’alarme au camp !
Et d’où me vient cette vaillance ?
Comment ! des animaux qui tremblent devant moi !
Je suis donc un foudre de guerre ?
Il n’est, je le vois bien, si poltron sur la terre,
Qui ne puisse trouver un plus poltron que soi
(Car que faire en un gîte, à moins que l’on ne songe ?) ;
Dans un profond ennui ce Lièvre se plongeait :
Cet animal est triste, et la crainte le ronge.
Les gens de naturel peureux
Sont, disait-il, bien malheureux :
Ils ne sauraient manger morceau qui leur profite.
Jamais un plaisir pur ; toujours assauts divers.
Voilà comme je vis : cette crainte maudite
M’empêche de dormir, sinon les yeux ouverts (2).
Corrigez-vous, dira quelque sage cervelle.
Et la peur se corrige-t-elle ?
Je crois même qu’en bonne foi
Les hommes ont peur comme moi.
Ainsi raisonnait notre Lièvre,
Et cependant (3) faisait le guet.
Il était douteux (4), inquiet ;
Un souffle, une ombre, un rien, tout lui donnait la fièvre.
Le mélancolique (5) Animal,
En rêvant à cette matière,
Entend un léger bruit : ce lui fut un signal
Pour s’enfuir devers (6) sa tanière.
Il s’en alla passer sur le bord d’un étang :
Grenouilles aussitôt de sauter dans les ondes ;
Grenouilles de rentrer en leurs grottes profondes.
Oh ! dit-il, j’en fais faire autant
Qu’on m’en fait faire! ma présence
Effraie aussi les gens! je mets l’alarme au camp !
Et d’où me vient cette vaillance ?
Comment ! des animaux qui tremblent devant moi !
Je suis donc un foudre de guerre ?
Il n’est, je le vois bien, si poltron sur la terre,
Qui ne puisse trouver un plus poltron que soi
Source : Les lièvres et les grenouilles, Ésope
Chez Ésope, les lièvres rassemblés, se plaignant de leur sort et craignant tous les dangers avaient choisi de mourir plutôt que d'avoir peur toute leur vie. Ils s'élancèrent vers l'étang pour s'y noyer. Les grenouilles que la fuite des lièvres avaient effrayées, se précipitèrent dans l'étang... Les lièvres, voyant qu'il y avait plus craintifs qu'eux renoncèrent à leur projet. La morale ici est que les malheureux sont consolés par les maux plus graves des autres
(1) endroit abrité où le lièvre se repose.
(2) en réalité, le lièvre ouvre l'œil au moindre bruit, donnant l'impression qu'il dort les yeux ouverts.
(3) pendant ce temps
(4) pris ici au sens de craintif. Ce mot est formé de l'ancien français doute : crainte.
(5) Dans le dictionnaire de Furetière de 1690, on lit : maladie qui cause une rêverie sans fièvre, accompagnée d'une frayeur et tristesse sans occasion apparente....
(6) vers
Chez Ésope, les lièvres rassemblés, se plaignant de leur sort et craignant tous les dangers avaient choisi de mourir plutôt que d'avoir peur toute leur vie. Ils s'élancèrent vers l'étang pour s'y noyer. Les grenouilles que la fuite des lièvres avaient effrayées, se précipitèrent dans l'étang... Les lièvres, voyant qu'il y avait plus craintifs qu'eux renoncèrent à leur projet. La morale ici est que les malheureux sont consolés par les maux plus graves des autres
(1) endroit abrité où le lièvre se repose.
(2) en réalité, le lièvre ouvre l'œil au moindre bruit, donnant l'impression qu'il dort les yeux ouverts.
(3) pendant ce temps
(4) pris ici au sens de craintif. Ce mot est formé de l'ancien français doute : crainte.
(5) Dans le dictionnaire de Furetière de 1690, on lit : maladie qui cause une rêverie sans fièvre, accompagnée d'une frayeur et tristesse sans occasion apparente....
(6) vers
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Re: Jean de la Fontaine
La Ligue des rats
Une Souris craignait un Chat
Qui dès longtemps la guettait au passage.
Que faire en cet état ? Elle, prudente et sage,
Consulte son Voisin : c'était un maître Rat,
Dont la rateuse Seigneurie
S'était logée en bonne Hôtellerie,
Et qui cent fois s'était vanté, dit-on,
De ne craindre de chat ou chatte
Ni coup de dent, ni coup de patte.
Dame Souris, lui dit ce fanfaron,
Ma foi, quoi que je fasse,
Seul, je ne puis chasser le Chat qui vous menace ;
Mais assemblant tous les Rats d'alentour,
Je lui pourrai jouer d'un mauvais tour.
La Souris fait une humble révérence ;
Et le Rat court en diligence
A l'Office, qu'on nomme autrement la dépense,
Où maints Rats assemblés
Faisaient, aux frais de l'Hôte, une entière bombance.
Il arrive les sens troublés,
Et les poumons tout essoufflés.
Qu'avez-vous donc ? lui dit un de ces Rats. Parlez.
En deux mots, répond-il, ce qui fait mon voyage,
C'est qu'il faut promptement secourir la Souris,
Car Raminagrobis
Fait en tous lieux un étrange ravage.
Ce Chat, le plus diable des Chats,
S'il manque de Souris, voudra manger des Rats.
Chacun dit : Il est vrai. Sus, sus, courons aux armes.
Quelques Rates, dit-on, répandirent des larmes.
N'importe, rien n'arrête un si noble projet ;
Chacun se met en équipage (1);
Chacun met dans son sac un morceau de fromage (2),
Chacun promet enfin de risquer le paquet (3).
Ils allaient tous comme à la fête,
L'esprit content, le coeur joyeux.
Cependant le Chat, plus fin qu'eux,
Tenait déjà la Souris par la tête.
Ils s'avancèrent à grands pas
Pour secourir leur bonne Amie.
Mais le Chat, qui n'en démord pas (4),
Gronde et marche au-devant de la troupe ennemie.
..........A ce bruit, nos très prudents Rats,
Craignant mauvaise destinée,
Font, sans pousser plus loin leur prétendu fracas (5),
Une retraite fortunée.
Chaque Rat rentre dans son trou ;
Et si quelqu'un en sort, gare encor le Matou.
Qui dès longtemps la guettait au passage.
Que faire en cet état ? Elle, prudente et sage,
Consulte son Voisin : c'était un maître Rat,
Dont la rateuse Seigneurie
S'était logée en bonne Hôtellerie,
Et qui cent fois s'était vanté, dit-on,
De ne craindre de chat ou chatte
Ni coup de dent, ni coup de patte.
Dame Souris, lui dit ce fanfaron,
Ma foi, quoi que je fasse,
Seul, je ne puis chasser le Chat qui vous menace ;
Mais assemblant tous les Rats d'alentour,
Je lui pourrai jouer d'un mauvais tour.
La Souris fait une humble révérence ;
Et le Rat court en diligence
A l'Office, qu'on nomme autrement la dépense,
Où maints Rats assemblés
Faisaient, aux frais de l'Hôte, une entière bombance.
Il arrive les sens troublés,
Et les poumons tout essoufflés.
Qu'avez-vous donc ? lui dit un de ces Rats. Parlez.
En deux mots, répond-il, ce qui fait mon voyage,
C'est qu'il faut promptement secourir la Souris,
Car Raminagrobis
Fait en tous lieux un étrange ravage.
Ce Chat, le plus diable des Chats,
S'il manque de Souris, voudra manger des Rats.
Chacun dit : Il est vrai. Sus, sus, courons aux armes.
Quelques Rates, dit-on, répandirent des larmes.
N'importe, rien n'arrête un si noble projet ;
Chacun se met en équipage (1);
Chacun met dans son sac un morceau de fromage (2),
Chacun promet enfin de risquer le paquet (3).
Ils allaient tous comme à la fête,
L'esprit content, le coeur joyeux.
Cependant le Chat, plus fin qu'eux,
Tenait déjà la Souris par la tête.
Ils s'avancèrent à grands pas
Pour secourir leur bonne Amie.
Mais le Chat, qui n'en démord pas (4),
Gronde et marche au-devant de la troupe ennemie.
..........A ce bruit, nos très prudents Rats,
Craignant mauvaise destinée,
Font, sans pousser plus loin leur prétendu fracas (5),
Une retraite fortunée.
Chaque Rat rentre dans son trou ;
Et si quelqu'un en sort, gare encor le Matou.
S'il paraît incontestable que le Chat représente Louis XIV, il n'est pas aussi certain que la Hollande soit ici visée... C'est plutôt vers la Diète de Ratisbonne que cette ligue des rats semble invitée à regarder ; or, en septembre 1681, Louis XIV avec trente mille hommes avait occupé Strasbourg : en Allemagne, l'événement avait soulevé une émotion intense, sans que personne osât résister, par crainte d'une guerre générale. (d'après les notes de J.P. Collinet, éd. La Pléiade)
Cette fable est souvent rattachée à la fable(Le soleil et les grenouilles) (non reprise par L.F.) en rapport avec la guerre de Hollande. Publiée en 1692, elle peut se rapporter au nouveau conflit entre la France et la Hollande (guerre de la Ligue d'Augsbourg).
(1) -(2) chacun fait ses préparatifs (s'équipe) pour la campagne de ... Hollande
(3) hasarder le paquet : il faut s'engager dans une affaire douteuse après avoir hésité...
(4) sens propre : il tient la souris !
(5) l'expédition violente qu'ils devaient mener (sus, sus, courons aux armes ...)
(3) hasarder le paquet : il faut s'engager dans une affaire douteuse après avoir hésité...
(4) sens propre : il tient la souris !
(5) l'expédition violente qu'ils devaient mener (sus, sus, courons aux armes ...)
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Re: Jean de la Fontaine
LE LION
Sultan Léopard autrefois
Eut, ce dit-on, par mainte aubaine (1),
Force boeufs dans ses prés, force cerfs dans ses bois,
Force moutons parmi la plaine.
Il naquit un Lion dans la forêt prochaine.
Après les compliments et d'une et d'autre part,
Comme entre grands il se pratique,
Le Sultan fit venir son Vizir le Renard,
Vieux routier, et bon politique.
Tu crains, ce lui dit-il, Lionceau mon voisin ;
Son père est mort ; que peut-il faire?
Plains plutôt le pauvre orphelin.
Il a chez lui plus d'une affaire,
Et devra beaucoup au destin
S'il garde ce qu'il a, sans tenter de conquête."
Le Renard dit, branlant la tête :
Tels orphelins, Seigneur, ne me font point pitié :
Il faut de celui-ci conserver l'amitié,
Ou s'efforcer de le détruire
Avant que la griffe et la dent
Lui soit crue, et qu'il soit en état de nous nuire.
N'y perdez pas un seul moment.
J'ai fait son horoscope : il croîtra par la guerre.
Ce sera le meilleur lion
Pour ses amis qui soit sur terre :
Tâchez donc d'en être, sinon
Tâchez de l'affaiblir. La harangue fut vaine.
Le sultan dormait lors ; et dedans son domaine
Chacun dormait aussi, bêtes, gens : tant qu'enfin
Le Lionceau devint vrai Lion. Le tocsin
Sonne aussitôt sur lui ; l'alarme se promène
De toutes parts ; et le Vizir,
Consulté là-dessus dit avec un soupir :
Pourquoi l'irritez-vous ? La chose est sans remède.
En vain nous appelons mille gens à notre aide.
Plus ils sont, plus il coûte ; et je ne les tiens bons
Qu'à manger leur part de mouton.
Apaisez le Lion : seul (2) il passe en puissance
Ce monde d'alliés vivant sur notre bien.
Le Lion en a trois qui ne lui coûtent rien,
Son courage, sa force, avec sa vigilance.
Jetez-lui promptement sous la griffe un mouton :
S'il n'en est pas content, jetez-en davantage.
Joignez-y quelque boeuf : choisissez, pour ce don
Tout le plus gras du pâturage.
Sauvez le reste ainsi. Ce conseil ne plut pas.
Il en prit mal (3) ; et force États
Voisins du sultan en pâtirent :
Nul n'y gagna, tous y perdirent.
Quoi que fît ce monde ennemi,
Celui qu'ils craignaient fut le maître.
Proposez-vous d'avoir un Lion pour ami,
Si vous voulez le laisser craître (4).
Eut, ce dit-on, par mainte aubaine (1),
Force boeufs dans ses prés, force cerfs dans ses bois,
Force moutons parmi la plaine.
Il naquit un Lion dans la forêt prochaine.
Après les compliments et d'une et d'autre part,
Comme entre grands il se pratique,
Le Sultan fit venir son Vizir le Renard,
Vieux routier, et bon politique.
Tu crains, ce lui dit-il, Lionceau mon voisin ;
Son père est mort ; que peut-il faire?
Plains plutôt le pauvre orphelin.
Il a chez lui plus d'une affaire,
Et devra beaucoup au destin
S'il garde ce qu'il a, sans tenter de conquête."
Le Renard dit, branlant la tête :
Tels orphelins, Seigneur, ne me font point pitié :
Il faut de celui-ci conserver l'amitié,
Ou s'efforcer de le détruire
Avant que la griffe et la dent
Lui soit crue, et qu'il soit en état de nous nuire.
N'y perdez pas un seul moment.
J'ai fait son horoscope : il croîtra par la guerre.
Ce sera le meilleur lion
Pour ses amis qui soit sur terre :
Tâchez donc d'en être, sinon
Tâchez de l'affaiblir. La harangue fut vaine.
Le sultan dormait lors ; et dedans son domaine
Chacun dormait aussi, bêtes, gens : tant qu'enfin
Le Lionceau devint vrai Lion. Le tocsin
Sonne aussitôt sur lui ; l'alarme se promène
De toutes parts ; et le Vizir,
Consulté là-dessus dit avec un soupir :
Pourquoi l'irritez-vous ? La chose est sans remède.
En vain nous appelons mille gens à notre aide.
Plus ils sont, plus il coûte ; et je ne les tiens bons
Qu'à manger leur part de mouton.
Apaisez le Lion : seul (2) il passe en puissance
Ce monde d'alliés vivant sur notre bien.
Le Lion en a trois qui ne lui coûtent rien,
Son courage, sa force, avec sa vigilance.
Jetez-lui promptement sous la griffe un mouton :
S'il n'en est pas content, jetez-en davantage.
Joignez-y quelque boeuf : choisissez, pour ce don
Tout le plus gras du pâturage.
Sauvez le reste ainsi. Ce conseil ne plut pas.
Il en prit mal (3) ; et force États
Voisins du sultan en pâtirent :
Nul n'y gagna, tous y perdirent.
Quoi que fît ce monde ennemi,
Celui qu'ils craignaient fut le maître.
Proposez-vous d'avoir un Lion pour ami,
Si vous voulez le laisser craître (4).
La source du point de départ de la fable serait une maxime extraite de la Vie d'Alcibiade de Plutarque, qui se trouvait déjà dans Les grenouilles d'Aristophane :
(Le mieux serait pour la chose publique
Ne nourrir point le lion tyrannique :
Mais puisqu'on veut le nourrir, nécessaire
Il est qu'on serve à ses façons de faire.)
En ce qui concerne le corps de la fable, L.F. a pris texte d'un récit du Livre des Lumières : Du léopard et du lion.
Les prés et les cerfs du léopard : c'est l'Europe en général, aussi bien celle de la Maison d'Autriche, que l'Angleterre.
Le lion enfant :
c'est Louis-Dieudonné.
Il a chez lui plus d'une affaire : ce sont les troubles de La Fronde.
Les illusions du léopard, que les sages conseils
du renard ne dissipent pas : c'est l'incapacité où s'est trouvée l'Europe, pendant les années 1643-1658 de tirer parti des désordres intérieurs de la France pour abattre la dynastie. Une fois le traité de Westphalie conclu, et la Fronde abattue, le roi, devenu adulte est prêt à donner toute sa mesure. L'Europe alors s'effraie, se ligue, un monde d'alliés combat Louis XIV : c'est la longue guerre de Hollande. Appelé de nouveau pour avis, le renard conseille au léopard de ne pas irriter davantage le lion et de transiger : il n'en croit rien.
Nul n'y gagna, tous y perdirent. C'est un bon résumé du traité de Nimègue, vu du côté français à la veille des négociations." ( M.Fumaroli : La Fontaine, Fables)
(1) droit d'aubaine : Le souverain hérite des biens de l'étranger lorsque
celui-ci meurt dans ses Etats
(2) A lui seul
(3) Mal en prit au sultan
(4) Pour la rime, conforme à la prononciation de l'époque,
pour croître
(Le mieux serait pour la chose publique
Ne nourrir point le lion tyrannique :
Mais puisqu'on veut le nourrir, nécessaire
Il est qu'on serve à ses façons de faire.)
En ce qui concerne le corps de la fable, L.F. a pris texte d'un récit du Livre des Lumières : Du léopard et du lion.
Les prés et les cerfs du léopard : c'est l'Europe en général, aussi bien celle de la Maison d'Autriche, que l'Angleterre.
Le lion enfant :
c'est Louis-Dieudonné.
Il a chez lui plus d'une affaire : ce sont les troubles de La Fronde.
Les illusions du léopard, que les sages conseils
du renard ne dissipent pas : c'est l'incapacité où s'est trouvée l'Europe, pendant les années 1643-1658 de tirer parti des désordres intérieurs de la France pour abattre la dynastie. Une fois le traité de Westphalie conclu, et la Fronde abattue, le roi, devenu adulte est prêt à donner toute sa mesure. L'Europe alors s'effraie, se ligue, un monde d'alliés combat Louis XIV : c'est la longue guerre de Hollande. Appelé de nouveau pour avis, le renard conseille au léopard de ne pas irriter davantage le lion et de transiger : il n'en croit rien.
Nul n'y gagna, tous y perdirent. C'est un bon résumé du traité de Nimègue, vu du côté français à la veille des négociations." ( M.Fumaroli : La Fontaine, Fables)
(1) droit d'aubaine : Le souverain hérite des biens de l'étranger lorsque
celui-ci meurt dans ses Etats
(2) A lui seul
(3) Mal en prit au sultan
(4) Pour la rime, conforme à la prononciation de l'époque,
pour croître
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Re: Jean de la Fontaine
LE LION ABATTU PAR L'HOMME
On exposait une peinture,
Où l'Artisan (1) avait tracé
Un Lion d'immense stature
Par un seul homme terrassé.
Les regardants (2) en tiraient gloire.
Un Lion, en passant rabattit leur caquet.
Je vois bien, dit-il, qu'en effet
On vous donne ici la victoire:
Mais l'Ouvrier (3) vous a déçus :
Il avait liberté de feindre (4).
Avec plus de raison nous aurions le dessus,
Si mes Confrères savaient peindre.
Où l'Artisan (1) avait tracé
Un Lion d'immense stature
Par un seul homme terrassé.
Les regardants (2) en tiraient gloire.
Un Lion, en passant rabattit leur caquet.
Je vois bien, dit-il, qu'en effet
On vous donne ici la victoire:
Mais l'Ouvrier (3) vous a déçus :
Il avait liberté de feindre (4).
Avec plus de raison nous aurions le dessus,
Si mes Confrères savaient peindre.
La source de cette fable est Ésope :
"L'Homme et le Lion voyageant decompagnie."
La moralité était : Beaucoup de gens se vantent en paroles....
(1) celui qui pratique un des arts libéraux : artiste
(2) ceux qui regardent, les spectateurs
(3) auteur, créateur.
(4) il était libre de peindre ce qu'il voulait, et de montrer ce qu'il avait décidé de montrer, même si ce n'était pas la vérité.
(5) il est juste que ..
"L'Homme et le Lion voyageant decompagnie."
La moralité était : Beaucoup de gens se vantent en paroles....
(1) celui qui pratique un des arts libéraux : artiste
(2) ceux qui regardent, les spectateurs
(3) auteur, créateur.
(4) il était libre de peindre ce qu'il voulait, et de montrer ce qu'il avait décidé de montrer, même si ce n'était pas la vérité.
(5) il est juste que ..
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Re: Jean de la Fontaine
LE LION AMOUREUX (*)
A Mademoiselle de Sévigné
Sévigné, de qui les attraits
Servent aux Grâces de modèle,
Et qui naquîtes toute belle,
A votre indifférence près,
Pourriez-vous être favorable
Aux jeux innocents d'une fable,
Et voir, sans vous épouvanter,
Un lion qu'Amour sut dompter ?
Amour est un étrange maître.
Heureux qui peut ne le connaître
Que par récit, lui ni (1) ses coups !
Quand on en parle devant vous,
Si la vérité vous offense,
La fable au moins se peut souffrir (2) :
Celle-ci prend bien l'assurance (3)
De venir à vos pieds s'offrir,
Par zèle et par reconnaissance.
Du temps que les bêtes parlaient,
Les lions, entre autres, voulaient
Etre admis dans notre alliance.
Pourquoi non? Puisque leur engeance (4)
Valait la nôtre en ce temps-là,
Ayant courage, intelligence,
Et belle hure (5) outre cela.
Voici comment il en alla.
Un lion de haut parentage (6)
En passant par un certain pré,
Rencontra bergère à son gré :
Il la demande en mariage.
Le père aurait fort souhaité
Quelque gendre un peu moins terrible.
La donner lui semblait bien dur;
La refuser n'était pas sûr;
Même un refus eût fait possible (7),
Qu'on eût vu quelque beau matin
Un mariage clandestin ;
Car outre qu'en toute matière
La belle était pour les gens fiers,
Fille se coiffe volontiers
D'amoureux à longue crinière.
Le père donc, ouvertement
N'osant renvoyer notre amant (,
Lui dit :" Ma fille est délicate;
Vos griffes la pourront blesser
Quand vous voudrez la caresser.
Permettez donc qu'à chaque patte
On vous les rogne, et pour les dents,
Qu'on vous les lime en même temps.
Vos baisers en seront moins rudes,
Et pour vous plus délicieux ;
Car ma fille y répondra mieux,
Etant sans ces inquiétudes."
Le lion consent à cela,
Tant son âme était aveuglée !
Sans dents ni griffes le voilà,
Comme place démantelée.
On lâcha sur lui quelques chiens :
Il fit fort peu de résistance.
Amour, amour, quand tu nous tiens,
On peut bien dire :
Servent aux Grâces de modèle,
Et qui naquîtes toute belle,
A votre indifférence près,
Pourriez-vous être favorable
Aux jeux innocents d'une fable,
Et voir, sans vous épouvanter,
Un lion qu'Amour sut dompter ?
Amour est un étrange maître.
Heureux qui peut ne le connaître
Que par récit, lui ni (1) ses coups !
Quand on en parle devant vous,
Si la vérité vous offense,
La fable au moins se peut souffrir (2) :
Celle-ci prend bien l'assurance (3)
De venir à vos pieds s'offrir,
Par zèle et par reconnaissance.
Du temps que les bêtes parlaient,
Les lions, entre autres, voulaient
Etre admis dans notre alliance.
Pourquoi non? Puisque leur engeance (4)
Valait la nôtre en ce temps-là,
Ayant courage, intelligence,
Et belle hure (5) outre cela.
Voici comment il en alla.
Un lion de haut parentage (6)
En passant par un certain pré,
Rencontra bergère à son gré :
Il la demande en mariage.
Le père aurait fort souhaité
Quelque gendre un peu moins terrible.
La donner lui semblait bien dur;
La refuser n'était pas sûr;
Même un refus eût fait possible (7),
Qu'on eût vu quelque beau matin
Un mariage clandestin ;
Car outre qu'en toute matière
La belle était pour les gens fiers,
Fille se coiffe volontiers
D'amoureux à longue crinière.
Le père donc, ouvertement
N'osant renvoyer notre amant (,
Lui dit :" Ma fille est délicate;
Vos griffes la pourront blesser
Quand vous voudrez la caresser.
Permettez donc qu'à chaque patte
On vous les rogne, et pour les dents,
Qu'on vous les lime en même temps.
Vos baisers en seront moins rudes,
Et pour vous plus délicieux ;
Car ma fille y répondra mieux,
Etant sans ces inquiétudes."
Le lion consent à cela,
Tant son âme était aveuglée !
Sans dents ni griffes le voilà,
Comme place démantelée.
On lâcha sur lui quelques chiens :
Il fit fort peu de résistance.
Amour, amour, quand tu nous tiens,
On peut bien dire :
" Adieu prudence!"
Voici donc une fable dédiée à la fille de Madame
de Sévigné, Françoise-Marguerite, qualifiée de "La plus jolie fille de France", par Bussy-Rabutin son cousin.
Depuis l'âge de 16 ans, et à plusieurs reprises, elle figure dans les ballets royaux, danse avec Louis XIV
...mais sa froideur est désarmante :
[...]
"L'ingrate foule aux pieds Hercule et sa massue ;
Quelle que soit l'offrande, elle n'est point reçue :
Elle verrait mourir le plus fidèle amant
Faute de l'assister d'un regard seulement.
Injuste procédé, sotte façon de faire,
Que la pucelle tient de madame sa mère"
[...] (Benserade)
Pourtant, le roi n'avait pas été indifférent au charme de la belle et les courtisans la donnaient comme sa future maîtresse au moment où, en 1665, il commençait à se lasser de Mlle de La Vallière.
Au tout début de la publication des premières fables (1668), et du "lion amoureux" on pouvait encore faire des suppositions...
La Fontaine invite certainement Mlle de Sévigné à sortir de sa froideur, en lui montrant que le "Lion" peut se faire très doux...
"Placer l'adjectif "amoureux" entre Mlle de Sévigné et le nom du lion, personnage où chacun reconnaît clairement le roi, autorisait toutes les hypothèses"
(Roger Duchêne : "Madame de Sévigné ou la chance
d'être femme" p. 199 )
(*) Source : Esope "Le lion et le laboureur"
(recueil Nevelet, p.268)
(1) et
(2) supporter
(3) hardiesse
(4) race
(5) tête d'un sanglier, d'un ours, d'un loup
et autres bêtes mordantes (Furetière)
(6) origine, naissance
(7) peut-être
( prétendant
de Sévigné, Françoise-Marguerite, qualifiée de "La plus jolie fille de France", par Bussy-Rabutin son cousin.
Depuis l'âge de 16 ans, et à plusieurs reprises, elle figure dans les ballets royaux, danse avec Louis XIV
...mais sa froideur est désarmante :
[...]
"L'ingrate foule aux pieds Hercule et sa massue ;
Quelle que soit l'offrande, elle n'est point reçue :
Elle verrait mourir le plus fidèle amant
Faute de l'assister d'un regard seulement.
Injuste procédé, sotte façon de faire,
Que la pucelle tient de madame sa mère"
[...] (Benserade)
Pourtant, le roi n'avait pas été indifférent au charme de la belle et les courtisans la donnaient comme sa future maîtresse au moment où, en 1665, il commençait à se lasser de Mlle de La Vallière.
Au tout début de la publication des premières fables (1668), et du "lion amoureux" on pouvait encore faire des suppositions...
La Fontaine invite certainement Mlle de Sévigné à sortir de sa froideur, en lui montrant que le "Lion" peut se faire très doux...
"Placer l'adjectif "amoureux" entre Mlle de Sévigné et le nom du lion, personnage où chacun reconnaît clairement le roi, autorisait toutes les hypothèses"
(Roger Duchêne : "Madame de Sévigné ou la chance
d'être femme" p. 199 )
(*) Source : Esope "Le lion et le laboureur"
(recueil Nevelet, p.268)
(1) et
(2) supporter
(3) hardiesse
(4) race
(5) tête d'un sanglier, d'un ours, d'un loup
et autres bêtes mordantes (Furetière)
(6) origine, naissance
(7) peut-être
( prétendant
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Re: Jean de la Fontaine
LE LION DEVENU VIEUX (*)
Le Lion, terreur des forêts,
Chargé d'ans, et pleurant son antique prouesse (1),
Fut enfin attaqué par ses propres sujets
Devenus forts par sa faiblesse.
Le Cheval s'approchant lui donne un coup de pied,
Le Loup, un coup de dent ; le Bœuf, un coup de corne.
Le malheureux Lion, languissant, triste, et morne,
Peut à peine rugir, par l'âge estropié (2).
Il attend son destin, sans faire aucunes plaintes,
Quand, voyant l'Âne même à son antre accourir (3) :
Ah ! c'est trop, lui dit-il, je voulais bien mourir ;
Mais c'est mourir deux fois que souffrir tes atteintes
Chargé d'ans, et pleurant son antique prouesse (1),
Fut enfin attaqué par ses propres sujets
Devenus forts par sa faiblesse.
Le Cheval s'approchant lui donne un coup de pied,
Le Loup, un coup de dent ; le Bœuf, un coup de corne.
Le malheureux Lion, languissant, triste, et morne,
Peut à peine rugir, par l'âge estropié (2).
Il attend son destin, sans faire aucunes plaintes,
Quand, voyant l'Âne même à son antre accourir (3) :
Ah ! c'est trop, lui dit-il, je voulais bien mourir ;
Mais c'est mourir deux fois que souffrir tes atteintes
(*) Source : Phèdre I, 21.
Voilà expliquée, par la fable qui suit, l'expression
" le coup de pied de l'âne".
L'âne considéré comme la honte de la nature se permet
aussi de frapper le vieux lion affaibli... , ce qui justifie pour celui-ci le fait de "mourir deux fois".
(1) bravoure
(2) devenu infirme
(3) dans le manuscrit Conrart, était écrit : "au combat accourir"
Voilà expliquée, par la fable qui suit, l'expression
" le coup de pied de l'âne".
L'âne considéré comme la honte de la nature se permet
aussi de frapper le vieux lion affaibli... , ce qui justifie pour celui-ci le fait de "mourir deux fois".
(1) bravoure
(2) devenu infirme
(3) dans le manuscrit Conrart, était écrit : "au combat accourir"
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Re: Jean de la Fontaine
LE LION ET L’ÂNE CHASSANT
Le Roi des animaux se mit un jour en tête
De giboyer.(1) Il célébrait sa fête.
Le gibier du Lion, ce ne sont pas Moineaux,
Mais beaux et bons Sangliers, Daims et Cerfs bons et .....................................................................[.beaux.
Pour réussir dans cette affaire,
Il se servit du ministère
...............De l'Âne à la voix de stentor.(2)
L'Âne à Messer (3) Lion fit office de Cor.
Le Lion le posta, le couvrit de ramée,
Lui commanda de braire, assuré qu'à ce son
Les moins intimidés fuiraient de leur maison.
Leur troupe n'était pas encore accoutumée
À la tempête de sa voix ;
L'air en retentissait d'un bruit épouvantable :
La frayeur saisissait les hôtes de ces bois .
Tous fuyaient, tous tombaient au piège inévitable
Où les attendait le Lion.
N'ai-je pas bien servi dans cette occasion ?
Dit l'Âne, en se donnant tout l'honneur de la chasse.
Oui, reprit le Lion, c'est bravement (4) crié :
Si je ne connaissais ta personne et ta race,
J'en serais moi-même effrayé.
L'Âne, s'il eût osé, se fût mis en colère,
Encor qu'on le raillât avec juste raison :
Car qui pourrait souffrir un Âne fanfaron ?
Ce n'est pas là leur caractère.
De giboyer.(1) Il célébrait sa fête.
Le gibier du Lion, ce ne sont pas Moineaux,
Mais beaux et bons Sangliers, Daims et Cerfs bons et .....................................................................[.beaux.
Pour réussir dans cette affaire,
Il se servit du ministère
...............De l'Âne à la voix de stentor.(2)
L'Âne à Messer (3) Lion fit office de Cor.
Le Lion le posta, le couvrit de ramée,
Lui commanda de braire, assuré qu'à ce son
Les moins intimidés fuiraient de leur maison.
Leur troupe n'était pas encore accoutumée
À la tempête de sa voix ;
L'air en retentissait d'un bruit épouvantable :
La frayeur saisissait les hôtes de ces bois .
Tous fuyaient, tous tombaient au piège inévitable
Où les attendait le Lion.
N'ai-je pas bien servi dans cette occasion ?
Dit l'Âne, en se donnant tout l'honneur de la chasse.
Oui, reprit le Lion, c'est bravement (4) crié :
Si je ne connaissais ta personne et ta race,
J'en serais moi-même effrayé.
L'Âne, s'il eût osé, se fût mis en colère,
Encor qu'on le raillât avec juste raison :
Car qui pourrait souffrir un Âne fanfaron ?
Ce n'est pas là leur caractère.
Sources : Phèdre, livre I, 11, inspirée d'Ésope Le lion et l'âne chassant de compagnie.
La Fontaine emploie ici une grande richesse dans la valeur expressive des sonorités...
(1) mot employé seulement dans le burlesque
(2) inspiré de l'Iliade : la voix du guerrier grec Stentor avait la puissance de celle de cinquante hommes à la foi.
(3) Variante italienne de Messire, ce qui ajoute au ton burlesque et satirique du récit
(4) Fort bien et de la bonne sorte (Richelet)
La Fontaine emploie ici une grande richesse dans la valeur expressive des sonorités...
(1) mot employé seulement dans le burlesque
(2) inspiré de l'Iliade : la voix du guerrier grec Stentor avait la puissance de celle de cinquante hommes à la foi.
(3) Variante italienne de Messire, ce qui ajoute au ton burlesque et satirique du récit
(4) Fort bien et de la bonne sorte (Richelet)
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Re: Jean de la Fontaine
LE PÂTRE ET LE LION
LE LION ET LE CHASSEUR
Les fables ne sont pas ce qu'elles semblent être :
Le plus simple animal nous y tient lieu de maître.
Une morale nue apporte de l'ennui :
Le conte fait passer le précepte avec lui.
En ces sortes de feinte il faut instruire et plaire,
Et conter pour conter me semble peu d'affaire.
C'est par cette raison qu'égayant leur esprit,
Nombre de gens fameux en ce genre ont écrit.
Tous ont fui l'ornement et le trop d'étendue.
On ne voit point chez eux de parole perdue.
Phèdre était si succinct qu'aucuns (1) l'en ont blâmé ;
Ésope en moins de mots s'est encore exprimé.
Mais sur tous certain Grec renchérit et se pique
D'une élégance laconique.
Il renferme toujours son conte en quatre vers :
Bien ou mal, je le laisse à juger aux experts.
Voyons-le avec Ésope en un sujet semblable.
L'un amène un Chasseur, l'autre un Pâtre, en sa fable.
J'ai suivi leur projet (2) quant à l'événement,
Y cousant en chemin quelque trait seulement.
Voici comme à peu près Ésope le raconte.
Un Pâtre, à ses Brebis trouvant quelque mécompte,
Voulut à toute force attraper le Larron.
Il s'en va près d'un antre, et tend à l'environ
Des lacs (3) à prendre loups, soupçonnant cette engeance.
Avant que partir de ces lieux,
Si tu fais, disait-il, Ô Monarque des Dieux,
Que le drôle à ces lacs se prenne en ma présence,
Et que je goûte ce plaisir,
Parmi vingt Veaux je veux choisir
Le plus gras, et t'en faire offrande. "
À ces mots, sort de l'antre un Lion grand et fort.
Le Pâtre se tapit, et dit à demi mort :
Que l'homme ne sait guère, hélas, ce qu'il demande !
Pour trouver le Larron qui détruit mon troupeau,
Et le voir en ces lacs pris avant que je parte,
Ô monarque des Dieux, je t'ai promis un veau :
Je te promets un Bœuf si tu fais qu'il s'écarte.
C'est ainsi que l'a dit le principal auteur ;
Passons à son imitateur.(4)
Un Fanfaron amateur de la chasse,
Venant de perdre un Chien de bonne race,
Qu'il soupçonnait dans le corps d'un Lion,
Vit un Berger. Enseigne-moi, de grâce,
De mon Voleur, lui dit-il, la maison ;
Que de ce pas je me fasse raison.
Le Berger dit : C'est vers cette montagne.
En lui payant de tribut (5) un mouton
Par chaque mois, j'erre dans la campagne
Comme il me plaît, et je suis en repos.
Dans le moment qu'ils tenaient ces propos,
Le Lion sort, et vient d'un pas agile.
Le Fanfaron aussitôt d'esquiver ; (6)
Ô Jupiter, montre-moi quelque asile,
S'écria-t-il, qui me puisse sauver.
La vraie épreuve de courage
N'est que dans le danger que l'on touche du doigt,
Tel le cherchait, dit-il, qui changeant de langage,
S'enfuit aussitôt qu'il le voit.
Le plus simple animal nous y tient lieu de maître.
Une morale nue apporte de l'ennui :
Le conte fait passer le précepte avec lui.
En ces sortes de feinte il faut instruire et plaire,
Et conter pour conter me semble peu d'affaire.
C'est par cette raison qu'égayant leur esprit,
Nombre de gens fameux en ce genre ont écrit.
Tous ont fui l'ornement et le trop d'étendue.
On ne voit point chez eux de parole perdue.
Phèdre était si succinct qu'aucuns (1) l'en ont blâmé ;
Ésope en moins de mots s'est encore exprimé.
Mais sur tous certain Grec renchérit et se pique
D'une élégance laconique.
Il renferme toujours son conte en quatre vers :
Bien ou mal, je le laisse à juger aux experts.
Voyons-le avec Ésope en un sujet semblable.
L'un amène un Chasseur, l'autre un Pâtre, en sa fable.
J'ai suivi leur projet (2) quant à l'événement,
Y cousant en chemin quelque trait seulement.
Voici comme à peu près Ésope le raconte.
Un Pâtre, à ses Brebis trouvant quelque mécompte,
Voulut à toute force attraper le Larron.
Il s'en va près d'un antre, et tend à l'environ
Des lacs (3) à prendre loups, soupçonnant cette engeance.
Avant que partir de ces lieux,
Si tu fais, disait-il, Ô Monarque des Dieux,
Que le drôle à ces lacs se prenne en ma présence,
Et que je goûte ce plaisir,
Parmi vingt Veaux je veux choisir
Le plus gras, et t'en faire offrande. "
À ces mots, sort de l'antre un Lion grand et fort.
Le Pâtre se tapit, et dit à demi mort :
Que l'homme ne sait guère, hélas, ce qu'il demande !
Pour trouver le Larron qui détruit mon troupeau,
Et le voir en ces lacs pris avant que je parte,
Ô monarque des Dieux, je t'ai promis un veau :
Je te promets un Bœuf si tu fais qu'il s'écarte.
C'est ainsi que l'a dit le principal auteur ;
Passons à son imitateur.(4)
Un Fanfaron amateur de la chasse,
Venant de perdre un Chien de bonne race,
Qu'il soupçonnait dans le corps d'un Lion,
Vit un Berger. Enseigne-moi, de grâce,
De mon Voleur, lui dit-il, la maison ;
Que de ce pas je me fasse raison.
Le Berger dit : C'est vers cette montagne.
En lui payant de tribut (5) un mouton
Par chaque mois, j'erre dans la campagne
Comme il me plaît, et je suis en repos.
Dans le moment qu'ils tenaient ces propos,
Le Lion sort, et vient d'un pas agile.
Le Fanfaron aussitôt d'esquiver ; (6)
Ô Jupiter, montre-moi quelque asile,
S'écria-t-il, qui me puisse sauver.
La vraie épreuve de courage
N'est que dans le danger que l'on touche du doigt,
Tel le cherchait, dit-il, qui changeant de langage,
S'enfuit aussitôt qu'il le voit.
Les sources de ces deux fables sont annoncées par La Fontaine : Esope pour la première, Gabrias (Babrias) pour la seconde qui figurent toutes deux dans Nevelet, respectivement aux pages 267 et 375.
En ce début du livre VI, La Fontaine nous renseigne sur ses conceptions littéraires (Nous en avions déjà connaissance dans la Préface des Fables)...
(1) sens de : quelques-uns (déjà archaïque à l'époque)
(2) j'ai suivi la trame de leur récit
(3) filets utilisés pour la chasse
(4) Babrias
(5) rétribution
(6) éviter, éluder, fuir (Richelet)
En ce début du livre VI, La Fontaine nous renseigne sur ses conceptions littéraires (Nous en avions déjà connaissance dans la Préface des Fables)...
(1) sens de : quelques-uns (déjà archaïque à l'époque)
(2) j'ai suivi la trame de leur récit
(3) filets utilisés pour la chasse
(4) Babrias
(5) rétribution
(6) éviter, éluder, fuir (Richelet)
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Re: Jean de la Fontaine
LE LION ET LE MOUCHERON
Va-t-en, chétif Insecte, excrément de la terre. (1)
C'est en ces mots que le Lion
Parlait un jour au Moucheron.
L'autre lui déclara la guerre.
Penses-tu, lui dit-il, que ton titre de Roi
Me fasse peur ni me soucie (2) ?
Un Bœuf est plus puissant que toi,
Je le mène à ma fantaisie.
À peine il achevait ces mots
Que lui-même il sonna la charge,
Fut le Trompette et le Héros.
Dans l'abord (3) il se met au large,
Puis prend son temps (4), fond sur le cou
Du Lion, qu'il rend presque fou.
Le Quadrupède écume, et son œil étincelle ;
Il rugit, on se cache, on tremble à l'environ ;
Et cette alarme universelle
Est l'ouvrage d'un Moucheron.
Un avorton de Mouche en cent lieux le harcelle,
Tantôt pique l'échine, et tantôt le museau,
Tantôt entre au fond du naseau.
La rage alors se trouve à son faîte montée.
L'invisible ennemi triomphe, et rit de voir
Qu'il n'est griffe ni dent en la bête irritée
Qui de la mettre en sang ne fasse son devoir.
Le malheureux Lion se déchire lui-même,
Fait résonner sa queue à l'entour de ses flancs,
Bat l'air qui n'en peut mais (5), et sa fureur extrême
Le fatigue, l'abat ; le voilà sur les dents.
L'Insecte du combat se retire avec gloire :
Comme il sonna la charge, il sonne la victoire,
Va partout l'annoncer, et rencontre en chemin
L'embuscade d'une Araignée :
Il y rencontre aussi sa fin.
Quelle chose par là nous peut être enseignée ?
J'en vois deux, dont l'une est qu'entre nos ennemis
Les plus à craindre sont souvent les plus petits ;
L'autre, qu'aux grands périls tel a pu se soustraire,
Qui périt pour la moindre affaire.
C'est en ces mots que le Lion
Parlait un jour au Moucheron.
L'autre lui déclara la guerre.
Penses-tu, lui dit-il, que ton titre de Roi
Me fasse peur ni me soucie (2) ?
Un Bœuf est plus puissant que toi,
Je le mène à ma fantaisie.
À peine il achevait ces mots
Que lui-même il sonna la charge,
Fut le Trompette et le Héros.
Dans l'abord (3) il se met au large,
Puis prend son temps (4), fond sur le cou
Du Lion, qu'il rend presque fou.
Le Quadrupède écume, et son œil étincelle ;
Il rugit, on se cache, on tremble à l'environ ;
Et cette alarme universelle
Est l'ouvrage d'un Moucheron.
Un avorton de Mouche en cent lieux le harcelle,
Tantôt pique l'échine, et tantôt le museau,
Tantôt entre au fond du naseau.
La rage alors se trouve à son faîte montée.
L'invisible ennemi triomphe, et rit de voir
Qu'il n'est griffe ni dent en la bête irritée
Qui de la mettre en sang ne fasse son devoir.
Le malheureux Lion se déchire lui-même,
Fait résonner sa queue à l'entour de ses flancs,
Bat l'air qui n'en peut mais (5), et sa fureur extrême
Le fatigue, l'abat ; le voilà sur les dents.
L'Insecte du combat se retire avec gloire :
Comme il sonna la charge, il sonne la victoire,
Va partout l'annoncer, et rencontre en chemin
L'embuscade d'une Araignée :
Il y rencontre aussi sa fin.
Quelle chose par là nous peut être enseignée ?
J'en vois deux, dont l'une est qu'entre nos ennemis
Les plus à craindre sont souvent les plus petits ;
L'autre, qu'aux grands périls tel a pu se soustraire,
Qui périt pour la moindre affaire.
Source : Ésope "Le cousin et le lion"
(recueil Nevelet). Ici, le lion provoque le moucheron, ce qui n'est pas le cas dans Ésope.
La moralité, dans Ésope, était :"Cette fable est écrite
contre ceux qui abattent les puissants et sont
abattus par les petits"
(1) parodie d'une stance composée par Malherbe
contre le Maréchal d'Ancre ( titre donné à Concini, dont Louis XIII commanditera l'assassinat) :
"Va-t-en à la malheure, excrément de la terre"
(2) m'inquiète. A l'époque, le verbe n'était pas seulement pronominal comme maintenant
(3) dans la façon d'aborder, d'attaquer
(4) choisit son moment
(5) qui n'y peut rien
(recueil Nevelet). Ici, le lion provoque le moucheron, ce qui n'est pas le cas dans Ésope.
La moralité, dans Ésope, était :"Cette fable est écrite
contre ceux qui abattent les puissants et sont
abattus par les petits"
(1) parodie d'une stance composée par Malherbe
contre le Maréchal d'Ancre ( titre donné à Concini, dont Louis XIII commanditera l'assassinat) :
"Va-t-en à la malheure, excrément de la terre"
(2) m'inquiète. A l'époque, le verbe n'était pas seulement pronominal comme maintenant
(3) dans la façon d'aborder, d'attaquer
(4) choisit son moment
(5) qui n'y peut rien
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Re: Jean de la Fontaine
Nous avons déjà eu l'exemple de fables doubles, avec "La Mort et le Malheureux" et "La Mort et le Bûcheron", deux versions d'une même fable. Ici, deux fables illustrant des thèmes voisins vont être "jumelées". Les voici, l'une après l'autre :
LE LION ET LE RAT (*)
---------------------------------------------------------------------------
LA COLOMBE ET LA FOURMI (*)
Il faut, autant qu'on peut, obliger tout le monde :
On a souvent besoin d'un plus petit que soi.
De cette vérité deux fables feront foi,
Tant la chose en preuves abonde.
Entre les pattes d'un Lion,
Un Rat sortit de terre assez à l'étourdie.
Le Roi des animaux, en cette occasion,
Montra ce qu'il était, et lui donna la vie.
Ce bienfait ne fut pas perdu.
Quelqu'un aurait-il jamais cru
Qu'un Lion d'un Rat eût affaire (1)?
Cependant il avint(2)qu'au sortir des forêts
Ce Lion fut pris dans des rets (3),
Dont ses rugissements ne le purent défaire.
Sire Rat accourut, et fit tant par ses dents
Qu'une maille rongée emporta tout l'ouvrage.
Patience et longueur de temps
Font plus que force ni que rage.
On a souvent besoin d'un plus petit que soi.
De cette vérité deux fables feront foi,
Tant la chose en preuves abonde.
Entre les pattes d'un Lion,
Un Rat sortit de terre assez à l'étourdie.
Le Roi des animaux, en cette occasion,
Montra ce qu'il était, et lui donna la vie.
Ce bienfait ne fut pas perdu.
Quelqu'un aurait-il jamais cru
Qu'un Lion d'un Rat eût affaire (1)?
Cependant il avint(2)qu'au sortir des forêts
Ce Lion fut pris dans des rets (3),
Dont ses rugissements ne le purent défaire.
Sire Rat accourut, et fit tant par ses dents
Qu'une maille rongée emporta tout l'ouvrage.
Patience et longueur de temps
Font plus que force ni que rage.
(*) La source est Ésope, traduite du grec
en latin dans le recueil de Nevelet (1610).
Marot avait déjà utilisé cet apologue pour
écrire "Épître à Lyon Jamet". La Fontaine
qui admirait beaucoup Marot a utilisé cet
écrit pour écrire sa fable, en le "ressérant"
beaucoup.
(1) besoin
(2) forme ancienne de "il advint"
(3) filets à grosses mailles
en latin dans le recueil de Nevelet (1610).
Marot avait déjà utilisé cet apologue pour
écrire "Épître à Lyon Jamet". La Fontaine
qui admirait beaucoup Marot a utilisé cet
écrit pour écrire sa fable, en le "ressérant"
beaucoup.
(1) besoin
(2) forme ancienne de "il advint"
(3) filets à grosses mailles
L'autre exemple est tiré d'Animaux plus petits.
Le long d'un clair ruisseau buvait une Colombe,
Quand sur l'eau se penchant une Fourmis y tombe ;
Et dans cet océan l'on eût vu la Fourmis
S'efforcer, mais en vain, de regagner la rive.
La Colombe aussitôt usa de charité ;
Un brin d'herbe dans l'eau par elle étant jeté,
Ce fut un promontoire où la Fourmis arrive.
Elle se sauve ; et là-dessus
Passe un certain Croquant (1) qui marchait les pieds nus.
Ce Croquant par hasard avait une arbalète.
Dès qu'il voit l'Oiseau de Vénus (2),
Il le croit en son pot, et déjà lui fait fête.
Tandis qu'à le tuer mon villageois s'apprête,
La Fourmis le pique au talon.
..............Le Vilain retourne la tête.
La Colombe l'entend, part, et tire de long (3).
Le soupé du Croquant avec elle s'envole :
..............Point de Pigeon pour une obole (4)
Le long d'un clair ruisseau buvait une Colombe,
Quand sur l'eau se penchant une Fourmis y tombe ;
Et dans cet océan l'on eût vu la Fourmis
S'efforcer, mais en vain, de regagner la rive.
La Colombe aussitôt usa de charité ;
Un brin d'herbe dans l'eau par elle étant jeté,
Ce fut un promontoire où la Fourmis arrive.
Elle se sauve ; et là-dessus
Passe un certain Croquant (1) qui marchait les pieds nus.
Ce Croquant par hasard avait une arbalète.
Dès qu'il voit l'Oiseau de Vénus (2),
Il le croit en son pot, et déjà lui fait fête.
Tandis qu'à le tuer mon villageois s'apprête,
La Fourmis le pique au talon.
..............Le Vilain retourne la tête.
La Colombe l'entend, part, et tire de long (3).
Le soupé du Croquant avec elle s'envole :
..............Point de Pigeon pour une obole (4)
(*) Source : Ésope : La fourmi et la colombe
(Névelet)
(1) "gueux, misérable, qui n'a aucun bien, qui
en temps de guerre n'a pour toutes armes qu'un
croc. Les paysans qui se révoltent sont de pauvres croquants." (Furetière)
(2) la colombe était consacrée à Vénus.
(3) s'enfuit
(4) l'obole est une ancienne monnaie valant la moitié d'un denier et par extension une modeste contribution financière. On dirait aujourd'hui : "Point de pigeon pour un centime : pas le moindre pigeon "
De plus, L.F. a volontairement établi une dépréciation
depuis "l'oiseau de Vénus" en passant par "la colombe"
pour finir en "pigeon-soupé".
Il ne faut pas rêver, on n'a rien ... pour rien !
(Névelet)
(1) "gueux, misérable, qui n'a aucun bien, qui
en temps de guerre n'a pour toutes armes qu'un
croc. Les paysans qui se révoltent sont de pauvres croquants." (Furetière)
(2) la colombe était consacrée à Vénus.
(3) s'enfuit
(4) l'obole est une ancienne monnaie valant la moitié d'un denier et par extension une modeste contribution financière. On dirait aujourd'hui : "Point de pigeon pour un centime : pas le moindre pigeon "
De plus, L.F. a volontairement établi une dépréciation
depuis "l'oiseau de Vénus" en passant par "la colombe"
pour finir en "pigeon-soupé".
Il ne faut pas rêver, on n'a rien ... pour rien !
Dernière édition par crodan00 le Mar 9 Fév - 7:05, édité 1 fois
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Re: Jean de la Fontaine
LE LION, LE LOUP ET LE RENARD
Un Lion décrépit, goutteux, n'en pouvant plus,
Voulait que l'on trouvât remède à la vieillesse :
Alléguer l'impossible aux Rois, c'est un abus.(1)
Celui-ci parmi chaque espèce
Manda des Médecins ; il en est de tous arts : (2)
Médecins au Lion viennent de toutes parts ;
De tous côtés lui vient des donneurs de recettes.
Dans les visites qui sont faites,
Le Renard se dispense, et se tient clos et coi. (3)
Le Loup en fait sa cour, daube (4) au coucher du Roi
Son camarade absent ; le Prince tout à l'heure
Veut qu'on aille enfumer Renard dans sa demeure,
Qu'on le fasse venir. Il vient, est présenté ;
Et, sachant que le Loup lui faisait cette affaire :
Je crains, Sire, dit-il, qu'un rapport peu sincère,
Ne m'ait à mépris (5) imputé
D'avoir différé cet hommage ;
Mais j'étais en pèlerinage ;
Et m'acquittais d'un voeu fait pour votre santé.
Même j'ai vu dans mon voyage
Gens experts et savants ; leur ai dit la langueur
Dont votre Majesté craint à bon droit la suite.
Vous ne manquez que de chaleur :
Le long âge en vous l'a détruite :
D'un Loup écorché vif appliquez-vous la peau
Toute chaude et toute fumante ;
Le secret sans doute en est beau
Pour la nature défaillante.
Messire Loup vous servira,
S'il vous plaît, de robe de chambre.
Le Roi goûte cet avis-là :
On écorche, on taille, on démembre
Messire Loup. Le Monarque en soupa,
Et de sa peau s'enveloppa ;
Messieurs les courtisans, cessez de vous détruire :
Faites si vous pouvez votre cour sans vous nuire.
Le mal se rend chez vous au quadruple du bien.
Les daubeurs ont leur tour d'une ou d'autre manière :
Vous êtes dans une carrière
Où l'on ne se pardonne rien.
Voulait que l'on trouvât remède à la vieillesse :
Alléguer l'impossible aux Rois, c'est un abus.(1)
Celui-ci parmi chaque espèce
Manda des Médecins ; il en est de tous arts : (2)
Médecins au Lion viennent de toutes parts ;
De tous côtés lui vient des donneurs de recettes.
Dans les visites qui sont faites,
Le Renard se dispense, et se tient clos et coi. (3)
Le Loup en fait sa cour, daube (4) au coucher du Roi
Son camarade absent ; le Prince tout à l'heure
Veut qu'on aille enfumer Renard dans sa demeure,
Qu'on le fasse venir. Il vient, est présenté ;
Et, sachant que le Loup lui faisait cette affaire :
Je crains, Sire, dit-il, qu'un rapport peu sincère,
Ne m'ait à mépris (5) imputé
D'avoir différé cet hommage ;
Mais j'étais en pèlerinage ;
Et m'acquittais d'un voeu fait pour votre santé.
Même j'ai vu dans mon voyage
Gens experts et savants ; leur ai dit la langueur
Dont votre Majesté craint à bon droit la suite.
Vous ne manquez que de chaleur :
Le long âge en vous l'a détruite :
D'un Loup écorché vif appliquez-vous la peau
Toute chaude et toute fumante ;
Le secret sans doute en est beau
Pour la nature défaillante.
Messire Loup vous servira,
S'il vous plaît, de robe de chambre.
Le Roi goûte cet avis-là :
On écorche, on taille, on démembre
Messire Loup. Le Monarque en soupa,
Et de sa peau s'enveloppa ;
Messieurs les courtisans, cessez de vous détruire :
Faites si vous pouvez votre cour sans vous nuire.
Le mal se rend chez vous au quadruple du bien.
Les daubeurs ont leur tour d'une ou d'autre manière :
Vous êtes dans une carrière
Où l'on ne se pardonne rien.
Sources : Esope, titre identique.
Cette fable a été publiée en 1671, elle était la première des Huit Fables nouvelles, qui succédaient à la publication des six premiers livres de 1668.
A la morale d'Esope : Cette morale montre que quiconque conçoit contre un autre de perfides desseins prépare un piège contre lui-même, La Fontaine oriente la sienne vers une mise en garde des courtisans qui se déruisent les uns les autres.
(1) une erreur
(2) qui pratiquent toutes sortes de méthodes
(3) retiré, il ne veut pas se mêler des affaires des autres
(4) il raille, il médit
(5) à tort
Cette fable a été publiée en 1671, elle était la première des Huit Fables nouvelles, qui succédaient à la publication des six premiers livres de 1668.
A la morale d'Esope : Cette morale montre que quiconque conçoit contre un autre de perfides desseins prépare un piège contre lui-même, La Fontaine oriente la sienne vers une mise en garde des courtisans qui se déruisent les uns les autres.
(1) une erreur
(2) qui pratiquent toutes sortes de méthodes
(3) retiré, il ne veut pas se mêler des affaires des autres
(4) il raille, il médit
(5) à tort
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Re: Jean de la Fontaine
LE LION, LE SINGE ET LES DEUX ÂNES
Le Lion, pour bien gouverner,
Voulant apprendre la morale,
Se fit un beau jour amener
Le Singe maître ès arts (1) chez la gent animale.
La première leçon que donna le Régent (2)
Fut celle-ci : Grand Roi, pour régner sagement,
.Il faut que tout Prince préfère
Le zèle de l'Etat à certain mouvement
Qu'on appelle communément
Amour propre (3) ; car c'est le père,
C'est l'auteur de tous les défauts
Que l'on remarque aux animaux.
Vouloir que de tout point ce sentiment vous quitte,
Ce n'est pas chose si petite
Qu'on en vienne à bout en un jour :
C'est beaucoup de pouvoir modérer cet amour.
Par là, votre personnage auguste
N'admettra jamais rien en soi
De ridicule ni d'injuste.
Donne-moi, repartit le Roi,
Des exemples de l'un et l'autre.
Toute espèce, dit le Docteur,
(Et je commence par la nôtre)
Toute profession s'estime dans son coeur,
Traite les autres d'ignorantes,
Les qualifie impertinentes (4) ,
Et semblables discours qui ne nous coûtent rien.
L'amour-propre au rebours (5) fait qu'au degré suprême
On porte ses pareils ; car c'est un bon moyen
De s'élever aussi soi-même.
De tout ce que dessus (6)j'argumente (7) très bien
Qu'ici-bas maint talent n'est que pure grimace,
Cabale, et certain art de se faire valoir,
Mieux su des ignorants que des gens de savoir.
L'autre jour suivant à la trace
Deux Ânes qui, prenant tour à tour l'encensoir
Se louaient tour à tour, comme c'est la manière,
J'ouïs que l'un des deux disait à son confrère :
Seigneur, trouvez-vous pas bien injuste et bien sot
L'homme, cet animal si parfait ? Il profane
Notre auguste nom, traitant d'Âne
Quiconque est ignorant, d'esprit lourd, idiot :
Il abuse encore d'un mot,
Et traite notre rire, et nos discours de braire (.
Les humains sont plaisants de prétendre exceller
Par-dessus nous ; non, non ; c'est à vous de parler,
À leurs orateurs de se taire :
Voilà les vrais braillards ; mais laissons là ces gens :
Vous m'entendez, je vous entends :
Il suffit ; et quant aux merveilles
Dont votre divin chant vient frapper les oreilles,
Philomèle (9) est au prix novice dans cet art :
Vous surpassez Lambert (10). L'autre Baudet repart :
Seigneur, j'admire en vous des qualités pareilles.
Ces Ânes, non contents de s'être ainsi grattés,
S'en allèrent dans les cités
L'un l'autre se prôner : chacun d'eux croyait faire,
En prisant ses pareils, une fort bonne affaire,
Prétendant que l'honneur en reviendrait sur lui.
J'en connais beaucoup aujourd'hui,
Non parmi les Baudets, mais parmi les puissances
Que le Ciel voulut mettre en de plus hauts degrés,
Qui changeraient entre eux les simples Excellences (11),
S'ils osaient, en des Majestés.
J'en dis peut-être plus qu'il ne faut, et suppose
Que Votre Majesté gardera le secret.
Elle avait souhaité d'apprendre quelque trait
Qui lui fit voir entre autre chose
L'amour-propre donnant du ridicule aux gens.
L'injuste aura son tour : il y faut plus de temps.
Ainsi parla ce Singe. On ne m'a pas su dire
S'il traita l'autre point ; car il est délicat ;
Et notre Maître ès arts, qui n'était pas un fat (12),
Regardait ce Lion comme un terrible sire.
Voulant apprendre la morale,
Se fit un beau jour amener
Le Singe maître ès arts (1) chez la gent animale.
La première leçon que donna le Régent (2)
Fut celle-ci : Grand Roi, pour régner sagement,
.Il faut que tout Prince préfère
Le zèle de l'Etat à certain mouvement
Qu'on appelle communément
Amour propre (3) ; car c'est le père,
C'est l'auteur de tous les défauts
Que l'on remarque aux animaux.
Vouloir que de tout point ce sentiment vous quitte,
Ce n'est pas chose si petite
Qu'on en vienne à bout en un jour :
C'est beaucoup de pouvoir modérer cet amour.
Par là, votre personnage auguste
N'admettra jamais rien en soi
De ridicule ni d'injuste.
Donne-moi, repartit le Roi,
Des exemples de l'un et l'autre.
Toute espèce, dit le Docteur,
(Et je commence par la nôtre)
Toute profession s'estime dans son coeur,
Traite les autres d'ignorantes,
Les qualifie impertinentes (4) ,
Et semblables discours qui ne nous coûtent rien.
L'amour-propre au rebours (5) fait qu'au degré suprême
On porte ses pareils ; car c'est un bon moyen
De s'élever aussi soi-même.
De tout ce que dessus (6)j'argumente (7) très bien
Qu'ici-bas maint talent n'est que pure grimace,
Cabale, et certain art de se faire valoir,
Mieux su des ignorants que des gens de savoir.
L'autre jour suivant à la trace
Deux Ânes qui, prenant tour à tour l'encensoir
Se louaient tour à tour, comme c'est la manière,
J'ouïs que l'un des deux disait à son confrère :
Seigneur, trouvez-vous pas bien injuste et bien sot
L'homme, cet animal si parfait ? Il profane
Notre auguste nom, traitant d'Âne
Quiconque est ignorant, d'esprit lourd, idiot :
Il abuse encore d'un mot,
Et traite notre rire, et nos discours de braire (.
Les humains sont plaisants de prétendre exceller
Par-dessus nous ; non, non ; c'est à vous de parler,
À leurs orateurs de se taire :
Voilà les vrais braillards ; mais laissons là ces gens :
Vous m'entendez, je vous entends :
Il suffit ; et quant aux merveilles
Dont votre divin chant vient frapper les oreilles,
Philomèle (9) est au prix novice dans cet art :
Vous surpassez Lambert (10). L'autre Baudet repart :
Seigneur, j'admire en vous des qualités pareilles.
Ces Ânes, non contents de s'être ainsi grattés,
S'en allèrent dans les cités
L'un l'autre se prôner : chacun d'eux croyait faire,
En prisant ses pareils, une fort bonne affaire,
Prétendant que l'honneur en reviendrait sur lui.
J'en connais beaucoup aujourd'hui,
Non parmi les Baudets, mais parmi les puissances
Que le Ciel voulut mettre en de plus hauts degrés,
Qui changeraient entre eux les simples Excellences (11),
S'ils osaient, en des Majestés.
J'en dis peut-être plus qu'il ne faut, et suppose
Que Votre Majesté gardera le secret.
Elle avait souhaité d'apprendre quelque trait
Qui lui fit voir entre autre chose
L'amour-propre donnant du ridicule aux gens.
L'injuste aura son tour : il y faut plus de temps.
Ainsi parla ce Singe. On ne m'a pas su dire
S'il traita l'autre point ; car il est délicat ;
Et notre Maître ès arts, qui n'était pas un fat (12),
Regardait ce Lion comme un terrible sire.
Cette fable développe le thème fondé sur l'expérience populaire "Connais-toi toi-même". Le singe donne au maître, et à sa demande, des leçons de morale. L'apologue des "deux ânes" est une amplification du thème de l'expression latine : asinus asinum fricat" (l'âne frotte l'âne : qui se dit de deux personnes s'adressant mutuellement des éloges outrés.)
(1) équivalent d'un licencié ès lettres et philosophie
(2) maître de collège
(3) sens de : amour de soi(4) sottes, ridicules
(5) au contraire
(6) de tout ce qui précède
(7) je déduis
( il appelle "braire" notre façon de rire et de parler
(9) l'hirondelle
(10 beau-père de Lully, chanteur et compositeur
(11) ces "puissances" qui changeaient leurs "Excellences" en "Majestés" évoquent les ministres de Louis XIV et leurs prétentions sur ce qu'ils sont investis par délégation de l'autorité royale (J.P. Collinet, La Pléiade)
(12) un sot
(1) équivalent d'un licencié ès lettres et philosophie
(2) maître de collège
(3) sens de : amour de soi(4) sottes, ridicules
(5) au contraire
(6) de tout ce qui précède
(7) je déduis
( il appelle "braire" notre façon de rire et de parler
(9) l'hirondelle
(10 beau-père de Lully, chanteur et compositeur
(11) ces "puissances" qui changeaient leurs "Excellences" en "Majestés" évoquent les ministres de Louis XIV et leurs prétentions sur ce qu'ils sont investis par délégation de l'autorité royale (J.P. Collinet, La Pléiade)
(12) un sot
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Re: Jean de la Fontaine
LE LION MALADE ET LE RENARD
De par le Roi des Animaux,
Qui dans son antre était malade,
Fut fait savoir à ses Vassaux
Que chaque espèce en ambassade
Envoyât gens le visiter :
Sous promesse de bien traiter
Les Députés, eux et leur suite,
Foi de Lion, très bien écrite,
Bon passeport contre la dent ;
Contre la griffe tout autant.
L'édit du Prince s'exécute :
De chaque espèce on lui députe. (1)
Les Renards gardant la maison,
Un d'eux en dit cette raison :
Les pas empreints sur la poussière
Par ceux qui s'en vont faire au malade leur cour,
Tous, sans exception, regardent sa tanière ;
Pas un ne marque de retour.
Cela nous met en méfiance.
Que Sa Majesté nous dispense :
Grand merci de son passeport .
Je le crois bon; mais dans cet antre
Je vois fort bien comme l'on entre,
Et ne vois pas comme on en sort.
Qui dans son antre était malade,
Fut fait savoir à ses Vassaux
Que chaque espèce en ambassade
Envoyât gens le visiter :
Sous promesse de bien traiter
Les Députés, eux et leur suite,
Foi de Lion, très bien écrite,
Bon passeport contre la dent ;
Contre la griffe tout autant.
L'édit du Prince s'exécute :
De chaque espèce on lui députe. (1)
Les Renards gardant la maison,
Un d'eux en dit cette raison :
Les pas empreints sur la poussière
Par ceux qui s'en vont faire au malade leur cour,
Tous, sans exception, regardent sa tanière ;
Pas un ne marque de retour.
Cela nous met en méfiance.
Que Sa Majesté nous dispense :
Grand merci de son passeport .
Je le crois bon; mais dans cet antre
Je vois fort bien comme l'on entre,
Et ne vois pas comme on en sort.
Le canevas de la fable vient de l'apologue d'Esope Le lion vieilli et le renard (Nevelet, p.199)
La moralité en était : Ainsi les hommes judicieux prévoient à certains indices les dangers et les évitent.
(1) on lui envoie des députés
La moralité en était : Ainsi les hommes judicieux prévoient à certains indices les dangers et les évitent.
(1) on lui envoie des députés
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Re: Jean de la Fontaine
LE LION S' EN ALLANT EN GUERRE
Le Lion dans sa tête avait une entreprise. (1)
Il tint conseil de guerre, envoya ses Prévôts, (2)
Fit avertir les Animaux :
Tous furent du dessein, chacun selon sa guise : (3)
L'Éléphant devait sur son dos
Porter l'attirail nécessaire,
Et combattre à son ordinaire ;
L'Ours s'apprêter pour les assauts ;
Le Renard ménager de secrètes pratiques ;
Et le Singe, amuser l'ennemi par ses tours.
Renvoyez, dit quelqu'un, les Ânes qui sont lourds,
Et les Lièvres sujets à des terreurs paniques.
Point du tout, dit le Roi ? je les veux employer.
Notre troupe sans eux ne serait pas complète.
L'Âne effraiera les gens, nous servant de trompette;
Et le Lièvre pourra nous servir de courrier.
Le monarque prudent et sage
De ses moindres sujets sait tirer quelque usage,
Et connaît les divers talents.
Il n'est rien d'inutile aux personnes de sens .
Il tint conseil de guerre, envoya ses Prévôts, (2)
Fit avertir les Animaux :
Tous furent du dessein, chacun selon sa guise : (3)
L'Éléphant devait sur son dos
Porter l'attirail nécessaire,
Et combattre à son ordinaire ;
L'Ours s'apprêter pour les assauts ;
Le Renard ménager de secrètes pratiques ;
Et le Singe, amuser l'ennemi par ses tours.
Renvoyez, dit quelqu'un, les Ânes qui sont lourds,
Et les Lièvres sujets à des terreurs paniques.
Point du tout, dit le Roi ? je les veux employer.
Notre troupe sans eux ne serait pas complète.
L'Âne effraiera les gens, nous servant de trompette;
Et le Lièvre pourra nous servir de courrier.
Le monarque prudent et sage
De ses moindres sujets sait tirer quelque usage,
Et connaît les divers talents.
Il n'est rien d'inutile aux personnes de sens .
La source de la fable est Abstémius, citée par G.Couton
(Flammarion) qui se termine ainsi :
"La fable signifie que personne n'est totalement méprisable
et incapable de tout service"
(1) avait l'intention de faire la guerre
(2) ses représentants
(3) ses compétences
(Flammarion) qui se termine ainsi :
"La fable signifie que personne n'est totalement méprisable
et incapable de tout service"
(1) avait l'intention de faire la guerre
(2) ses représentants
(3) ses compétences
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Re: Jean de la Fontaine
LA LIONNE ET L’OURSE
...........Mère Lionne avait perdu son faon (1),
Un chasseur l'avait pris. La pauvre infortunée
Poussait un tel rugissement
Que toute la forêt était importunée.
La nuit ni son obscurité,
Son silence et ses autres charmes,
De la Reine des bois n'arrêtait les vacarmes :
Nul animal n'était du sommeil visité.
L'Ourse enfin lui dit : Ma commère,
Un mot sans plus : tous les enfants
Qui sont passés entre vos dents
N'avaient-ils ni père ni mère ?
Ils en avaient. S'il est ainsi,
Et qu'aucun de leur mort n'ait nos têtes rompues,
Si tant de mères se sont tues,
Que ne vous taisez-vous aussi ?
Moi, me taire ? moi, malheureuse !
Ah ! j'ai perdu mon fils ! Il me faudra traîner
Une vieillesse douloureuse !
Dites-moi, qui vous force à vous y condamner ?
Hélas ! c'est le destin qui me hait. Ces paroles
Ont été de tout temps en la bouche de tous.
Misérables humains, ceci s'adresse à vous :
Je n'entends résonner que des plaintes frivoles.
Quiconque en pareil cas se croit haï des Cieux,
Qu'il considère Hécube (2) , il rendra grâce aux dieux
.Un chasseur l'avait pris. La pauvre infortunée
Poussait un tel rugissement
Que toute la forêt était importunée.
La nuit ni son obscurité,
Son silence et ses autres charmes,
De la Reine des bois n'arrêtait les vacarmes :
Nul animal n'était du sommeil visité.
L'Ourse enfin lui dit : Ma commère,
Un mot sans plus : tous les enfants
Qui sont passés entre vos dents
N'avaient-ils ni père ni mère ?
Ils en avaient. S'il est ainsi,
Et qu'aucun de leur mort n'ait nos têtes rompues,
Si tant de mères se sont tues,
Que ne vous taisez-vous aussi ?
Moi, me taire ? moi, malheureuse !
Ah ! j'ai perdu mon fils ! Il me faudra traîner
Une vieillesse douloureuse !
Dites-moi, qui vous force à vous y condamner ?
Hélas ! c'est le destin qui me hait. Ces paroles
Ont été de tout temps en la bouche de tous.
Misérables humains, ceci s'adresse à vous :
Je n'entends résonner que des plaintes frivoles.
Quiconque en pareil cas se croit haï des Cieux,
Qu'il considère Hécube (2) , il rendra grâce aux dieux
Cette fable dérive d'une tradition indienne que La Fontaine a pu trouver dans le "Specimen sapientiae Indorum veterum" du père Poussines, publié à Rome en 1666.
Lorsqu'on souffre d'un mal qu'on a par ailleurs commis, on ne doit ni se plaindre, ni se révolter...
(1) A l'époque de L.F. , ce mot désignait le petit d'une bête sauvage
(2) épouse de Priam, mère d'Hector, de Pâris et de Cassandre. Elle a vu périr son mari, ses enfants, et après la guerre de Troie, elle fut emmenée en esclavage en Thrace.
Lorsqu'on souffre d'un mal qu'on a par ailleurs commis, on ne doit ni se plaindre, ni se révolter...
(1) A l'époque de L.F. , ce mot désignait le petit d'une bête sauvage
(2) épouse de Priam, mère d'Hector, de Pâris et de Cassandre. Elle a vu périr son mari, ses enfants, et après la guerre de Troie, elle fut emmenée en esclavage en Thrace.
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Re: Jean de la Fontaine
LE LOUP DEVENU BERGER
Un Loup, qui commençait d'avoir petite part
Aux Brebis de son voisinage,
Crut qu'il fallait s'aider de la peau du Renard (1),
Et faire un nouveau personnage.
Il s'habille en Berger, endosse un hoqueton (2),
Fait sa houlette (3) d'un bâton,
Sans oublier la cornemuse.
Pour pousser jusqu'au bout la ruse,
Il aurait volontiers écrit sur son chapeau :
C'est moi qui suis Guillot, Berger de ce troupeau.
Sa personne étant ainsi faite,
Et ses pieds de devant posés sur sa houlette,
Guillot le sycophante (4) approche doucement.
Guillot le vrai Guillot, étendu sur l'herbette,
Dormait alors profondément.
Son Chien dormait aussi, comme aussi sa musette :
La plupart des Brebis dormaient pareillement.
L'Hypocrite les laissa faire,
Et pour pouvoir mener vers son fort (5) les brebis,
Il voulut ajouter la parole aux habits,
Chose qu'il croyait nécessaire.
Mais cela gâta son affaire,
Il ne put du Pasteur contrefaire la voix.
Le ton dont il parla fit retentir les bois,
Et découvrit tout le mystère.
Chacun se réveille à ce son,
Les brebis, le Chien, le Garçon.
Le pauvre Loup, dans cet esclandre (6),
Empêché par son hoqueton,
Ne put ni fuir ni se défendre.
Toujours par quelque endroit fourbes se laissent prendre.
Quiconque est Loup agisse en Loup ;
C'est le C'est le plus certain de beaucoup.
Aux Brebis de son voisinage,
Crut qu'il fallait s'aider de la peau du Renard (1),
Et faire un nouveau personnage.
Il s'habille en Berger, endosse un hoqueton (2),
Fait sa houlette (3) d'un bâton,
Sans oublier la cornemuse.
Pour pousser jusqu'au bout la ruse,
Il aurait volontiers écrit sur son chapeau :
C'est moi qui suis Guillot, Berger de ce troupeau.
Sa personne étant ainsi faite,
Et ses pieds de devant posés sur sa houlette,
Guillot le sycophante (4) approche doucement.
Guillot le vrai Guillot, étendu sur l'herbette,
Dormait alors profondément.
Son Chien dormait aussi, comme aussi sa musette :
La plupart des Brebis dormaient pareillement.
L'Hypocrite les laissa faire,
Et pour pouvoir mener vers son fort (5) les brebis,
Il voulut ajouter la parole aux habits,
Chose qu'il croyait nécessaire.
Mais cela gâta son affaire,
Il ne put du Pasteur contrefaire la voix.
Le ton dont il parla fit retentir les bois,
Et découvrit tout le mystère.
Chacun se réveille à ce son,
Les brebis, le Chien, le Garçon.
Le pauvre Loup, dans cet esclandre (6),
Empêché par son hoqueton,
Ne put ni fuir ni se défendre.
Toujours par quelque endroit fourbes se laissent prendre.
Quiconque est Loup agisse en Loup ;
C'est le C'est le plus certain de beaucoup.
L'origine de la fable se trouve chez
Verdizotti
"Il lupo e le pecore"
(1) ruser
(2) casaque de paysan
(3) bâton de berger
(4) trompeur
(5) repaire, retraite
(6) incident fâcheux
Verdizotti
"Il lupo e le pecore"
(1) ruser
(2) casaque de paysan
(3) bâton de berger
(4) trompeur
(5) repaire, retraite
(6) incident fâcheux
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Re: Jean de la Fontaine
Pour cette fable, la Fontaine s'est inspiré d'Ésope "Le loup et le héron", repris par Phèdre dans "Le loup et la grue" (recueil Nevelet). La fable se termine par une menace, qui n'existait pas chez Ésope. La traduction de D. Loayza (Ed. bilingue GF-Flammarion p.163), se termine ainsi "La fable montre que la plus grande marque de reconnaissance qu'on puisse attendre d'un gredin, c'est qu'il vous épargne un nouvel outrage"
LE LOUP ET LA CIGOGNE
Les Loups mangent gloutonnement.
Un Loup donc étant de frairie (1),
Se pressa, dit-on, tellement
Qu'il en pensa perdre la vie.
Un os lui demeura bien avant au gosier.
De bonheur pour ce Loup, qui ne pouvait crier,
Près de là passe une Cigogne.
.. Il lui fait signe, elle accourt.
Voilà l'Opératrice (2) aussitôt en besogne.
Elle retira l'os ; puis, pour un si bon tour,
Elle demanda son salaire.
Votre salaire? dit le Lloup,
Vous riez, ma bonne commère.
Quoi ! Ce n'est pas encor beaucoup
D'avoir de mon gosier retiré votre cou !
Allez, vous êtes une ingrate ;
Ne tombez jamais sous ma patte (3).
Un Loup donc étant de frairie (1),
Se pressa, dit-on, tellement
Qu'il en pensa perdre la vie.
Un os lui demeura bien avant au gosier.
De bonheur pour ce Loup, qui ne pouvait crier,
Près de là passe une Cigogne.
.. Il lui fait signe, elle accourt.
Voilà l'Opératrice (2) aussitôt en besogne.
Elle retira l'os ; puis, pour un si bon tour,
Elle demanda son salaire.
Votre salaire? dit le Lloup,
Vous riez, ma bonne commère.
Quoi ! Ce n'est pas encor beaucoup
D'avoir de mon gosier retiré votre cou !
Allez, vous êtes une ingrate ;
Ne tombez jamais sous ma patte (3).
(1) divertissement, partie de plaisir (bas
selon Furetière)
(2) chirurgien ou médecin empirique qui
vendait des drogues sur les places publiques
(3) Après un reproche dénotant un certain
cynisme, le loup affiche sa méchanceté.
selon Furetière)
(2) chirurgien ou médecin empirique qui
vendait des drogues sur les places publiques
(3) Après un reproche dénotant un certain
cynisme, le loup affiche sa méchanceté.
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