Poéme
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Poéme
Bertrand, Aloysius (1807-1841).
GASPARD DE LA NUIT
J'aime Dijon comme l'enfant sa nourrice dont il a sucé le lait, comme le poète
la jouvencelle qui a initié son coeur. - Enfance et poésie ! Que l'une est éphémère, et
que l'autre est trompeuse ! L'enfance est un papillon qui se hâte de brûler ses blanches
ailes au flammes de la jeunesse, et la poésie est semblable à l'amandier: ses fleurs sont
parfumées et ses fruits sont amers. J'étais un jour assis à l'écart dans le jardin de l'Arquebuse, - ainsi nommé de l'arme qui autrefois y signala si souvent l'adresse des chevaliers du Papeguay.
Immobile sur un banc, on eût peu me comparer à la statue du bastion Bazire. Ce chef-d’oeuvre
du figuriste Sévallée et du peintre Guillot représentait un abbé assis et lisant.
Rien ne manquait à son costume. De loin, on le prenait pour un personnage; de près,
on voyait que c'était un plâtre.
La toux d'un promeneur dissipa l'essaim de mes rêves. C'était un pauvre diable
dont l'extérieur n'annonçait que misères et souffrances. J'avais déjà remarqué, dans le
même jardin, sa redingote râpée qui se boutonnait jusqu'au menton, son feutre
déformé que jamais brosse n'avait brossé, ses cheveux longs comme un saule, et
peignés comme des broussailles, ses mains décharnées, pareilles à des ossuaires, sa
physionomie narquoise, chafouine et maladive qu'effilait une barbe nazaréenne; et
mes conjectures l'avaient charitablement rangé parmi ces artistes au petit-pied, joueurs
de violon et peintres de portraits, qu'une faim irrassasiable et une soif inextinguible
condamnent à courir le monde sur la trace du Juif-errant.
Nous étions maintenant deux sur le banc. Mon voisin feuilletait un livre des
pages duquel s'échappa à son insu une fleur desséchée. Je la recueillis pour la lui
rendre. L'inconnu me saluant la porta à ses lèvres flétries, et la replaça dans le livre
mystérieux.
- « Cette fleur, me hasardai-je à lui dire, est sans doute le symbole de quelque
doux amour enseveli ? Hélas ! nous avons tous dans le passé un jour de bonheur qui
nous désenchante l'avenir.
- Vous êtes poète ? me répondit-il en souriant. »
Le fil de la conversation s'était noué: maintenant, sur quelle bobine allait-il
s'envider ?
- « Poète, si c'est poète que d'avoir cherché l'art !
- Vous avez cherché l'art ! Et l'avez-vous trouvé ?
- Plût au ciel que l'art ne fût pas une chimère !
- Une chimère !... et moi aussi je l'ai cherché ! » s'écria-t-il avec l'enthousiasme
du génie et l'emphase du triomphe.
Je le priai de m'apprendre à quel lunetier il devait sa découverte, l'art ayant été
pour moi ce qu'est une aiguille dans une meule de foin.....
- « J'avais résolu, dit-il, de chercher l'art comme au moyen-âge les rose-croix
cherchèrent la pierre philosophale; l'art, cette pierre philosophale du dix-neuvième
siècle !
« Une question exerça d'abord ma scolastique. Je me demandai: Qu'est-ce que
l'art ? - L'art est la science du poète. - Définition aussi limpide qu'un diamant de la
plus belle eau.
« Mais quels sont les éléments de l'art ? Seconde question à laquelle j'hésitai
pendant plusieurs mois de répondre. - Un soir qu'à la fumée d'une lampe je fossoyais
le poudreux charnier d'un bouquiniste, j'y déterrai un petit livre en langue baroque et
inintelligible, dont le titre s'armoriait d'un amphistère déroulant sur une banderole ces
deux mots: Gott - Liebe. Quelques sous payèrent ce trésor. J'escaladai ma mansarde, et
là, comme j'épelais curieusement le livre énigmatique, devant la fenêtre baignée d'un
clair de lune, soudain il me sembla que le doigt de Dieu effleurait le clavier de l'orgue
universel. Ainsi les phalènes bourdonnantes se dégagent du sein des fleurs qui pâment
leurs lèvres aux baisers de la nuit. J'enjambai la fenêtre, et je regardai en bas. O
surprise ! rêvais-je ? Une terrasse que je n'avais pas soupçonnée aux suaves
émanations de ses orangers, une jeune fille vêtue de blanc, qui jouait de la harpe, un
vieillard vêtu de noir qui priait à genoux ! - Le livre me tomba des mains. Je descendis chez les locataires de la terrasse. Le vieillard était un ministre de
la religion réformée qui avait échangé la froide patrie de sa Thuringe contre le tiède
exil de notre Bourgogne. La musicienne était son unique enfant, blonde et frêle beauté
de dix-sept ans qu'effeuillait un mal de langueur; et le livre par moi réclamé était un
eucologe allemand à l'usage des églises du rite luthérien et aux armes d'un prince de la
maison d'Anhalt-Coëthen.
« Ah ! monsieur, ne remuons pas une cendre encore inassoupie ! Élisabeth n'est
plus qu'une Béatrix à la robe azurée. Elle est morte, monsieur, morte ! et voici
l'eucologe où elle épanchait sa timide prière, la rose où elle a exhalé son âme
innocente. - Fleur desséchée en bouton comme elle ! - Livre fermé comme le livre de
sa destinée ! - Reliques bénies qu'elle ne méconnaîtra pas dans l'éternité, aux larmes
dont elles seront trempées, quand la trompette de l'archange ayant rompu la pierre de
mon tombeau, je m'élancerai par-delà tous les mondes jusqu'à la vierge adorée, pour
m'asseoir enfin près d'elle sous les regards de Dieu !...
- Et l'art, lui demandai-je ?
- Ce qui dans l'art est sentiment était ma douloureuse conquête. J'avais aimé,
j'avais prié. Gott - Liebe, Dieu et Amour ! - Mais ce qui dans l'art est idée leurrait
encore ma curiosité. Je crus que je trouverais le complément de l'art dans la nature.
J'étudiai donc la nature.
« Je sortais le matin de ma demeure et je n'y rentrais que le soir. Tantôt,
accoudé sur le parapet d'un bastion en ruines, j'aimais, pendant de longues heures, à
respirer le parfum sauvage et pénétrant du violier qui mouchète de ses bouquets d'or la
robe de lierre de la féodale et caduque cité de Louis XI (*); à voir s'accidenter le
paysage tranquille d'un coup de vent, d'un rayon de soleil, ou d'une ondée de pluie, le
bec-figue et les oisillons des haies se jouer dans la pépinière éparpillée d'ombres et de
clartés, les grives accourues de la montagne vendanger la vigne assez haute et touffue
pour cacher le cerf de la fable, les corbeaux s'abattre de tous les coins du ciel, en
bandes fatiguées, sur la carcasse d'un cheval abandonnée par le pialey dans quelque.6
bas-fond verdoyant; à écouter les lavandières qui faisaient retentir leur rouillot joyeux
au bord de Suzon et l'enfant qui chantait une mélodie plaintive en tournant sous la
muraille la roue du cordier. - Tantôt je frayais à mes rêveries un sentier de mousse et
de rosée, de silence et de quiétude, loin de la ville. Que de fois j'ai ravi leurs
quenouilles de fruits rouges et acides aux halliers mal hantés de la fontaine de
Jouvence et de l'ermitage de Notre-Dame-d'Étang, la fontaine des Esprits et des Fées,
l'ermitage du Diable ! Que de fois j'ai ramassé le buccin pétrifié et le corail fossile sur
les hauteurs pierreuses de Saint-Joseph, ravinées par l'orage ! Que de fois j'ai pêché
l'écrevisse dans les gués échevelés des Tilles (*****), parmi les cressons qui abritent
la salamandre glacée et parmi les nénuphars dont bâillent les fleurs indolentes ! Que
de fois j'ai épié la couleuvre sur les plages embourbées de Saulons, qui n'entendent que
le cri monotone de la foulque et le gémissement funèbre du grèbe ! Que de fois j'ai
étoilé d'une bougie les grottes souterraines d'Asnières où la stalactite distille avec
lenteur l'éternelle goutte d'eau de la clepsydre des siècles ! Que de fois j'ai hurlé de la
corne, sur les rocs perpendiculaires de Chèvre-Morte, la diligence gravissant
péniblement le chemin à trois cents pieds au-dessous de mon trône de brouillards ! Et
les nuits mêmes, les nuits d'été, balsamiques et diaphanes, que de fois j'ai gigué
comme un lycanthrope autour d'un feu allumé dans le val herbu et désert, jusqu'à ce
que les premiers coups de cognée du bûcheron ébranlassent les chênes ! Ah ! monsieur,
combien la solitude a d'attraits pour le poète ! J'aurais été heureux de vivre dans les
bois et de ne faire pas plus de bruit que l'oiseau qui se désaltère à la source, que l'abeille
qui picore à l'aubépine et que le gland dont la chute crève la feuillée !....
- Et l'art, lui demandai-je ?
- Patience ! l'art était encore dans les limbes. J'avais étudié le spectacle de la nature,
j'étudiai les monuments des hommes.
« Dijon n'a pas toujours parfilé ses heures oisives aux concerts de ses
philharmoniques enfants. Il a endossé le haubert - coiffé le morion - brandi la
pertuisane - dégaîné l'épée - amorcé l'arquebuse - braqué le canon sur ses remparts -
couru les champs tambour battant et enseignes déchirées, et, comme le ménestrel gris.7
de la barbe qui emboucha la trompette avant de racler du rebec, il aurait de
merveilleuses histoires à vous raconter, ou plutôt, ses bastions croulants, qui
encaissent dans une terre mêlée de débris les racines feuilleuses de ses marronniers
d'Inde, et son château démantelé dont le pont tremble sous le pas éreinté de la jument
du gendarme regagnant la caserne, - tout atteste deux Dijons: un Dijon d'aujourd'hui,
un Dijon d'autrefois.
« J'eus bientôt déblayé le Dijon des quatorzième et quinzième siècles, autour
duquel courait un branle de dix-huit tours, de huit portes et de quatre poternes ou
portelles, - le Dijon de Philippe-le-Hardi, de Jean-sans-Peur, de Philippe-le-Bon et de
Charles-le-Téméraire, avec ses maisons de torchis à pignons pointus comme le bonnet
d'un fou, à façades barrées de croix de Saint-André; avec ses hôtels embastillés, à
étroites barbacanes, à doubles guichets, à préaux pavés de hallebardes: - avec ses
églises, sa sainte chapelle, ses abbayes, ses monastères, qui faisaient des processions de
clochers, de flèches, d'aiguilles, déployant pour bannières leurs vitraux d'or et d'azur,
promenant leurs reliques miraculeuses, s'agenouillant aux cryptes sombres de leurs
martyrs, ou au reposoir fleuri de leurs jardins; - avec son torrent de Suzon dont le
cours, chargé de poncels de bois et de moulins à farine, séparait le territoire de l'abbé
de Saint-Bénigne du territoire de l'abbé de Saint-Étienne, comme un huissier au
parlement jetait sa verge et son holà entre deux plaideurs bouffis de colère (*); - et
enfin avec ses faubourg populeux dont l'un, celui de St-Nicolas, étalait ses douze rues
au soleil, ni plus ni moins qu'une grasse truie en gésine ses douze mamelles. - J'avais
galvanisé un cadavre et ce cadavre s'était levé. Les deux abbayes de St-Étienne et de
St-Bénigne, dont les contestations fatiguèrent si souvent la patience du parlement,
étaient si anciennes, si puissantes, et jouissaient de tant de privilèges accordés par les ducs et les papes, qu'il n'y avait à Dijon aucun établissement religieux qui ne relevât
de l'une au de l'autre. Les sept églises de la ville étaient leurs filles, et chacune des
deux abbayes avait en outre son église particulière. - L'abbaye de Saint-Étienne battait
monnaie « Dijon se lève; il se lève, il marche, il court ! trente dindelles carillonnent dans
un ciel bleu d'outremer comme en peignait le vieil Albert Dürer. La foule se presse
aux hôtelleries de la rue Bouchepot, aux étuves de la porte aux Chanoines, au mail de
la rue St-Guillaume, au change de la rue Notre-Dame, aux fabriques d'armes de la rue
des Forges, à la fontaine de la place des Cordeliers, au four banal de la rue de Bèze, aux
halles de la place Champeaux, au gibet de la place Morimont; bourgeois, nobles,
vilains, soudrilles, prêtres, moines, clercs, marchands, varlets, juifs, lombards,
pèlerins, ménestrels, officiers du parlement et de la chambre des comptes, officiers des
gabelles, officiers de la maison du duc: qui clament, qui sifflent, qui chantent, qui
geignent, qui prient, qui maugréent, - dans les basternes, dans des litières, à cheval, sur
des mules, sur la haquenée de saint François. - Et comment douter de cette
résurrection ? Voici flotter aux vents l'étendard de soie, moitié vert, moitié jaune,
broché des armoiries de la ville qui sont de gueules au pampre d'or feuillé de sinople.
« Mais quelle est cette cavalcade ? c'est le duc qui va s'ébattre à la chasse. Déjà
la duchesse l'a précédé au château de Rouvres. Le magnifique équipage et le nombreux
cortège ! Monseigneur le duc éperonne un gris pommelé qui frissonne à l'air vif et
piquant du matin. Derrière lui caracolent et se pavanent les Riches de Châlons, les
Nobles de Vienne, les Preux de Vergy, les Fiers de Neuchâtel, les bons Barons de
Beaufremont.
la jouvencelle qui a initié son coeur. - Enfance et poésie ! Que l'une est éphémère, et
que l'autre est trompeuse ! L'enfance est un papillon qui se hâte de brûler ses blanches
ailes au flammes de la jeunesse, et la poésie est semblable à l'amandier: ses fleurs sont
parfumées et ses fruits sont amers. J'étais un jour assis à l'écart dans le jardin de l'Arquebuse, - ainsi nommé de l'arme qui autrefois y signala si souvent l'adresse des chevaliers du Papeguay.
Immobile sur un banc, on eût peu me comparer à la statue du bastion Bazire. Ce chef-d’oeuvre
du figuriste Sévallée et du peintre Guillot représentait un abbé assis et lisant.
Rien ne manquait à son costume. De loin, on le prenait pour un personnage; de près,
on voyait que c'était un plâtre.
La toux d'un promeneur dissipa l'essaim de mes rêves. C'était un pauvre diable
dont l'extérieur n'annonçait que misères et souffrances. J'avais déjà remarqué, dans le
même jardin, sa redingote râpée qui se boutonnait jusqu'au menton, son feutre
déformé que jamais brosse n'avait brossé, ses cheveux longs comme un saule, et
peignés comme des broussailles, ses mains décharnées, pareilles à des ossuaires, sa
physionomie narquoise, chafouine et maladive qu'effilait une barbe nazaréenne; et
mes conjectures l'avaient charitablement rangé parmi ces artistes au petit-pied, joueurs
de violon et peintres de portraits, qu'une faim irrassasiable et une soif inextinguible
condamnent à courir le monde sur la trace du Juif-errant.
Nous étions maintenant deux sur le banc. Mon voisin feuilletait un livre des
pages duquel s'échappa à son insu une fleur desséchée. Je la recueillis pour la lui
rendre. L'inconnu me saluant la porta à ses lèvres flétries, et la replaça dans le livre
mystérieux.
- « Cette fleur, me hasardai-je à lui dire, est sans doute le symbole de quelque
doux amour enseveli ? Hélas ! nous avons tous dans le passé un jour de bonheur qui
nous désenchante l'avenir.
- Vous êtes poète ? me répondit-il en souriant. »
Le fil de la conversation s'était noué: maintenant, sur quelle bobine allait-il
s'envider ?
- « Poète, si c'est poète que d'avoir cherché l'art !
- Vous avez cherché l'art ! Et l'avez-vous trouvé ?
- Plût au ciel que l'art ne fût pas une chimère !
- Une chimère !... et moi aussi je l'ai cherché ! » s'écria-t-il avec l'enthousiasme
du génie et l'emphase du triomphe.
Je le priai de m'apprendre à quel lunetier il devait sa découverte, l'art ayant été
pour moi ce qu'est une aiguille dans une meule de foin.....
- « J'avais résolu, dit-il, de chercher l'art comme au moyen-âge les rose-croix
cherchèrent la pierre philosophale; l'art, cette pierre philosophale du dix-neuvième
siècle !
« Une question exerça d'abord ma scolastique. Je me demandai: Qu'est-ce que
l'art ? - L'art est la science du poète. - Définition aussi limpide qu'un diamant de la
plus belle eau.
« Mais quels sont les éléments de l'art ? Seconde question à laquelle j'hésitai
pendant plusieurs mois de répondre. - Un soir qu'à la fumée d'une lampe je fossoyais
le poudreux charnier d'un bouquiniste, j'y déterrai un petit livre en langue baroque et
inintelligible, dont le titre s'armoriait d'un amphistère déroulant sur une banderole ces
deux mots: Gott - Liebe. Quelques sous payèrent ce trésor. J'escaladai ma mansarde, et
là, comme j'épelais curieusement le livre énigmatique, devant la fenêtre baignée d'un
clair de lune, soudain il me sembla que le doigt de Dieu effleurait le clavier de l'orgue
universel. Ainsi les phalènes bourdonnantes se dégagent du sein des fleurs qui pâment
leurs lèvres aux baisers de la nuit. J'enjambai la fenêtre, et je regardai en bas. O
surprise ! rêvais-je ? Une terrasse que je n'avais pas soupçonnée aux suaves
émanations de ses orangers, une jeune fille vêtue de blanc, qui jouait de la harpe, un
vieillard vêtu de noir qui priait à genoux ! - Le livre me tomba des mains. Je descendis chez les locataires de la terrasse. Le vieillard était un ministre de
la religion réformée qui avait échangé la froide patrie de sa Thuringe contre le tiède
exil de notre Bourgogne. La musicienne était son unique enfant, blonde et frêle beauté
de dix-sept ans qu'effeuillait un mal de langueur; et le livre par moi réclamé était un
eucologe allemand à l'usage des églises du rite luthérien et aux armes d'un prince de la
maison d'Anhalt-Coëthen.
« Ah ! monsieur, ne remuons pas une cendre encore inassoupie ! Élisabeth n'est
plus qu'une Béatrix à la robe azurée. Elle est morte, monsieur, morte ! et voici
l'eucologe où elle épanchait sa timide prière, la rose où elle a exhalé son âme
innocente. - Fleur desséchée en bouton comme elle ! - Livre fermé comme le livre de
sa destinée ! - Reliques bénies qu'elle ne méconnaîtra pas dans l'éternité, aux larmes
dont elles seront trempées, quand la trompette de l'archange ayant rompu la pierre de
mon tombeau, je m'élancerai par-delà tous les mondes jusqu'à la vierge adorée, pour
m'asseoir enfin près d'elle sous les regards de Dieu !...
- Et l'art, lui demandai-je ?
- Ce qui dans l'art est sentiment était ma douloureuse conquête. J'avais aimé,
j'avais prié. Gott - Liebe, Dieu et Amour ! - Mais ce qui dans l'art est idée leurrait
encore ma curiosité. Je crus que je trouverais le complément de l'art dans la nature.
J'étudiai donc la nature.
« Je sortais le matin de ma demeure et je n'y rentrais que le soir. Tantôt,
accoudé sur le parapet d'un bastion en ruines, j'aimais, pendant de longues heures, à
respirer le parfum sauvage et pénétrant du violier qui mouchète de ses bouquets d'or la
robe de lierre de la féodale et caduque cité de Louis XI (*); à voir s'accidenter le
paysage tranquille d'un coup de vent, d'un rayon de soleil, ou d'une ondée de pluie, le
bec-figue et les oisillons des haies se jouer dans la pépinière éparpillée d'ombres et de
clartés, les grives accourues de la montagne vendanger la vigne assez haute et touffue
pour cacher le cerf de la fable, les corbeaux s'abattre de tous les coins du ciel, en
bandes fatiguées, sur la carcasse d'un cheval abandonnée par le pialey dans quelque.6
bas-fond verdoyant; à écouter les lavandières qui faisaient retentir leur rouillot joyeux
au bord de Suzon et l'enfant qui chantait une mélodie plaintive en tournant sous la
muraille la roue du cordier. - Tantôt je frayais à mes rêveries un sentier de mousse et
de rosée, de silence et de quiétude, loin de la ville. Que de fois j'ai ravi leurs
quenouilles de fruits rouges et acides aux halliers mal hantés de la fontaine de
Jouvence et de l'ermitage de Notre-Dame-d'Étang, la fontaine des Esprits et des Fées,
l'ermitage du Diable ! Que de fois j'ai ramassé le buccin pétrifié et le corail fossile sur
les hauteurs pierreuses de Saint-Joseph, ravinées par l'orage ! Que de fois j'ai pêché
l'écrevisse dans les gués échevelés des Tilles (*****), parmi les cressons qui abritent
la salamandre glacée et parmi les nénuphars dont bâillent les fleurs indolentes ! Que
de fois j'ai épié la couleuvre sur les plages embourbées de Saulons, qui n'entendent que
le cri monotone de la foulque et le gémissement funèbre du grèbe ! Que de fois j'ai
étoilé d'une bougie les grottes souterraines d'Asnières où la stalactite distille avec
lenteur l'éternelle goutte d'eau de la clepsydre des siècles ! Que de fois j'ai hurlé de la
corne, sur les rocs perpendiculaires de Chèvre-Morte, la diligence gravissant
péniblement le chemin à trois cents pieds au-dessous de mon trône de brouillards ! Et
les nuits mêmes, les nuits d'été, balsamiques et diaphanes, que de fois j'ai gigué
comme un lycanthrope autour d'un feu allumé dans le val herbu et désert, jusqu'à ce
que les premiers coups de cognée du bûcheron ébranlassent les chênes ! Ah ! monsieur,
combien la solitude a d'attraits pour le poète ! J'aurais été heureux de vivre dans les
bois et de ne faire pas plus de bruit que l'oiseau qui se désaltère à la source, que l'abeille
qui picore à l'aubépine et que le gland dont la chute crève la feuillée !....
- Et l'art, lui demandai-je ?
- Patience ! l'art était encore dans les limbes. J'avais étudié le spectacle de la nature,
j'étudiai les monuments des hommes.
« Dijon n'a pas toujours parfilé ses heures oisives aux concerts de ses
philharmoniques enfants. Il a endossé le haubert - coiffé le morion - brandi la
pertuisane - dégaîné l'épée - amorcé l'arquebuse - braqué le canon sur ses remparts -
couru les champs tambour battant et enseignes déchirées, et, comme le ménestrel gris.7
de la barbe qui emboucha la trompette avant de racler du rebec, il aurait de
merveilleuses histoires à vous raconter, ou plutôt, ses bastions croulants, qui
encaissent dans une terre mêlée de débris les racines feuilleuses de ses marronniers
d'Inde, et son château démantelé dont le pont tremble sous le pas éreinté de la jument
du gendarme regagnant la caserne, - tout atteste deux Dijons: un Dijon d'aujourd'hui,
un Dijon d'autrefois.
« J'eus bientôt déblayé le Dijon des quatorzième et quinzième siècles, autour
duquel courait un branle de dix-huit tours, de huit portes et de quatre poternes ou
portelles, - le Dijon de Philippe-le-Hardi, de Jean-sans-Peur, de Philippe-le-Bon et de
Charles-le-Téméraire, avec ses maisons de torchis à pignons pointus comme le bonnet
d'un fou, à façades barrées de croix de Saint-André; avec ses hôtels embastillés, à
étroites barbacanes, à doubles guichets, à préaux pavés de hallebardes: - avec ses
églises, sa sainte chapelle, ses abbayes, ses monastères, qui faisaient des processions de
clochers, de flèches, d'aiguilles, déployant pour bannières leurs vitraux d'or et d'azur,
promenant leurs reliques miraculeuses, s'agenouillant aux cryptes sombres de leurs
martyrs, ou au reposoir fleuri de leurs jardins; - avec son torrent de Suzon dont le
cours, chargé de poncels de bois et de moulins à farine, séparait le territoire de l'abbé
de Saint-Bénigne du territoire de l'abbé de Saint-Étienne, comme un huissier au
parlement jetait sa verge et son holà entre deux plaideurs bouffis de colère (*); - et
enfin avec ses faubourg populeux dont l'un, celui de St-Nicolas, étalait ses douze rues
au soleil, ni plus ni moins qu'une grasse truie en gésine ses douze mamelles. - J'avais
galvanisé un cadavre et ce cadavre s'était levé. Les deux abbayes de St-Étienne et de
St-Bénigne, dont les contestations fatiguèrent si souvent la patience du parlement,
étaient si anciennes, si puissantes, et jouissaient de tant de privilèges accordés par les ducs et les papes, qu'il n'y avait à Dijon aucun établissement religieux qui ne relevât
de l'une au de l'autre. Les sept églises de la ville étaient leurs filles, et chacune des
deux abbayes avait en outre son église particulière. - L'abbaye de Saint-Étienne battait
monnaie « Dijon se lève; il se lève, il marche, il court ! trente dindelles carillonnent dans
un ciel bleu d'outremer comme en peignait le vieil Albert Dürer. La foule se presse
aux hôtelleries de la rue Bouchepot, aux étuves de la porte aux Chanoines, au mail de
la rue St-Guillaume, au change de la rue Notre-Dame, aux fabriques d'armes de la rue
des Forges, à la fontaine de la place des Cordeliers, au four banal de la rue de Bèze, aux
halles de la place Champeaux, au gibet de la place Morimont; bourgeois, nobles,
vilains, soudrilles, prêtres, moines, clercs, marchands, varlets, juifs, lombards,
pèlerins, ménestrels, officiers du parlement et de la chambre des comptes, officiers des
gabelles, officiers de la maison du duc: qui clament, qui sifflent, qui chantent, qui
geignent, qui prient, qui maugréent, - dans les basternes, dans des litières, à cheval, sur
des mules, sur la haquenée de saint François. - Et comment douter de cette
résurrection ? Voici flotter aux vents l'étendard de soie, moitié vert, moitié jaune,
broché des armoiries de la ville qui sont de gueules au pampre d'or feuillé de sinople.
« Mais quelle est cette cavalcade ? c'est le duc qui va s'ébattre à la chasse. Déjà
la duchesse l'a précédé au château de Rouvres. Le magnifique équipage et le nombreux
cortège ! Monseigneur le duc éperonne un gris pommelé qui frissonne à l'air vif et
piquant du matin. Derrière lui caracolent et se pavanent les Riches de Châlons, les
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