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Message par crodan00 Jeu 10 Sep - 3:00

LE CHIEN QUI LACHE SA PROIE POUR L’OMBRE *


Jean de la Fontaine - Page 2 Chieno10


Chacun se trompe ici-bas.
On voit courir après l'ombre (1)
Tant de fous qu'on n'en sait pas
La plupart du temps le nombre.

Au chien dont parle Ésope il faut les renvoyer.
Ce Chien, voyant sa proie en l'eau représentée,
La quitta pour l'image, et pensa (2) se noyer ;
La rivière devint tout d'un coup agitée.
À toute peine il regagna les bords,
Et n'eut ni l'ombre ni le corps.


* Sources : Esope : Le chien portant de la viande (Nevelet p.259) ; Phèdre (Nevelet p.391)

(1) On peut lire dans l'Astrée d'Honoré d'Urfé (roman cité par La Fontaine comme ude ses favoris) :
Ce ne sont, dit Hylas, que les esprits peu sages qui courent après l'ombre du bien, et laissent le bien même

(2) faillit se noyer, crut qu'il allait se noyer
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Message par crodan00 Ven 11 Sep - 2:59

LE CHIEN QUI PORTE À SON COU LE DÎNER DE SON MAÎTRE


Jean de la Fontaine - Page 2 Chiend10

Jean de la Fontaine - Page 2 Chiend11


Nous n'avons pas les yeux à l'épreuve des belles,
Ni les mains à celle de l'or :
Peu de gens gardent un trésor
Avec des soins assez fidèles.
Certain Chien qui portait la pitance au logis
S'était fait un collier du dîné de son maître.
Il était tempérant plus qu'il n'eût voulu l'être
Quand il voyait un mets exquis :
Mais enfin il l'était et tous tant que nous sommes
Nous nous laissons tenter à l'approche des biens.
Chose étrange ! on apprend la tempérance aux chiens,
Et l'on ne peut l'apprendre aux hommes.
Ce Chien-ci donc étant de la sorte atourné, (1)
Un Mâtin passe, et veut lui prendre le dîné.
Il n'en eut pas toute la joie
Qu'il espérait d'abord : le Chien mit bas la proie,
Pour la défendre mieux n'en étant plus chargé.
Grand combat : D'autres Chiens arrivent ;
Ils étaient de ceux-là qui vivent
Sur le public, et craignent peu les coups.
Notre Chien se voyant trop faible contre eux tous,
Et que la chair courait un danger manifeste,
Voulut avoir sa part. Et lui sage : il leur dit :
Point de courroux, Messieurs, mon lopin (2) me suffit :
Faites votre profit du reste.
À ces mots le premier il vous happe un morceau.
Et chacun de tirer, le Mâtin, la canaille,
À qui mieux mieux ; ils firent tous ripaille ;
Chacun d'eux eut part au gâteau.

Je crois voir en ceci l'image d'une ville,
Où l'on met les deniers à la merci des gens.
Donne aux autres l'exemple. Et c'est un passe-temps
De leur voir nettoyer un monceau de pistoles.
Si quelque scrupuleux par des raisons frivoles
Veut défendre l'argent, et dit le moindre mot,
On lui fait voir qu'il est un sot.
Il n'a pas de peine à se rendre :
C'est bientôt le premier à prendre.


L'historiette qui fournit le sujet de la fable semble naître en Alsace ou en Allemagne, transiter par les Pays-Bas, se trouver en Angleterre, et apparaître en France dans le Trésor des récréations en 1611. En 1643 Jacques Régnier la développe à son tour en latin. Enfin, en 1653, Samuel Sorbière l'applique à la perversion d'un Etat. Selon Brossette, l'ami de Boileau, La Fontaine se serait inspiré de la fable du physicien Lyonnais du Puget (Le Chien politique) qui se termine par ces vers : le chien ...
.....devenu souple et commode
Prit sa part du butin qu'il dévora sans bruit.
(satire des magistrats municipaux de Lyon.)

(1) équipé (vieux mot)
(2) ma part
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Message par crodan00 Sam 12 Sep - 3:58

LE CIERGE


Jean de la Fontaine - Page 2 Cierge10

Jean de la Fontaine - Page 2 Cierge11


C'est du séjour des dieux que les abeilles viennent. (1)
Les premières, dit-on, s'en allèrent loger
Au mont Hymette, (*)et se gorger
Des trésors qu'en ce lieu les zéphyrs entretiennent.
Quand on eut des palais de ces filles du Ciel
Enlevé l'ambroisie (2) en leurs chambres enclose,
Ou, pour dire en français la chose,
Après que les ruches sans miel
N'eurent plus que la cire, on fit mainte bougie ;
Maint cierge aussi fut façonné.
Un d'eux voyant la terre en brique au feu durcie
Vaincre l'effort des ans, il eut la même envie ;
Et, nouvel Empédocle (**) aux flammes condamné
Par sa propre et pure folie,
Il se lança dedans. Ce fut mal raisonné ;
Ce Cierge ne savait grain de philosophie.
Tout en tout est divers : ôtez-vous de l'esprit
Qu'aucun être ait été composé sur le vôtre.
L'Empédocle de cire au brasier se fondit :
Il n'était pas plus fou que l'autre.


Sources : Abstémius (fable 54) - Nevelet : La cire qui déirait devenir dure, p.557 -

(*) note de La Fontaine : Hymette était une montagne célébrée par les Poètes, située dans l'Attique, et où les Grecs recueillaient d'excellent miel.

(**) note de La Fontaine : Empédocle était un philosophe ancien, qui ne pouvant comprendre les merveilles du mont Etna, se jeta dedans par une vanité ridicule, et, trouvant l'action belle, de peur d'en perdre le fruit et que la postérité ne l'ignorât, laissa ses pantoufles (en réalité une sandale de bronze) au pied du mont

(1) Libre adaptation de Virgile
(2) La nourriture des dieux : ici, le miel.
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Message par crodan00 Mar 15 Sep - 3:17

LA CIGALE ET LA FOURMI


Cette fable est la première du premier recueil (124 fables, divisées en 6 livres) paru en mars 1668. Ce recueil est dédié au Dauphin, le fils de Louis XIV et de Marie-Thérèse, alors âgé de 6 ans et demi. La dédicace est en prose, suivie de la Préface au lecteur, de la traduction libre de la "Vie d'Esope", et se termine par un compliment en vers reprenant et résumant l'essentiel de la dédicace en prose.
"Ainsi ces fables sont un tableau où chacun de nous se trouve dépeint"
"Je chante les héros dont Esope est le père"....sont des extraits célèbres de cette dédicace


LA CIGALE ET LA FOURMI (*)


Jean de la Fontaine - Page 2 Cigfou10


La Cigale, ayant chanté
Tout l'été,
Se trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue.
Pas un seul petit morceau
De mouche ou de vermisseau (1).
Elle alla crier famine
Chez la Fourmi sa voisine,
La priant de lui prêter
Quelque grain pour subsister
Jusqu'à la saison nouvelle.
Je vous paierai, lui dit-elle,
Avant l'août (2), foi d'animal,
Intérêt et principal.
La Fourmi n'est pas prêteuse ;
C'est là son moindre défaut (3).
Que faisiez-vous au temps chaud ?
Dit-elle à cette emprunteuse (4).
Nuit et jour à tout venant
Je chantais, ne vous déplaise.
Vous chantiez ? j'en suis fort aise :
Et bien ! dansez maintenant.


(*) sources : "le canevas de départ pouvait être fourni au poète à la fois par l'apologue original d'Esope et par la version qu'en propose Aphtonius, qui figurent l'une et l'autre, avec leur traduction latine, dans le recueil de Nevelet."
(M.Fumaroli : L.F. Fables, éd. La Pochothèque)

(1) Jean-Henri Fabre (1823-1915) dans ses "Souvenirs entomologiques" relève les erreurs de L.F. concernant la cigale : elle ne dispose pour s'alimenter que d'un suçoir et n'a rien à faire de mouches ou de vermisseaux.
Il y a d'autres fantaisies : La cigale meurt à la fin de l'été et ne peut donc crier famine quand la bise souffle.
La fourmi, qui dort en hiver dans sa fourmilière ne peut l'entendre ; d'autre part, elle est carnivore et n'amasse pas le grain...

"La Fontaine est un naturaliste plein de fantaisie, sans souci de la vérité [...]. Mais [...], c'est un peintre animalier de grande valeur." (René Bray Les "Fables" de L.F.)

(2) L'août est la "moisson qui se fait durant le mois d'août" (Richelet)
(3) comprendre qu'elle n'a pas ce défaut : elle est tellement économe que la bienfaisance fait partie du gaspillage.
(4) à l'époque, ce féminin n'est utilisé que dans le burlesque, en riant.
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Message par crodan00 Mer 16 Sep - 3:02

LE COCHE ET LA MOUCHE


**
Jean de la Fontaine - Page 2 Cochsa10


Dans un chemin montant, sablonneux, malaisé,
Et de tous les côtés au soleil exposé,
Six forts chevaux tiraient un Coche. (1)
Femmes, Moine, Vieillards, tout était descendu.
L'attelage suait, soufflait, était rendu.(2)
Une Mouche survient, et des Chevaux s'approche ;
Prétend les animer par son bourdonnement ;
Pique l'un, pique l'autre, et pense à tout moment
Qu'elle fait aller la machine,
S'assied sur le timon, sur le nez du Cocher ;
Aussitôt que le char chemine,
Et qu'elle voit les gens marcher,
Elle s'en attribue uniquement la gloire ;
Va, vient, fait l'empressée ; il semble que ce soit
Un Sergent de bataille (3) allant en chaque endroit
Faire avancer ses gens, et hâter la victoire.
La Mouche en ce commun besoin
Se plaint qu'elle agit seule, et qu'elle a tout le soin ; (4)
Qu'aucun n'aide aux Chevaux à se tirer d'affaire.
Le Moine disait son Bréviaire ;
Il prenait bien son temps ! une femme chantait ;
C'était bien de chansons qu'alors il s'agissait !
Dame Mouche s'en va chanter à leurs oreilles,
Et fait cent sottises pareilles.
Après bien du travail le Coche arrive au haut.
Respirons maintenant, dit la Mouche aussitôt :
J'ai tant fait que nos gens sont enfin dans la plaine.
Ca, Messieurs les Chevaux, payez-moi de ma peine.

Ainsi certaines gens, faisant les empressés,
S'introduisent dans les affaires :
Ils font partout les nécessaires,
Et, partout importuns, devraient être chassés.


(1) voiture posée sur quatre roues, qui est en forme de carrosse, à la réserve qu'il est plus grand et qu'il n'est point suspendu (dict. de Furetière, 1690)
(2) épuisé
(3) Officier considérable qui, dans un jour de combat, reçoit du général le plan et la forme qu'il veut donner à son armée...(Richelet)
(4) les efforts

** Le coche et la mouche : sculpture de sable, à Hardelot 2001
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Message par crodan00 Jeu 17 Sep - 3:31

LE COCHET (1), LE CHAT ET LE SOURICEAU


Jean de la Fontaine - Page 2 Delier10


Un souriceau tout jeune, et qui n'avait rien vu, (2)
Fut presque pris au dépourvu.
Voici comme il conta l'aventure à sa mère.
J'avais franchi les monts qui bornent cet État
Et trottais comme un jeune Rat
Qui cherche à se donner carrière,(3)
Lorsque deux animaux m'ont arrêté les yeux ;
L'un doux, bénin et gracieux,
Et l'autre turbulent et plein d'inquiétude.
Il a la voix perçante et rude ;
Sur la tête un morceau de chair,
Une sorte de bras dont il s'élève en l'air,
Comme pour prendre sa volée ;
La queue en panache étalée.
Or c'était un Cochet dont notre Souriceau
Fit à sa Mère le tableau,
Comme d'un animal venu de l'Amérique.
Il se battait,dit-il, les flancs avec ses bras,
Faisant tel bruit et tel fracas,
Que moi, qui grâce aux Dieux de courage me pique, (4)
En ai pris la fuite de peur,
Le maudissant de très bon coeur.
Sans lui j'aurais fait connaissance
Avec cet Animal qui m'a semblé si doux.
Il est velouté comme nous,
Marqueté, longue queue, une humble contenance,
Un modeste regard, et pourtant l'oeil luisant :
Je le crois fort sympathisant
Avec Messieurs les rats ; car il a des oreilles
En figure aux nôtres pareilles.
Je l'allais aborder, quand d'un son plein d'éclat
L'autre m'a fait prendre la fuite.
Mon fils, dit la souris, ce doucet (5) est un Chat,
Qui sous son minois hypocrite,
Contre toute ta parenté
D'un malin vouloir est porté.
L'autre animal tout au contraire,
Bien éloigné de nous malfaire, (6)
Servira quelque jour peut-être à nos repas.
Quant au chat, c'est sur nous qu'il fonde sa cuisine.(7)
Garde-toi, tant que tu vivras,
De juger des gens sur la mine.


Source de la fable : l'italien Verdizzotti essentiellement.

Chamfort écrit dans Les Trois Fabulistes : "Voici encore une de ces fables qui peuvent passer pour un chef-d'oeuvre [...] Pas un mot de trop dans toute la fable, et pas une seule négligence.

(1) petit coq
(2) qui n'avait aucune expérience de la vie
(3) au XVIIème, ce mot désigne un trajet, un parcours
(4) me vante
(5) diminutif de doux, avec une nuance de niaiserie et d'hypocrisie
(6) faire du mal
(7) qu'il se base pour trouver de quoi vivre
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Message par crodan00 Ven 18 Sep - 4:57

LE COCHON, LA CHEVRE ET LE MOUTON


Jean de la Fontaine - Page 2 Cochev10

Jean de la Fontaine - Page 2 Cochev11


Une Chèvre, un Mouton, avec un Cochon gras,
Montés sur même char s’en allaient à la foire :
Leur divertissement ne les y portait pas ;
On s’en allait les vendre, à ce que dit l’histoire :
Le Charton (1) n’avait pas dessein
De les mener voir Tabarin.(2)
Dom Pourceau criait en chemin
Comme s’il avait eu cent Bouchers à ses trousses.
C’était une clameur à rendre les gens sourds
Les autres animaux, créatures plus douces,
Bonnes gens, s’étonnaient qu’il criât au secours ;
Ils ne voyaient nul mal à craindre.
Le Charton dit au Porc : Qu’as-tu tant à te plaindre ?
Tu nous étourdis tous, que ne te tiens-tu coi ?
Ces deux personnes-ci plus honnêtes que toi,
Devraient t’apprendre à vivre, ou du moins à te taire.
Regarde ce Mouton ; a-t-il dit un seul mot ?
Il est sage. Il est un sot,
Repartit le Cochon : s’il savait son affaire,
Il crierait comme moi, du haut de son gosier,
Et cette autre personne honnête (3)
Crierait tout du haut de sa tête.
Ils pensent qu’on les veut seulement décharger,
La Chèvre de son lait, le Mouton de sa laine.
Je ne sais pas s’ils ont raison ;
Mais quant à moi qui ne suis bon
Qu’à manger, ma mort est certaine.
Adieu mon toit (4) et ma maison.
Dom Pourceau raisonnait en subtil personnage :
Mais que lui servait-il ? Quand le mal est certain,
La plainte ni la peur ne changent le destin ;
Et le moins prévoyant est toujours le plus sage


Sources : Esope : Le cochon et le renard, le cochon et les moutons dont la version diffère un peu.

(1) Vieux mot qui signifiait autrefois un cocher ou celui qui menait un char ou une charrette (Furetière)
(2) Antoine Girard, dit Tabarin : Bateleur, comédien qui fut identifié au personnage qu'il inventa dans ses farces.
(3) qui a pris l'air du monde, qui sait vivre (Furetière)
(4) mon étable à cochons
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Message par crodan00 Lun 21 Sep - 4:55

Nous avons déjà eu l'exemple de fables doubles, avec "La Mort et le Malheureux" et "La Mort et le Bûcheron", deux versions d'une même fable. Ici, deux fables illustrant des thèmes voisins vont être "jumelées". Les voici, l'une après l'autre :



LE LION ET LE RAT (*)

LA COLOMBE ET LA FOURMI (*)


Jean de la Fontaine - Page 2 Tblior10


Il faut, autant qu'on peut, obliger tout le monde :
On a souvent besoin d'un plus petit que soi.
De cette vérité deux fables feront foi,
Tant la chose en preuves abonde.
Entre les pattes d'un Lion,
Un Rat sortit de terre assez à l'étourdie.
Le Roi des animaux, en cette occasion,
Montra ce qu'il était, et lui donna la vie.
Ce bienfait ne fut pas perdu.
Quelqu'un aurait-il jamais cru
Qu'un Lion d'un Rat eût affaire (1)?
Cependant il avint(2)qu'au sortir des forêts
Ce Lion fut pris dans des rets (3),
Dont ses rugissements ne le purent défaire.
Sire Rat accourut, et fit tant par ses dents
Qu'une maille rongée emporta tout l'ouvrage.
Patience et longueur de temps
Font plus que force ni que rage.



L'autre exemple est tiré d'Animaux plus petits.
Le long d'un clair ruisseau buvait une Colombe,
Quand sur l'eau se penchant une Fourmis y tombe ;
Et dans cet océan l'on eût vu la Fourmis
S'efforcer, mais en vain, de regagner la rive.
La Colombe aussitôt usa de charité ;
Un brin d'herbe dans l'eau par elle étant jeté,
Ce fut un promontoire où la Fourmis arrive.
Elle se sauve ; et là-dessus
Passe un certain Croquant (1) qui marchait les pieds nus.
Ce Croquant par hasard avait une arbalète.
Dès qu'il voit l'Oiseau de Vénus (2),
Il le croit en son pot, et déjà lui fait fête.
Tandis qu'à le tuer mon villageois s'apprête,
La Fourmis le pique au talon.
..............Le Vilain retourne la tête.
La Colombe l'entend, part, et tire de long (3).
Le soupé du Croquant avec elle s'envole :
..............Point de Pigeon pour une obole (4)



(*) La source est Ésope, traduite du grec
en latin dans le recueil de Nevelet (1610).
Marot avait déjà utilisé cet apologue pour
écrire "Épître à Lyon Jamet". La Fontaine
qui admirait beaucoup Marot a utilisé cet
écrit pour écrire sa fable, en le "ressérant"
beaucoup.

(1) besoin
(2) forme ancienne de "il advint"
(3) filets à grosses maille


(*) Source : Ésope : La fourmi et la colombe
(Névelet)

(1) "gueux, misérable, qui n'a aucun bien, qui
en temps de guerre n'a pour toutes armes qu'un
croc. Les paysans qui se révoltent sont de pauvres croquants." (Furetière)
(2) la colombe était consacrée à Vénus.
(3) s'enfuit
(4) l'obole est une ancienne monnaie valant la moitié d'un denier et par extension une modeste contribution financière. On dirait aujourd'hui : "Point de pigeon pour un centime : pas le moindre pigeon "
De plus, L.F. a volontairement établi une dépréciation
depuis "l'oiseau de Vénus" en passant par "la colombe"
pour finir en "pigeon-soupé".
Il ne faut pas rêver, on n'a rien ... pour rien !
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Message par crodan00 Mar 22 Sep - 4:45

LE COMBAT DES RATS ET DES BELETTES

Jean de la Fontaine - Page 2 Bagare

N'ayant pas trouvé d'image originale pour illustrer cette fable, restons dans la parodie :
"La nation des belettes,
Non plus que celle des chats,
Ne veut aucun bien aux rats ;"
[...]
Ici, celle des chats et celle des rats...


La nation des belettes,
Non plus que celle des chats,
Ne veut aucun bien aux rats ;
Et sans les portes étrètes
De leurs habitations,
L'animal à longue échine
En ferait, je m'imagine,
De grandes destructions.
Or une certaine année
Qu'il en était à foison,
Leur roi, nommé Ratapon,
Mit en campagne une armée.
Les belettes, de leur part,
Déployèrent l'étendard.
Si l'on croit la renommée,
La victoire balança:
Plus d'un guéret (1) s'engraissa
Du sang de plus d'une bande.
Mais la perte la plus grande
Tomba presque en tous endroits
Sur le peuple souriquois.
Sa déroute fut entière,
Quoi que pût faire Artapax,
Psicarpax, Méridarpax,(2)
Qui, tout couverts de poussière,
Soutinrent assez longtemps
Les efforts des combattants.
Leur résistance fut vaine ;
Il fallut céder au sort :
Chacun s'enfuit au plus fort,
Tant soldat que capitaine.
Les princes périrent tous.
La racaille, dans des trous
Trouvant sa retraite prête,
Se sauva sans grand travail ;
Mais les seigneurs sur leur tête
Ayant chacun un plumail (3),
Des cornes ou des aigrettes,
Soit comme marques d'honneur,
Soit afin que les belettes
En conçussent plus de peur,
Cela causa leur malheur.
Trou, ni fente, ni crevasse
Ne fut large assez pour eux ;
Au lieu que la populace
Entrait dans les moindres creux.
La principale jonchée
Fut donc des principaux rats.
Une tête empanachée
N'est pas petit embarras.
Le trop superbe équipage
Peut souvent en un passage
Causer du retardement.
Les petits, en toute affaire,
Esquivent fort aisément:
Les grands ne le peuvent faire.
Voici "Le combat des rats et des belettes", fable écrite en
heptasyllabes (vers de 7 pieds) du début à la fin.
La moralité, c'est la revanche des "petits", racontée avec
beaucoup d'humour (fabrication de mots entre autres..).
les sources sont Esope et surtout Phèdre, toutes deux dans
le recueil Nevelet. Quelques emprunts sont issus de la
"Batrachomyomachie", épopée parodique et burlesque
(Vème siècle av. J.C. : combat des rats et des grenouilles)
ainsi qu'à la "Galéomyomachie" (combat des belettes contre les rats).


(1) terre labourée, non ensemencée
(2) mots empruntés à la Batrachomyomachie
l'un signifie voleur de miettes, l'autre voleur de
morceaux
(3) touffe de plumes
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Message par crodan00 Mer 23 Sep - 4:20

LES COMPAGNONS D'ULYSSE

à Monseigneur le Duc de Bourgogne

Jean de la Fontaine - Page 2 Compul10


Prince, l'unique objet du soin des Immortels,
Souffrez que mon encens parfume vos autels.
Je vous offre un peu tard ces présents de ma Muse ;
Les (1) ans et les (1) travaux me serviront d'excuse.
Mon esprit diminue, au lieu qu'à chaque instant
On aperçoit le vôtre aller en augmentant.
Il ne va pas, il court, il semble avoir des ailes.
Le Héros (2) dont il tient des qualités si belles
Dans le métier de Mars brûle d'en faire autant :
Il ne tient pas à lui que, forçant la Victoire,
Il ne marche à pas de géant
Dans la carrière de la Gloire.
Quelque Dieu le retient ; c'est notre Souverain,
Lui qu'un mois a rendu maître et vainqueur du Rhin (3);
Cette rapidité fut alors nécessaire ;
Peut-être elle serait aujourd'hui téméraire.
Je m'en tais ; aussi bien les Ris et les Amours (4)
Ne sont pas soupçonnés d'aimer les longs discours.
De ces sortes de Dieux votre cour se compose :
Ils ne vous quittent point. Ce n'est pas qu'après tout
D'autres Divinités n'y tiennent le haut bout :
Le sens et la raison (5) y règlent toute chose.
Consultez ces derniers sur un fait où les Grecs,
Imprudents et peu circonspects,
S'abandonnèrent à des charmes
Qui métamorphosaient en bêtes les humains.
Les Compagnons d'Ulysse, après dix ans d'alarmes,
Erraient au gré du vent, de leurs sorts incertains.
Ils abordèrent un rivage
Où la fille du dieu du jour,
Circé (6), tenait alors sa cour.
Elle leur fit prendre un breuvage
Délicieux, mais plein d'un funeste poison.
D'abord ils perdent la raison ;
Quelques moments après, leur corps et leur visage
Prennent l'air et les traits d'animaux différents :
Les voilà devenus ours, lions, éléphants ;
Les uns sous une masse énorme,
Les autres sous une autre forme ;
Il s'en vit de petits : exemplum ut Talpa (7).
Le seul Ulysse en échappa.
Il sut se défier de la liqueur traîtresse.
Comme il joignait à la sagesse
La mine d'un héros et le doux entretien,
Il fit tant que l'Enchanteresse
Prit un autre poison (Cool peu différent du sien.
Une Déesse dit tout ce qu'elle a dans l'âme :
Celle-ci déclara sa flamme.
Ulysse était trop fin pour ne pas profiter
D'une pareille conjoncture.
Il obtint qu'on rendrait à ces Grecs leur figure.
Mais la voudront-ils bien, dit la Nymphe, accepter ?
Allez le proposer de ce pas à la troupe.
Ulysse y court et dit : L'empoisonneuse coupe
A son remède encore ; et je viens vous l'offrir :
Chers amis, voulez-vous hommes redevenir ?
On vous rend déjà la parole."
Le Lion dit, pensant rugir :
Je n'ai pas la tête si folle.
Moi renoncer aux dons que je viens d'acquérir ?
J'ai griffe et dent, et mets en pièces qui m'attaque.
Je suis roi : deviendrai-je un Citadin d'Ithaque ?
Tu me rendras peut-être encor simple Soldat :
Je ne veux point changer d'état.
Ulysse du Lion court à l'Ours : Eh, mon frère,
Comme te voilà fait ! Je t'ai vu si joli !
Ah vraiment nous y voici,
Reprit l'Ours à sa manière.
Comme me voilà fait ! comme doit être un Ours.
Qui t'a dit qu'une forme est plus belle qu'une autre ?
Est-ce à la tienne à juger de la nôtre ?
Je me rapporte aux yeux d'une Ourse mes amours.
Te déplais-je ? va-t’en, suis ta route et me laisse :
Je vis libre, content, sans nul soin qui me presse ;
Et te dis tout net et tout plat :
Je ne veux point changer d'état.
Le Prince grec au Loup va proposer l'affaire ;
Il lui dit, au hasard (9) d'un semblable refus :
Camarade, je suis confus
Qu'une jeune et belle Bergère
Conte aux échos les appétits gloutons
Qui t'ont fait manger ses moutons.
Autrefois on t'eût vu sauver la bergerie :
Tu menais une honnête vie.
Quitte ces bois et redevien, *
Au lieu de Loup, Homme de bien.
En est-il ? dit le Loup : Pour moi, je n'en vois guère.
Tu t'en viens me traiter de bête carnassière :
Toi qui parles, qu'es-tu ? N'auriez-vous pas, sans moi,
Mangé ces animaux que plaint tout le village ?
Si j'étais Homme, par ta foi,
Aimerais-je moins le carnage ?
Pour un mot quelquefois vous vous étranglez tous :
Ne vous êtes-vous pas l'un à l'autre des Loups (10) ?
Tout bien considéré, je te soutiens en somme
Que scélérat pour scélérat,
Il vaut mieux être un Loup qu'un Homme :
Je ne veux point changer d'état.
Ulysse fit à tous une même semonce ;
Chacun d'eux fit même réponse,
Autant le grand que le petit.
La liberté, les lois, suivre leur appétit,
C'était leurs délices suprêmes ;
Tous renonçaient au los (11) des belles actions.
Ils croyaient s'affranchir selon leurs passions,
Ils étaient esclaves d'eux-mêmes.
Prince, j'aurais voulu vous choisir un sujet
Où je pusse mêler le plaisant à l'utile :
C'était sans doute un beau projet
Si ce choix (12) eût été facile.
Les compagnons d'Ulysse enfin se sont offerts,
Ils ont force pareils en ce bas univers :
Gens à qui j'impose pour peine
Votre censure et votre haine.


L'histoire des compagnons d'Ulysse changés en pourceaux
se trouve chez Homère (l'Odyssée). Virgile évoque cette
transformation dans l'Enéïde, Ovide la fait raconter dans ses Métamorphoses par Macarée, l'un des rescapés.
L'infléchissement vers l'apologue moral et philosophique
s'observe chez Plutarque, puis chez des italiens tels que
Machiavel (l'Ane d'Or), Jean-Baptiste Gelli (Circé) au
XVIème siècle : (la faune est plus diversifiée que chez Homère).

La fable elle-même ne débute qu'au vers 26, ce qui précède étant adressé directement au Duc de Bourgogne :
Ulysse et ses compagnons boivent un poison chez la magicienne Circé ; tous, sauf Ulysse sont transformés en animaux. Circé s'éprend d'Ulysse qui lui demande de redonner à ses compagnons forme humaine; ceux-ci refusent et disent à Ulysse qu'ils préfèrent leur état animal. Le loup se lance dans une violente critique de l'homme.

Enfin, L.F. soumet cette fable au jugement du prince.

(1) mes
(2) le père du Duc de B., dont L.F. avait célébré la vaillance lors de la prise de Philisbourg en 1688
(3) allusion au passage du Rhin en 1672, par les armées de L.XIV
(4) les plaisirs de l'Enfance
(5) allusion à l'éducation donnée au prince par son gouverneur et son précepteur Fénelon
(6) la plus célèbre enchanteresse de l'Antiquité
(7) "par exemple, la taupe", formule latine, signe de connivence avec le Duc de Bourgogne ; talpa figurait dans les grammaires latines comme exemple de mot à la fois masculin et féminin. Il s'agit d'une plaisanterie de La Fontaine pour l'écolier qui a en main la grammaire de Despautère
(Cool l'amour
(9) au risque
(10) formule de Plaute "homo homini lupus" (l'homme est un loup pour l'homme)
(11) lôs : louange ; vieux mot qui n'est plus en usage que noble ou teinté de burlesue ; Ici, coloris épique.
(12) si la chose

* graphie nécessaire pour la rime (avec bien) et conforme à l'étymologie
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Message par crodan00 Jeu 24 Sep - 5:36

Regarder la video

Suivie de : Le rat et l'éléphant




CONSEIL TENU PAR LES RATS (*)





Jean de la Fontaine - Page 2 Consra10




Un Chat, nommé Rodilardus (1),
Faisait de Rats telle déconfiture (2)
Que l'on n'en voyait presque plus,
Tant il en avait mis dedans la sépulture.
Le peu qu'il en restait, n'osant quitter son trou,
Ne trouvait à manger que le quart de son soû (3) ;
Et Rodilard passait, chez la gent misérable,
Non pour un Chat, mais pour un Diable.
Or, un jour qu'au haut et au loin
Le Galand alla chercher femme,
Pendant tout le sabbat (4) qu'il fit avec sa dame,
Le demeurant des Rats tint chapitre en un coin
Sur la nécessité (5) présente.
Dès l'abord, leur Doyen, personne fort prudente,
Opina qu'il fallait, et plus tôt que plus tard,
Attacher un grelot au cou de Rodilard ;
Qu'ainsi, quand il irait en guerre,
De sa marche avertis ils s'enfuiraient sous terre ;
Qu'il n'y savait que ce moyen.
Chacun fut de l'avis de Monsieur le Doyen ;
Chose (6) ne leur parut à tous plus salutaire.
La difficulté fut d'attacher le grelot.
L'un dit : Je n'y vas (7) point, je ne suis pas si sot ;
L'autre : Je ne saurais. Si bien que sans rien faire
On se quitta. J'ai maints chapitres vus,
Qui pour néant se sont ainsi tenus :
Chapitres, non de Rats, mais chapitres de moines,
Voire chapitres de chanoines.

Ne faut-il que délibérer,
La cour en conseillers foisonne ;
Est-il besoin d'exécuter,
L'on ne rencontre plus personne.






(*) source : Abstémius (humaniste latin, XVIème) recueilli dans l'ouvrage de Névelet "Des rats voulant mettre une sonnette au chat". Avant Abstemius, l'apologue était déjà connu : Eustache Deschamps (1346-1406) en avait fait le thème de sa ballade.
L'expression "attacher la sonnette" ou comme ici "le grelot" était proverbiale

(1) le nom se trouve chez Rabelais et signifie rongelard
(2) au XVIIème, le mot signifiait "déroute générale d'une armée"
(3) graphie conservée, nécessaire pour la rime (soûl)
(4) grand bruit
(5) la famine
(6) rien ne...
(7) je n'y vais...(courant au XVIIème)
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Message par crodan00 Ven 25 Sep - 6:18

La fable suivante : "Contre ceux qui ont le goût difficile" trouve sa source dans le texte de Phèdre (livre IV, 7), présent dans le recueil Nevelet, traduit également par Sacy au XVIIème, avec le titre : Phèdre contre les censeurs de son livre, surmonté de la maxime Les sots ne trouvent rien de bien que ce qu'ils font eux-mêmes. La Fontaine va justifier ici par diverses raisons et divers procédés le choix du genre auquel il a décidé de se tenir : la fable, dont il fait l'apologie. Dans le début de la fable est exprimée toute la modestie du poète. Ensuite, un dialogue avec des "censeurs" fictifs permet à La Fontainede faire deux pastiches (en passant de l'épopée à l'idylle) par lesquels il va définir la limite supérieure et la limite inférieure de la fable, genre auquel il a choisi de se tenir : Le premier est inspiré de la chute de Troie, contée par Virgile (Enéïde livre 2) ; le second emprunte à Virgile (Bucoliques III, v.65) et à Honoré d'Urfé, dans une scène de l'Astrée.

CONTRE CEUX QUI ONT LE GOUT DIFFICILE


Jean de la Fontaine - Page 2 Cgoutd10


Quand j'aurais en naissant reçu de Calliope (1)
Les dons qu'à ses amants cette Muse a promis,
Je les consacrerais aux mensonges d'Esope :
Le mensonge et les vers de tout temps sont amis.
Mais je ne me crois pas si chéri du Parnasse (2)
Que de savoir orner toutes ces fictions.
On peut donner du lustre à leurs inventions ;
On le peut, je l'essaie (3) : un plus savant le fasse.
Cependant jusqu'ici d'un langage nouveau
J'ai fait parler le Loup et répondre l'Agneau.
J'ai passé plus avant : les Arbres et les Plantes
Sont devenus chez moi créatures parlantes.
Qui ne prendrait ceci pour un enchantement (4) ?
Vraiment, me diront nos Critiques,
Vous parlez magnifiquement (5)
De cinq ou six contes d'enfant.
Censeurs, en voulez- vous qui soient plus authentiques
Et d'un style plus haut ? En voici. Les Troyens,
Après dix ans de guerre autour de leurs murailles,
Avaient lassé les Grecs, qui, par mille moyens,
Par mille assauts, par cent batailles,
N'avaient pu mettre à bout cette fière cité ;
Quand un cheval de bois, par Minerve inventé,
D'un rare et nouvel artifice,
Dans ses énormes flancs reçut le sage Ulysse,
Le vaillant Diomède, Ajax l'impétueux,
Que ce colosse monstrueux
Avec leurs escadrons devait porter dans Troie,
Livrant à leur fureur ses Dieux mêmes en proie.
Stratagème inouï, qui des fabricateurs (6)
Paya la constance et la peine.
C'est assez, me dira quelqu'un de nos Auteurs :
La période est longue, il faut reprendre haleine ;
Et puis votre cheval de bois,
Vos héros avec leurs phalanges,
Ce sont des contes plus étranges
Qu'un Renard qui cajole un Corbeau sur sa voix.
De plus il vous sied mal d'écrire en si haut style. (7)
Eh bien! baissons d'un ton. La jalouse Amarylle (Cool
Songeait à son Alcippe et croyait de ses soins (9)
N'avoir que ses Moutons et son Chien pour témoins.
Tircis, qui l'aperçut, se glisse entre des saules ;
Il entend la Bergère adressant ces paroles
Au doux Z éphir, et le priant
De les porter à son Amant.
Je vous arrête à cette rime (10),
Dira mon censeur à l'instant :
Je ne la tiens pas légitime,
Ni d'une assez grande vertu.
Remettez, pour le mieux, ces deux vers à la fonte.
Maudit Ccenseur te tairas-tu ?
Ne saurais-je achever mon conte ?
C'est un dessein très dangereux
Que d'entreprendre de te plaire :
Les délicats sont malheureux ;
Rien ne saurait les satisfaire.(11)



1) muse de la poésie épique : au XVIIème, l'épopée (long poème en vers magnifiant les exploits légendaires des héros en utilisant les ressources du merveilleux), est le genre poétique le plus élevé.
(2) montagne de Grèce où résidaient les Muses : vous vous souvenez ? Elles sont 9 :Clio (histoire), Euterpe (musique), Thalie (comédie), Melpomène (tragédie) Terpsichore (danse), Erato (l'élégie : poème sur un sujet tendre et triste "Elégie aux nymphes de Vaux" par ex.), Polymnie (poésie lyrique), Uranie (astronomie), Calliope(éloquence et poésie héroïque : qui relate les exploits des héros)
(3) déjà précisé dans la Préface : " J'ai pourtant considéréque, ces fables étant sues de tout le monde, je ne ferais rien si je ne les rendais nouvelles par quelques traits qui en relevassent le goût"
(4) "charme, effet merveilleux procédant d'une puissancemagique" (dict. de Furetière)
(5) les deux vers sont mis en relief par contraste : "termes magnifiques" opposés au dédaigneux "contes pour enfants"
(6) sens noble ici : "le fabricateur souverain" dans "La besace" c'est Dieu.
(7) L.F. a déjà exprimé que le ton épique n'est pas son style :"Je n'ai pas entrepris de chanter dans ces vers Rome ni ses enfants vainqueurs de l'univers. Ces sujets sont trop hauts, et je manque de voix."
(Cool Amarylle, Alcippe, Tircis sont des noms employés par la pastorale italienne et française
(9) de son amour
(10) rimes : saules-paroles ; priant-amant; magnifiquement-enfant; les deux derniers couples ont des rimes négligées en raison du manque de la consonne d'appui pour les derniers sons
(11) Remarque générale ou pointe contre Patru (auteur des"Lettres à Olinde") ?
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Message par crodan00 Sam 26 Sep - 5:53

LE COQ ET LA PERLE (*)


Jean de la Fontaine - Page 2 Coqper10


Un jour un Coq détourna (1)
Une perle qu'il donna
Au beau (2) premier Lapidaire :
Je la crois fine, dit-il ;
Mais le moindre grain de mil
Serait bien mieux mon affaire.

Un ignorant hérita
D'un manuscrit qu'il porta
Chez son voisin le Libraire.
Je crois, dit-il, qu'il est bon ;
Mais le moindre ducaton (3)
Serait bien mieux mon affaire.


(*) La source de la première partie est Phèdre (III, 12)
Le second sizain est de La Fontaine seul, presque
symétrique au premier (sauf pour les rimes des vers 4 et 5); "Cette symétrie générale, rehaussée par cette discrète modulation produit un amusant effet d'écho"
(J.P.Collinet, oeuvres complètes, la Pléiade)

(1) mit de côté, à son profit
(2) renforce le sens de premier ; on dirait maintenant : au tout premier
(3) demi-ducat ou ducat d'argent (le ducat était en or) ; il y avait des ducatons de Venise et des ducatons de Hollande.
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Message par crodan00 Lun 28 Sep - 4:10

LE COQ ET LE RENARD (*)


Jean de la Fontaine - Page 2 Ico10
Jean de la Fontaine - Page 2 Irena10


Sur la branche d'un arbre était en sentinelle
Un vieux Coq adroit et matois (1).
Frère, dit un Renard adoucissant sa voix,
Nous ne sommes plus en querelle :
Paix générale cette fois.
Je viens te l'annoncer ; descends que je t'embrasse (2) ;
Ne me retarde point, de grâce :
Je dois faire aujourd'hui vingt postes sans manquer (3).
Les tiens et toi pouvez vaquer,
Sans nulle crainte à vos affaires :
Nous vous y servirons en frères.
Faites-en les feux dès ce soir.
Et cependant, viens recevoir
Le baiser d'amour fraternelle (4).
Ami, reprit le Coq, je ne pouvais jamais
Apprendre une plus douce et meilleure nouvelle
Que celle
De cette paix.
Et ce m'est une double joie
De la tenir de toi. Je vois deux Lévriers,
Qui, je m'assure, sont courriers
Que pour ce sujet on envoie.
Ils vont vite, et seront dans un moment à nous.
Je descends : nous pourrons nous entre-baiser tous.
Adieu, dit le Renard, ma traite est longue à faire,
Nous nous réjouirons du succès de l'affaire
Une autre fois. Le Galand aussitôt
Tire ses grègues (5), gagne au haut (6),
Mal content de son stratagème ;
Et notre vieux Coq en soi-même
Se mit à rire de sa peur
Car c'est double plaisir de tromper le trompeur.


(*) Source : "Ésope et ses imitateurs (Faerne, Haudent, etc;) mettent en scène le coq, le renard et un chien caché qui étranglera le renard. La Fontaine a suivi Guéroult "Premier
livre des Emblèmes, Lyon 1550;" (G.Couton, La Fontaine, Fables, éd. Garnier. Une facétie du Pogge peut aussi avoir été utilisée.

(1) rusé, sans scrupule, filou
(2) que je te prenne dans mes bras
(3) 20 relais de poste, env. 160km, sans faute
(4) baiser de paix de l'église catholique
(5) s'enfuit
(6) s'éloigne
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Message par crodan00 Mar 29 Sep - 4:20

LE CORBEAU ET LE RENARD


Jean de la Fontaine - Page 2 Image-10

Maître Corbeau, sur un arbre perché,
Tenait en son bec un fromage.
Maître Renard, par l'odeur alléché,
Lui tint à peu près ce langage :
Et bonjour, Monsieur du Corbeau,
Que vous êtes joli ! que vous me semblez beau !
Sans mentir, si votre ramage
Se rapporte à votre plumage,
Vous êtes le Phénix des hôtes de ces bois.
À ces mots le Corbeau ne se sent pas de joie,
Et pour montrer sa belle voix,
Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie.
Le Renard s'en saisit, et dit : Mon bon Monsieur,
Apprenez que tout flatteur
Vit aux dépens de celui qui l'écoute.
Cette leçon vaut bien un fromage sans doute.
Le Corbeau honteux et confus
Jura, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus.


(1) oiseau fabuleux, mythique, toujours seul de son espèce, qui, après un siècle de vie, mourait consumé par le feu, et renaissait aussitôt de ses cendres. Par extension, être unique en son genre.


Ecouter la fable

Un peu de statistiques pour commencer :

"5 fables entrent pleinement dans l'imaginaire collectif français, et constituent une partie du fonds culturel commun, en dehors de toute "spécialisation" savante.
Ce sont :
Le corbeau et le renard
La cigale et la fourmi
Le lièvre et la tortue
La laitière et le pot au lait
Le loup et l'agneau"
( Michel Schmitt, Le Fablier, 1991)

(*) ( sources : Esope, fable 204 ; Phèdre : I, 13 )
La traduction latine de la fable d'Esope avait été donnée par Névelet (1610). Le corbeau tenait un morceau de viande dans son bec, la phrase finale dit : "Cette fable s'applique aux imbéciles"
La fable latine de Phèdre avait été traduite par Sacy éd. 1647. le corbeau tenait un fromage. La traduction commence ainsi :
"Celui qui est bien aise d'être loué par des paroles trompeuses, en est souvent puni par un repentir honteux.", et se termine par : "Cette fable fait voir ce que peut l'esprit, et que la sagesse est toujours la plus forte."

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Message par crodan00 Mer 30 Sep - 7:28

Le corbeau, la gazelle, la tortue et le rat (*)


Jean de la Fontaine - Page 2 Corbga10


La Gazelle, le Rat, le Corbeau, la Tortue,
Vivaient ensemble unis : douce société.
Le choix d'une demeure aux humains inconnue
Assurait leur félicité.
Mais quoi ! l'homme découvre enfin toutes retraites.
Soyez au milieu des déserts,
Au fond des eaux, en haut des airs,
Vous n'éviterez point ses embûches secrètes.
La Gazelle s'allait ébattre innocemment,
Quand un Chien, maudit instrument
Du plaisir barbare des hommes,
Vint sur l'herbe éventer (1) les traces de ses pas.
Elle fuit, et le Rat, à l'heure du repas,
Dit aux amis restants : D'où vient que nous ne sommes
Aujourd'hui que trois conviés ?
La Gazelle déjà nous a-t-elle oubliés ?
A ces paroles, la Tortue
S'écrie (2) et dit : Ah si j'étais
Comme un Corbeau, d'ailes pourvue,
Tout de ce pas je m'en irais
Apprendre au moins quelle contrée,
Quel accident tient arrêtée
Notre compagne au pied léger ;
Car, à l'égard du cœur, il en faut mieux juger.
Le Corbeau part à tire d'aile :
Il aperçoit de loin l'imprudente Gazelle
Prise au piège, et se tourmentant.
Il retourne avertir les autres à l'instant.
Car, de lui demander quand, pourquoi, ni comment
Ce malheur est tombé sur elle,
Et perdre en vains discours cet utile moment,
Comme eût fait un maître d'école (3a),
Il avait trop de jugement.
Le corbeau donc vole et revole.
Sur son rapport, les trois amis
Tiennent conseil. Deux sont d'avis
De se transporter sans remise
Aux lieux où la Gazelle est prise.
L'autre, dit le corbeau, gardera le logis :
Avec son marcher lent, quand arriverait-elle ?
Après la mort de la gazelle.
Ces mots à peine dits, ils s'en vont secourir
Leur chère et fidèle compagne,
Pauvre Chevrette de montagne.
La Tortue y voulut courir :
La voilà comme eux en campagne,
Maudissant ses pieds courts avec juste raison,
Et la nécessité de porter sa maison.
Rongemaille (le Rat eut à bon droit ce nom) (3b)
Coupe les noeuds du lacs : on peut penser la joie.
Le chasseur vient et dit : Qui m'a ravi ma proie ?
Rongemaille, à ces mots, se retire en un trou,
Le Corbeau sur un arbre, en un bois la Gazelle :
Et le Chasseur, à demi-fou
De n'en avoir nulle nouvelle,
Aperçoit la Tortue, et retient son courroux.
D'où vient, dit-il, que je m'effraie ?
Je veux qu'à mon souper celle-ci me défraie.
Il la mit dans son sac. Elle eût payé pour tous,
Si le Corbeau n'en eût averti la Chevrette.
Celle-ci, quittant sa retraite,
Contrefait la boiteuse, et vient se présenter.
L'homme de suivre, et de jeter
Tout ce qui lui pesait : si bien que Rongemaille
Autour des noeuds du sac tant opère et travaille,
Qu'il délivre encor l'autre soeur,
Sur qui s'était fondé le souper du Chasseur.

Pilpay conte qu'ainsi la chose s'est passée. (*)
Pour peu que je voulusse invoquer Apollon,
J'en ferais, pour vous plaire, un ouvrage aussi long
Que l'Iliade ou l'Odyssée.
Rongemaille ferait le principal héros,
Quoique à vrai dire ici chacun soit nécessaire.
Portemaison l'Infante y tient de tels propos,
Que Monsieur du Corbeau va faire
Office d'Espion, et puis de Messager.
La Gazelle a d'ailleurs l'adresse d'engager
Le Chasseur à donner du temps à Rongemaille.
Ainsi chacun en son endroit (4)
S'entremet, agite et travaille.
A qui donner le prix ? Au coeur, si l'on m'en croit (5).


(1) découvrir
(2) se récrie
(3a) allusion à la fable "L'enfant et le maître d'Ecole"(I,19)
(3b) de même, all. à la fable "le lion et le rat" (II,11)
nous trouvons ici des allusions à d'autres fables, comme si
L.F. voulait mettre en relief ces guides vers une mise en valeur finale de l'amitié, le dévouement, la prévenance...
(4) pour sa part

(5) en 1685, ces 10 vers suivaient, supprimés en
1694 :
Que n'ose et que ne peut l'amitié violente ?
Cet autre sentiment que l'on appelle amour
Mérite moins d'honneurs; cependant chaque jour
Je le célèbre et je le chante.
Hélas! il n'en rend pas mon âme plus contente.
Vous protégez sa soeur, il suffit; et mes vers
Vont s'engager pour elle à des tons tout divers
Mon maître était l'Amour: j'en vais servir un autre,
Et porter par tout l'Univers
Sa gloire aussi bien que la vôtre.
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Message par crodan00 Jeu 1 Oct - 4:23

LE CORBEAU VOULANT IMITER L'AIGLE (*)


Jean de la Fontaine - Page 2 Corbea10


L'Oiseau de Jupiter (1) enlevant un Mouton,
Un Corbeau témoin de l'affaire,
Et plus faible de reins, mais non pas moins glouton,
En voulut sur l'heure autant faire.
Il tourne à l'entour du troupeau,
Marque entre cent Moutons le plus gras, le plus beau,
Un vrai Mouton de sacrifice :
On l'avait réservé pour la bouche des Dieux.
Gaillard Corbeau disait, en le couvant des yeux :
Je ne sais qui fut ta nourrice ;
Mais ton corps me paraît en merveilleux état :
Tu me serviras de pâture.
Sur l'animal bêlant, à ces mots, il s'abat.
La moutonnière créature
Pesait plus qu'un fromage (2) ; outre que sa toison
Etait d'une épaisseur extrême,
Et mêlée à peu près de la même façon
Que la barbe de Polyphème (3).
Elle empêtra si bien les serres du Corbeau,
Que le pauvre Animal ne put faire retraite.
Le Berger vient, le prend, l'encage bien et beau (4)
Le donne à ses enfants pour servir d'amusette.
Il faut se mesurer ; la conséquence est nette :
Mal prend aux volereaux de faire les voleurs.
L'exemple est un dangereux leurre.
Tous les mangeurs de gens ne sont pas grands Seigneurs :
Où la Guêpe a passé, le Moucheron demeure. (5)


(*) source : Ésope : l'aigle, le choucas et le berger
C'est à Corrozet que L.F. a emprunté le détail
de l'enfant ayant reçu le corbeau comme jouet

(1) le maître des Dieux (l'Aigle et l'Escarbot : II,8 v.14)
(2) Des correspondances entre les Fables
commenceent à s'établir ; ici, renvoi à la fable
II,1 : Le corbeau et le renard
(3) le cyclope Polyphème, fils de Poséïdon, est
représenté par les poètes antiques, à la barbe hirsute
(4) bel et bien
(5) Rabelais Livre v, chap.12 : "Nos lois sont comme
toiles d'araignée, or ça, les simples moucherons
et petits papillons y sont pris, or ça, les gros taons
malfaisants les rompent, or ça, et passent à travers, or ça,"
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Message par crodan00 Ven 2 Oct - 5:04

LA COUR DU LION (*)


Jean de la Fontaine - Page 2 Cour210


Sa Majesté Lionne(1) un jour voulut connaître
De quelles nations le ciel l'avait fait maître.
Il manda donc par Députés
Ses Vassaux de toute nature,
Envoyant de tous les côtés
Une circulaire écriture (2),
Avec son sceau. L'écrit portait
Qu'un mois durant le Roi tiendrait
Cour plénière (3), dont l'ouverture
Devait être un fort grand festin,
Suivi des tours de Fagotin (4).
Par ce trait de magnificence
Le Prince à ses sujets étalait sa puissance.
En son Louvre il les invita.
Quel Louvre! un vrai charnier, dont l'odeur se porta
D'abord (5) au nez des gens. L'Ours boucha sa narine:
Il se fût bien passé (6) de faire cette mine,
Sa grimace déplut. Le Monarque irrité
L'envoya chez Pluton (7) faire le dégoûté.
Le Singe approuva fort cette sévérité,
Et flatteur excessif, il loua la colère (Cool
Et la griffe du Prince, et l'Antre, et cette odeur:
Il n'était ambre, il n'était fleur,
Qui ne fût ail au prix. Sa sotte flatterie
Eut un mauvais succès, et fut encor punie.
Ce Monseigneur du Lion-là
Fut parent de Caligula (9).
Le Renard étant proche: Or cà, lui dit le sire,
Que sens-tu? dis-le moi : parle sans déguiser.
L'autre aussitôt de s'excuser,
Alléguant un grand rhume : il ne pouvait que dire (10)
Sans odorat ; bref, il s'en tire.
Ceci vous sert d'enseignement :
Ne soyez à la Cour, si vous voulez y plaire,
Ni fade adulateur, ni parleur trop sincère ;
Et tâchez quelquefois de répondre en Normand.


(*) "La Cour du Lion dérive d'une tradition qui remonte à Phèdre, mais de sa fable, il ne reste que des débris." (J.P. Collinet, La Pléiade)
"Voilà une fable des plus jolies ; ne connaissez-vous personne qui soit aussi bon courtisans que le Renard ?" (Mme de Sévigné)

(1) ici, adjectif, s'accorde avec le mot Majesté
(2) une circulaire
(3) "les rois tenaient autrefois leur cour plénière, quand ils mandaient les principaux de leur Etat auprès d'eux" (Furetière)
(4) singe savant, dressé par le marionnettiste Brioché, que l'on pouvait voir à la foire Saint-Germain.
(5) aussitôt
(6) il eût mieux fait de ne pas...
(7) dieu des morts....
(Cool le vers ne rime avec aucun autre...
(9) après la mort de sa soeur Drusilla, l'empereur Caligula fit mettre à mort ceux qui ne pleuraient pas ainsi que ceux qui pleuraient parce qu'ils offensaient ainsi la morte en ne croyant pas qu'elle était devenue déesse. (Caligula, impopulaire par ses extravagances et ses crimes, mourut assassiné)
(10) il ne pouvait rien dire
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Message par crodan00 Sam 3 Oct - 4:50

LE CURE ET LE MORT


Jean de la Fontaine - Page 2 Curmor10

A gauche de la gravure, on retrouve La Laitière et le pot au lait


Un mort s'en allait tristement
S'emparer de (1) son dernier gîte ;
Un Curé s'en allait gaiement
Enterrer ce mort au plus vite.
Notre défunt était en carrosse porté,
Bien et dûment empaqueté,
Et vêtu d'une robe, hélas ! qu'on nomme bière,
Robe d'hiver, robe d'été,
Que les morts ne dépouillent guère.
Le Pasteur était à côté,
Et récitait à l'ordinaire (2)
Maintes dévotes oraisons,
Et des psaumes et des leçons,
Et des versets et des répons (3) :
Monsieur le Mort, laissez-nous faire,
On vous en donnera de toutes les façons ;
Il ne s'agit que du salaire.
Messire Jean Chouart (4) couvait des yeux son mort,
Comme si l'on eût dû lui ravir ce trésor,
Et des regards semblait lui dire :
Monsieur le Mort, j'aurai de vous
Tant en argent, et tant en cire, (5)
Et tant en autres menus coûts.
Il fondait là-dessus l'achat d'une feuillette
Du meilleur vin des environs ;
Certaine nièce assez propette
Et sa chambrière Pâquette
Devaient voir des cotillons.
Sur cette agréable pensée
Un heurt survient, adieu le char.
Voilà Messire Jean Chouart
Qui du choc de son mort a la tête cassée :
Le Paroissien en plomb entraîne son Pasteur ;
Notre Curé suit son Seigneur ;
Tous deux s'en vont de compagnie.
Proprement toute notre vie ;
Est le curé Chouart, qui sur son mort comptait,
Et la fable du Pot au lait.


Source : un fait divers de l'époque. Mme de Sévigné écrit à sa fille le 26/02/1672 :
M. De Boufflers a tué un homme après sa mort.Il était dans sa bière et en carrosse ; on le menait à une lieue de Boufflers pour l'enterrer ; on verse ; la bière coupe le cou du pauvre curé.
(1) façon ironique de présenter la situation
(2) comme il se doit en de pareilles circonstances
(3) partie chantée par l'assistance
(4) Messire est le titre des gens d'Eglise sur les actes notériés. Le nom de Jean Chouart vient de Rabelais où il désigne "la braguette". Le curé ici est un "bon vivant"
(5) les cierges font partie du bénéfice du curé.
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Message par crodan00 Lun 5 Oct - 4:41

LE CYGNE ET LE CUISINIER


Jean de la Fontaine - Page 2 Cygncu10


Dans une ménagerie (1)
De volatiles remplie
Vivaient le Cygne et l'Oison :
Celui-là destiné pour les regards du Maître,
Celui-ci pour son goût (2) ; l'un qui se piquait d'être
Commensal (3) du jardin, l'autre de la maison.
Des fossés du château faisant leurs galeries,
Tantôt on les eût vus côte à côte nager,
Tantôt courir sur l'onde, et tantôt se plonger,
Sans pouvoir satisfaire à leurs vaines envies.
Un jour le Cuisinier, ayant trop bu d'un coup (4),
Prit pour Oison le Cygne; et le tenant au cou,
Il allait l'égorger, puis le mettre en potage.
L'Oiseau, prêt à mourir, se plaint en son ramage.
Le Cuisinier fut fort surpris,
Et vit bien qu'il s'était mépris.
Quoi ? je mettrais, dit-il, un tel Chanteur (5) en soupe !
Non, non, ne plaise aux Dieux que jamais ma main coupe
La gorge à qui s'en sert si bien.

Ainsi dans les dangers qui nous suivent en croupe
........... Le doux parler ne nuit de rien...........



Le cygne et le cuisinier, a pour source
première Ésope, reprise déjà par Faërne et
Verdizotti à qui La Fontaine a emprunté le début.
Dans le jardin d'un altier palais vivaient, nourris
ensemble une oie et un cygne, l'un pour réjouir
de son doux chant les délicates oreilles de son
maître, l'autre pour réjouir avec sa grasse chair
sa bouche et son ventre. (cité par G. Couton,
Ed. Garnier)



(1) lieu bâti auprès d'une maison de campagne pour y engraisser les bestiaux et les volailles. ( Dict. de l'Acad. 1694)
(2) pour le goût du maître
(3) compagnon de table ; l'oie mange dans le jardin,
le cygne est admis dans la maison
(4) ayant bu un coup de trop
(5) allusion à la légende du chant des cygnes sur le point
de mourir, d'où vient l'expression "le chant du cygne" pour désigner l'œuvre finale.
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Message par crodan00 Mar 6 Oct - 5:07

Daphnis et Alcimadure


Jean de la Fontaine - Page 2 Daphna10


Aimable fille d'une mère
A qui seule aujourd'hui mille cœurs font la cour,
Sans ceux que l’amitié rend soigneux de vous plaire
Et quelques-uns encor que vous garde l'amour,
Je ne puis(*) qu'en cette préface
Je ne partage(*) entre elle et vous
Un peu de cet encens qu'on recueille au Parnasse,
Et que j'ai le secret de rendre exquis et doux.
Je vous dirai donc... Mais tout dire,
Ce serait trop ; il faut choisir,
Ménageant ma voix et ma lyre,
Qui bientôt vont manquer de force et de loisir.
Je louerai seulement un coeur plein de tendresse,
Ces nobles sentiments, ces grâces, cet esprit :
Vous n'auriez en cela ni maître ni maîtresse,
Sans celle dont sur vous l'éloge rejaillit.
Gardez d'environner ces roses
De trop d'épines, si jamais
L'Amour vous dit les mêmes choses :
Il les dit mieux que je ne fais,
Aussi sait-il punir ceux qui ferment l'oreille
À ses conseils. Vous l'allez voir.

Jadis une jeune merveille
Méprisait de ce Dieu le souverain pouvoir ;
On l'appelait Alcimadure :
Fier et farouche objet, toujours courant aux bois,
Toujours sautant aux prés, dansant sur la verdure
Et ne connaissant autres lois
Que son caprice ; au reste égalant les plus belles,
Et surpassant les plus cruelles ;
N'ayant trait qui ne plût, pas même en ses rigueurs ;
Quelle l'eût-on trouvée au fort de ses faveurs ?
Le jeune et beau Daphnis, Berger de noble race,
L'aima pour son malheur : jamais la moindre grâce
Ni le moindre regard, le moindre mot enfin,
Ne lui fut accordé par ce coeur inhumain.
Las de continuer une poursuite vaine,
Il ne songea plus qu'à mourir.
Le désespoir le fit courir
A la porte de l'Inhumaine.
Hélas ! ce fut au vent qu'il raconta sa peine ;
On ne daigna lui faire ouvrir
Cette maison fatale, où, parmi ses Compagnes,
L'Ingrate, pour le jour de sa nativité (1),
Joignait aux fleurs de sa beauté
Les trésors des jardins et des vertes campagnes.
J'espérais, cria-t-il, expirer à vos yeux ;
Mais je vous suis trop odieux,
Et ne m'étonne pas qu'ainsi que tout le reste
Vous me refusiez même un plaisir si funeste.
Mon père, après ma mort, et je l'en ai chargé,
Doit mettre à vos pieds l'héritage
Que votre cœur a négligé.
Je veux que l'on y joigne aussi le pâturage,
Tous mes troupeaux, avec mon chien,
Et que du reste de mon bien
Mes compagnons fondent un temple
Où votre image se contemple,
Renouvelant de fleurs l'autel à tout moment ;
J'aurai près de ce temple un simple monument ;


On gravera sur la bordure :

DAPHNIS MOURUT D’AMOUR. PASSANT, ARRÊTE-TOI ;
PLEURE , ET DIS : CELUI-CI SUCCOMBA SOUS LA LOI
DE LA CRUELLE ALCIMADURE.


A ces mots, par la Parque il se sentit atteint ;
Il aurait poursuivi, la douleur le prévint.
Son Ingrate sortit triomphante et parée.
On voulut, mais en vain, l'arrêter un moment
Pour donner quelques pleurs au sort de son Amant.
Elle insulta toujours au fils de Cythérée(2),
Menant dès ce soir même, au mépris de ses lois,
Ses Compagnes danser autour de sa statue ;
Le Dieu tomba sur elle, et l'accabla du poids ;
Une voix sortit de la nue ;
Echo redit ces mots dans les airs épandus :
QUE TOUT AIME À PRÉSENT : L’INSENSIBLE N’EST PLUS.
Cependant de Daphnis l'ombre au Styx (3) descendue
Frémit et s'étonna la voyant accourir.
Tout l'Érèbe(3) entendit cette belle homicide
S'excuser au berger, qui ne daigna l'ouïr
Non plus qu'Ajax Ulysse, et Didon son perfide (4).



La fable "Daphnis et Alcimadure" est dédiée à Madame de La Mésangère, seconde fille de Madame de La Sablière, qui, comme elle, a pour prénom Marguerite.
Née le 20/01/1658, elle est veuve depuis 1681 de M.Scot
de La Mésangère, conseiller au Parlement de Rouen.
Comme sa mère, elle est belle et intelligente ; L.F. veut l'aider à vaincre ses résistances à un second mariage...Il est exaucé puisqu'elle épouse contre le gré de sa mère et des siens, le comte Nocé de Fontenay le 7 mai 1690 ;
(Ah ! Le "pouvoir des fables" ! N.D.L.R.)

(*) je ne saurais me dispenser de partager
(1) son anniversaire
(2) déesse de l'île de Cythère, assimilée ici à Vénus
(3) le Styx est le fleuve des Enfers, l'Érèbe : le fleuve
des Enfers païens, et par extension, l'Enfer.
(4) l'ombre d'Ajax refuse d'entendre Ulysse (Odyssée)
L'ombre de Didon se détourne d'Énée (Enéide)
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Message par crodan00 Mer 7 Oct - 5:10

DÉMOCRITE ET LES ABDÉRITAINS


Jean de la Fontaine - Page 2 Demoab10


Que j'ai toujours haï les pensers du vulgaire !
Qu'il me semble profane, injuste, et téméraire,
Mettant de faux milieux entre la chose et lui,
Et mesurant par soi ce qu'il voit en autrui !
Le maître d'Épicure (1) en fit l'apprentissage.
Son pays le crut fou : Petits esprits ! mais quoi ?
Aucun n'est prophète chez soi.
Ces gens étaient les fous, Démocrite, le sage.
L'erreur alla si loin qu'Abdère (2) députa
Vers Hippocrate (3) , et l'invita
Par lettres et par ambassade,
A venir rétablir la raison du malade.
Notre concitoyen, disaient-ils en pleurant,
Perd l'esprit : la lecture a gâté (4) Démocrite.
Nous l'estimerions plus s'il était ignorant.
Aucun nombre, dit-il, les mondes ne limite :
Peut-être même ils sont remplis
De Démocrites infinis.
Non content de ce songe, il y joint les atomes,
Enfants d'un cerveau creux, invisibles fantômes ;
Et, mesurant les cieux sans bouger d'ici-bas,
Il connaît l'univers, et ne se connaît pas.
Un temps fut qu'il savait accorder les débats :
Maintenant il parle à lui-même.
Venez, divin mortel ; sa folie est extrême.
Hippocrate n'eut pas trop de foi pour ces gens ;
Cependant il partit. Et voyez, je vous prie,
Quelles rencontres dans la vie
Le sort cause ; Hippocrate arriva dans le temps
Que celui qu'on disait n'avoir raison ni sens
Cherchait dans l'homme et dans la bête
Quel siège a la raison, soit le cœur, soit la tête.
Sous un ombrage épais, assis près d'un ruisseau,
Les labyrinthes (5) d'un cerveau
L'occupaient. Il avait à ses pieds maint volume,
Et ne vit presque pas son ami s'avancer,
Attaché selon sa coutume.
Leur compliment fut court, ainsi qu'on peut penser.
Le sage est ménager du temps et des paroles.
Ayant donc mis à part les entretiens frivoles,
Et beaucoup raisonné sur l'homme et sur l'esprit,
Ils tombèrent sur la morale.
Il n'est pas besoin que j'étale
Tout ce que l'un et l'autre dit.
Le récit précédent suffit
Pour montrer que le peuple est juge récusable.
En quel sens est donc véritable
Ce que j'ai lu dans certain lieu,
Que sa voix est la voix de Dieu ?


Cette fable nous montre un La Fontaine très critique des préjugés du vulgaire. La dérision du proverbe Vox populi, vox Dei est nettement montrée (dernier vers de la fable)


Sources : Les lettres apocryphes d'Hippocrate (lettres du Sénat et du peuple d'Abdère à Hippocrate pour lui demander de venir guérir Démocrite ; lettre d'Hippocrate racontant ses entretiens avec Démocrite). L.F. les avait lues soit dans le texte grec, soit dans la traduction latine, soit dans les Conférences d'Hippocrate et de Démocrite, traduites du grec en français avec un commentaire (1632) par le médecin Bompart. (notes, G. Couton, fables p. 496)

(1) Démocrite, avec Leucippe : fondateurs de la doctrine atomique
(2) colonie grecque de Thrace, patrie de Démocrite
(3) Hippocrate (460-377 ?) av. JC) Le plus célèbre des médecins de l'Antiquité
(4) endommagé
(5) les circonvolutions cérébrales
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Message par crodan00 Jeu 8 Oct - 4:33

Le Dépositaire Infidèle


Jean de la Fontaine - Page 2 Deposi10


Grâce aux Filles de Mémoire, (1)
J'ai chanté des animaux.
Peut-être d'autres héros
M'auraient acquis moins de gloire.
Le loup, en langue des Dieux (2)
Parle au Chien dans mes ouvrages.
Les Bêtes, à qui mieux mieux,
Y font divers personnages ; (3)
Les uns fous, les autres sages ;
De telle sorte pourtant
Que les fous vont l'emportant ;
La mesure en est plus pleine.
Je mets aussi sur la scène
Des Trompeurs, des Scélérats,
Des Tyrans et des Ingrats,
Mainte imprudente Pécore, (4)
Force Sots, force Flatteurs ;
Je pourrais y joindre encore
Des légions de menteurs.
Tout homme ment, dit le Sage.
S'il n'y mettait seulement
Que les gens du bas étage, (5)
On pourrait aucunement
Souffrir ce défaut aux hommes ;
Mais que tous tant que nous sommes
Nous mentions, grand et petit,
Si quelque autre l'avait dit,
Je soutiendrais le contraire.
Et même qui mentirait
Comme Ésope et comme Homère,
Un vrai menteur ne serait .
Le doux charme de maint songe
Par leur bel art inventé,
Sous les habits du mensonge
Nous offre la vérité.
L'un et l'autre a fait un livre
Que je tiens digne de vivre
Sans fin, et plus, s'il se peut :
Comme eux ne ment pas qui veut.
Mais mentir comme sut faire
Un certain dépositaire
Payé par son propre mot,
Est d'un méchant, et d'un sot.
Voici le fait. Un trafiquant de Perse,
Chez son voisin, s'en allant en commerce,
Mit en dépôt un cent (6) de fer un jour.
Mon fer, dit-il, quand il fut de retour.
Votre fer ? Il n'est plus : J'ai regret de vous dire
Qu'un rat l'a mangé tout entier.
J'en ai grondé mes gens (7) ; mais qu'y faire ? Un grenier
A toujours quelque trou. Le Trafiquant admire
Un tel prodige, et feint de le croire pourtant.
Au bout de quelques jours, il détourne l'enfant
Du perfide voisin ; puis à souper convie
Le père, qui s'excuse, et lui dit en pleurant :
Dispensez-moi, je vous supplie ;
Tous plaisirs pour moi sont perdus.
J'aimais un fils plus que ma vie ;
Je n'ai que lui ; que dis-je ? hélas ! je ne l'ai plus.
On me l'a dérobé. Plaignez mon infortune.
Le Marchand repartit : Hier au soir, sur la brune,
Un Chat-huant s'en vint votre fils enlever.
Vers un vieux bâtiment je le lui vis porter.
Le père dit : Comment voulez-vous que je croie
Qu'un hibou pût jamais emporter cette proie ?
Mon fils en un besoin (Cool eût pris le Chat-huant.
Je ne vous dirai point, reprit l'autre, comment,
Mais enfin je l'ai vu, vu de mes yeux, vous dis-je,
Et ne vois rien qui vous oblige
D'en douter un moment après ce que je dis.
Faut-il que vous trouviez étrange
Que les chats-huants d'un pays
Où le quintal de fer par un seul rat se mange,
Enlèvent un garçon pesant un demi-cent ?
L'autre vit où tendait cette feinte aventure.
Il rendit le fer au Marchand,
Qui lui rendit sa géniture. (9)
Même dispute avint entre deux voyageurs.
L'un d'eux était de ces conteurs
Qui n'ont jamais rien vu qu'avec un microscope.
Tout est géant chez eux : Écoutez-les, l'Europe,
Comme l'Afrique (10) aura des monstres à foison.
Celui-ci se croyait l'hyperbole permise.
J'ai vu, dit-il, un chou plus grand qu'une maison.
Et moi, dit l'autre, un pot aussi grand qu'une église.
Le premier se moquant, l'autre reprit : Tout doux ;
On le fit pour cuire vos choux.
L'homme au pot fut plaisant ; l'homme au fer fut habile.
Quand l'absurde est outré, l'on lui fait trop d'honneur
De vouloir par raison combattre son erreur ;
Enchérir est plus court, sans s'échauffer la bile.



Sources : Pour la partie principale : Pilpay (Livre des Lumières, D'un marchand et de son ami) ; la seconde anecdote s'inspire de l'épigramme Du Chou de Bretagne et de la Marmite d'Espagne, mais la source n'est pas certaine...
"Dans les deux cas, c'est en outrant le langage fictif du menteur, en l'adoptant jusqu'au bout comme style de communication, que sa vanité éclate, récusée par son inventeur lui-même" [...] Le procédé pour faire avouer les traitres et les menteurs est le recours à " une maïeutique par le récit dont l'ironie, fort familière à L.F. n'est pas d'une essence différente de celle de Socrate" (M. Fumaroli, La Fontaine, Fables éd. La Pochothèque, p. 913)

(1) Les Muses (filles de Jupiter et de Mnémosyme)
(2) en vers
(3) personnages de théâtre
(4) bête, animal... Au figuré : bête, stupide
(5) de basse condition
(6) cent livres
(7) les domestiques
(Cool en cas de besoin
(9) progéniture
(10) habitée par toutes sortes de monstres..selon sa réputation
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Message par crodan00 Ven 9 Oct - 5:37

LES DEUX AMIS

Jean de la Fontaine - Page 2 Fdeuam10

Deux vrais amis vivaient au Monomotapa : (1)
L'un ne possédait rien qui n'appartînt à l'autre :
Les amis de ce pays-là
Valent bien, dit-on, ceux du nôtre.
Une nuit que chacun s'occupait (2) au sommeil,
Et mettait à profit l'absence du soleil,
Un de nos deux Amis sort du lit en alarme ; (3)
Il court chez son intime, éveille les Valets :
Morphée avait touché le seuil de ce palais.
L'ami couché s'étonne, il prend sa bourse, il s'arme ;
Vient trouver l'autre, et dit : Il vous arrive peu
De courir quand on dort ; vous me paraissez homme
A mieux user du temps destiné pour le somme :
N'auriez-vous point perdu tout votre argent au jeu ?
En voici. S'il vous est venu quelque querelle,
J'ai mon épée, allons. Vous ennuyez-vous point
De coucher toujours seul ? Une esclave assez belle
Était à mes côtés ; voulez-vous qu'on l'appelle ?
Non, dit l'ami, ce n'est ni l'un ni l'autre point :
Je vous rends grâce de ce zèle.
Vous m'êtes en dormant un peu triste apparu ;
J'ai craint qu'il ne fût vrai, je suis vite accouru.
Ce maudit songe en est la cause.
Qui d'eux aimait le mieux ? Que t'en semble, lecteur ?
Cette difficulté vaut bien qu'on la propose.
Qu'un ami véritable est une douce chose!
Il cherche vos besoins au fond de votre coeur ;
Il vous épargne la pudeur (5)
De les lui découvrir vous-même.
Un songe, un rien, tout lui fait peur
Quand il s'agit de ce qu'il aime.


Sources : La Fontaine suit la fable de Pilpay "De deux Amis"

Le sens de l'intimité privilégiée (ce n'est plus "un de ses meilleurs amis", mais "deux vrais amis", la secrète mélancolie ("Monomotapa" et "belle esclave" rejettent la scène dans un exotisme utopique) et le pénétrant lyrisme de la "moralité" n'appartiennent qu'à La Fontaine. (Marc Fumaroli, Fables, éd. La Pochothèque , p.894


(1) C'était un Royaume d'Afrique australe, peuplé de Cafres. L'éloignement confère cet aspect chimérique où tout est possible.
(2) S'abandonnait
(3) Effrayé, épouvanté
(4) Personnage de la mythologie grecque. Il endort les mortels qu'il effleure avec la tige d'une fleur de pavot et crée les rêves.
(5) Honnête honte
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Message par crodan00 Lun 12 Oct - 4:15

LES DEUX AVENTURIERS ET LE TALISMAN


Jean de la Fontaine - Page 2 Deavta10


Aucun chemin de fleurs ne conduit à la gloire.
Je n'en veux pour témoin qu'Hercule et ses travaux.
Ce dieu n'a guère de rivaux ;
J'en vois peu dans la fable, encor moins dans l'histoire.
En voici pourtant un, que de vieux talismans
Firent chercher fortune au pays des romans.
Il voyageait de compagnie.
Son camarade et lui trouvèrent un poteau
Ayant au haut cet écriteau :
Seigneur Aventurier, s'il te prend quelque envie
De voir ce que n'a vu nul Chevalier errant,
Tu n'as qu'à passer ce torrent ;
Puis, prenant dans tes bras un Éléphant de pierre
Que tu verras couché par terre,
Le porter, d'une haleine, au sommet de ce mont
Qui menace les cieux de son superbe front. "
L'un des deux chevaliers saigna du nez. (1) Si l'onde
Est rapide autant que profonde,
Dit-il, et supposé qu'on la puisse passer,
Pourquoi de l'Éléphant s'aller embarrasser ?
Quelle ridicule entreprise !
Le sage l'aura fait par tel art et de guise
Qu'on le pourra porter peut-être quatre pas :
Mais jusqu'au haut du mont, d'une haleine, il n'est pas
Au pouvoir d'un mortel ; à moins que la figure
Ne soit d'un Éléphant nain, pygmée, avorton,
Propre à mettre au bout d'un bâton :
Auquel cas, où l'honneur d'une telle aventure ?
On nous veut attraper dedans cette écriture ;
Ce sera quelque énigme à tromper un enfant :
C'est pourquoi je vous laisse avec votre Éléphant. "
Le raisonneur parti, l'aventureux se lance,
Les yeux clos, à travers cette eau.
Ni profondeur ni violence
Ne purent l'arrêter et selon l'écriteau
Il vit son Éléphant couché sur l'autre rive.
Il le prend, il l'emporte, au haut du mont arrive,
Rencontre une esplanade, et puis une cité.
Un cri par l'Éléphant est aussitôt jeté :
Le peuple aussitôt sort en armes.
Tout autre aventurier au bruit de ces alarmes
Aurait fui. Celui-ci loin de tourner le dos
Veut vendre au moins sa vie, et mourir en héros.
Il fut tout étonné d'ouïr cette cohorte
Le proclamer Monarque au lieu de son Roi mort.
Il ne se fit prier que de la bonne sorte,
Encor que le fardeau fût, dit-il, un peu fort.
Sixte en disait autant quand on le fit Saint-Père : (2)
(Serait-ce bien une misère
Que d'être Pape ou d'être Roi ?)
On reconnut bientôt son peu de bonne foi.
Fortune aveugle suit aveugle hardiesse.
Le sage quelquefois fait bien d'exécuter
Avant que de donner le temps à la sagesse
D'envisager le fait, et sans la consulter.


(1) Saigner du nez, c'est manquer à sa parole, ne pas tenir ce qu'on avait promis (Richelet). Actuellement : déclara forfait
(2) Félix Peretti, devenu pape sous le nom de Sixte-Quint, faignit au moment de son élection, d'être trop vieux et malade... Après son élection, il se débarrassa de ses béquilles et se montra plein de vigueur, d'énergie et de décision... (pape de 1585 à 1590)
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Message par crodan00 Mar 13 Oct - 4:17

Les deux Chèvres


Jean de la Fontaine - Page 2 Deuche10


Dès que les chèvres ont brouté,
Certain esprit de liberté
Leur fait chercher fortune : elles vont en voyage
Vers les endroits du pâturage
Les moins fréquentés des humains :
Là, s'il est quelque lieu sans route et sans chemins,
Un rocher, quelque mont pendant en précipices,
C'est où ces dames vont promener leurs caprices.
Rien ne peut arrêter cet animal grimpant.
Deux chèvres donc s'émancipant,
Toutes deux ayant patte blanche (1),
Quittèrent les bas prés, chacune de sa part.
L'une vers l'autre allait pour quelque bon hasard.
Un ruisseau se rencontre, et pour pont une planche.
Deux belettes à peine auraient passé de front
Sur ce pont ;
D'ailleurs, l'onde rapide et le ruisseau profond
Devaient faire trembler de peur ces amazones.
Malgré tant de dangers, l'une de ces personnes
Pose un pied sur la planche, et l'autre en fait autant.
Je m'imagine voir, avec Louis le Grand,
Philippe Quatre qui s'avance
Dans l'île de la Conférence (2).
Ainsi s'avançaient pas à pas,
Nez à nez, nos aventurières,
Qui toutes deux étant fort fières,
Vers le milieu du pont ne se voulurent pas
L'une à l'autre céder. Elles avaient la gloire
De compter dans leur race, à ce que dit l'histoire,
L'une certaine chèvre, au mérite sans pair,
Dont Polyphème fit présent à Galatée(3);
Et l'autre la chèvre Amalthée (4),
Par qui fut nourri Jupiter.
Faute de reculer, leur chute fut commune.
Toutes deux tombèrent dans l'eau.

Cet accident n'est pas nouveau
Dans le chemin de la fortune.


Cette fable a paru en février 1691 dans
"Le Mercure galant".
Le sujet a servi de thème latin au duc de Bourgogne.

L.F. a profondément modifié un récit de Pline l'Ancien
(écrivain latin, Ier siècle après J.C., qui périt au cours
de l'éruption du Vésuve), dans les "Histoires naturelles"
qui racontait l'histoire de deux chèvres se rencontrant
sur un pont étroit, l'une se couchant pour laisser passer
l'autre par-dessus son dos. Ici, L.F. substitue au récit
un exemple de la sottise humaine.
"Il se livre ainsi à la satire des chicanières querelles de
préséances qui, depuis le roi Louis XIV [...] jusqu'aux
moindres gentillâtres, en passant par les dames de la
Cour, les magistrats et les chanoines, occupaient
ardemment tous les ordres de la société française."
(M.Fumaroli, La Fontaine, fables)


(1) ce sont donc des chèvres de qualité
(2) l'île des Faisans sur la Bidassoa. C'est là que se
tinrent les conférences pour la paix des Pyrénées (lien sous le itre de la page), signée le 7 novembre 1659 et le mariage de Louis XIV avec l'infante Marie-Thérèse, célébré religieusement le 9 juin 1660 à Saint-Jean-de-Luz.
(3) allusion à l'amour du cyclope Polyphème pour la nymphe Galatée. L.F. en avait fait un opéra inachevé : Galatée
(M.Fumaroli)
(4) quand il fut caché en Crète par sa mère, la déesse
Rhée, pour le dérober à son père, Saturne (J.P. Collinet)
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Message par crodan00 Mer 14 Oct - 6:31

LES DEUX CHIENS ET L’ÂNE MORT


Jean de la Fontaine - Page 2 Dechan10

Jean de la Fontaine - Page 2 Dechan11


Les vertus devraient être sœurs,
Ainsi que les vices sont frères :
Dès que l'un de ceux-ci s'empare de nos cœurs,
Tous viennent à la file, il ne s'en manque guères :
J'entends de ceux qui n'étant pas contraires
Peuvent loger sous même toit.
A l'égard des vertus, rarement on les voit
Toutes en un sujet éminemment (1) placées
Se tenir par la main sans être dispersées.
L'un est vaillant, mais prompt (2); l'autre est prudent, mais froid.
Parmi les animaux le Chien se pique (3) d'être
Soigneux (4) et fidèle à son maître ;
Mais il est sot, il est gourmand :
Témoin ces deux Mâtins qui dans l'éloignement
Virent un Âne mort qui flottait sur les ondes.
Le vent de plus en plus l'éloignait de nos Chiens.
Ami, dit l'un, tes yeux sont meilleurs que les miens.
Porte un peu tes regards sur ces plaines profondes (5).
J'y crois voir quelque chose. Est-ce un Bœuf, un Cheval ?
Hé qu'importe quel animal ?
Dit l'un de ces Mâtins ; voilà toujours curée.
Le point est de l'avoir ; car le trajet est grand ;
Et de plus il nous faut nager contre le vent.
Buvons toute cette eau ; notre gorge altérée
En viendra bien à bout : ce corps demeurera
Bientôt à sec, et ce sera
Provision pour la semaine.
Voilà mes Chiens à boire ; ils perdirent l'haleine,
Et puis la vie ; ils firent tant
Qu'on les vit crever à l'instant.
L'homme est ainsi bâti (6) : Quand un sujet l'enflamme
L'impossibilité disparaît à son âme.
Combien fait-il de vœux, combien perd-il de pas ?
S'outrant (7) pour acquérir des biens ou de la gloire ?
Si j'arrondissais mes États !
Si je pouvais remplir mes coffres de ducats !
Si j'apprenais l'hébreu, les sciences, l'histoire !
Tout cela, c'est la mer à boire (Cool ;
Mais rien à l'homme ne suffit :
Pour fournir aux projets que forme un seul esprit
Il faudrait quatre corps ; encor loin d'y suffire
A mi-chemin je crois que tous demeureraient :
Quatre Mathusalems bout à bout ne pourraient
Mettre à fin ce qu'un seul désire.


Sources : Nevelet p. 258 : canes esurientes (origine : Esope, imité par Phèdre)

(1) au plus haut point
(2) qui se maet aisément en colère, qui s'emporte, téméraire, inconsidéré (Richelet)
(3) se flatte
(4) qui a soin de faire ce qui regarde son devoir. Exact à faire ce qu'il doit. (Richelet)
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Message par crodan00 Jeu 15 Oct - 5:29

LES DEUX COQS


Jean de la Fontaine - Page 2 Deucoq10

Deux Coqs vivaient en paix ; une Poule survint,
Et voilà la guerre allumée.
Amour, tu perdis Troie (1) ; et c'est de toi que vint
Cette querelle envenimée,
Où du sang des Dieux même on vit le Xanthe (2) teint.
Longtemps entre nos Coqs le combat se maintint :
Le bruit s'en répandit par tout le voisinage.
La gent qui porte crête au spectacle accourut.
Plus d'une Hélène au beau plumage
Fut le prix du vainqueur ; le vaincu disparut.
Il alla se cacher au fond de sa retraite,
Pleura sa gloire et ses amours,
Ses amours qu'un rival tout fier de sa défaite
Possédait à ses yeux. Il voyait tous les jours
Cet objet rallumer sa haine et son courage.
Il aiguisait son bec, battait l'air et ses flancs,
Et s'exerçant contre les vents
S'armait d'une jalouse rage.
Il n'en eut pas besoin. Son vainqueur sur les toits
S'alla percher, et chanter sa victoire.
Un Vautour entendit sa voix :
Adieu les amours et la gloire.
Tout cet orgueil périt sous l'ongle du Vautour.
Enfin par un fatal retour
Son rival autour de la Poule
S'en revint faire le coquet : (3)
Je laisse à penser quel caquet,
Car il eut des femmes en foule.
La Fortune se plaît à faire de ces coups ;
Tout vainqueur insolent à sa perte travaille.
Défions-nous du sort, et prenons garde à nous
Après le gain d'une bataille.



Source : version en français dans Millot, fable 145 : Les coqs (La Fontaine, fables, M. Fumaroli, éd. La Pochothèque)


Le burlesque est le résultat d'un contraste entre la bassesse du sujet et l'emphase des termes employés.
(1) la guerre de Troie fut causée par l'enlèvement d'Hélène par Pâris
(2) le fleuve Scamandre de la plaine de Troie, où les Grecs et les Troyens se livrèrent combat (dans l'Iliade).
(3) le galant (jeu de mots sur l'étymologie de coquet : petit coq )
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Message par crodan00 Ven 16 Oct - 4:14

LES DEUX MULETS (*)


Jean de la Fontaine - Page 2 Deumul10


Deux Mulets cheminaient (1) ; l'un d'avoine chargé ;
L'autre portant l'argent de la gabelle (2).
Celui-ci, glorieux d'une charge si belle,
N'eût voulu pour beaucoup (3) en être soulagé.
Il marchait d'un pas relevé (4),
Et faisait sonner sa sonnette ;
Quand, l'ennemi se présentant,
Comme il en voulait à l'argent,
Sur le Mulet du fisc (5) une troupe se jette,
Le saisit au frein, et l'arrête.
Le Mulet, en se défendant,
Se sent percé de coups, il gémit, il soupire :
Est-ce donc là, dit-il, ce qu'on m'avait promis ?
Ce Mulet qui me suit du danger se retire (6) ;
Et moi j'y tombe, et je péris.
Ami, lui dit son camarade,
Il n'est pas toujours bon d'avoir un haut emploi :
Si tu n'avais servi qu'un Meunier, comme moi,
Tu ne serais pas si malade.


(*)source : Phèdre II,7 : "Les deux mulets"
Dans la traduction de Sacy (1647) , on lit :
"Deux mulets chargés chacun d'un pesant fardeau
marchaient ensemble dans un même chemin. L'un portait
des sacs d'argent, l'autre d'orge. [...] Celui donc qui
avait été volé déplorant son malheur, l'autre lui dit :
" Certes je me réjouis du mépris qu'on a fait de moi,
puisque je n'ai rien perdu, et que je n'ai pas été blessé."

(1) faisaient chemin ensemble
(2) Impôt sur le sel
(3) même en étant payé très cher
(4) en élevant haut le pied et fièrement
(5) Trésor public
(6) se tire du danger
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Message par crodan00 Lun 19 Oct - 4:45

LES DEUX PERROQUETS, LE ROI ET SON FILS


Jean de la Fontaine - Page 2 Depero10


Deux Perroquets, l'un père et l'autre fils,
Du rôt (1) d'un Roi faisaient leur ordinaire.
Deux demi-dieux, l'un fils et l'autre père,
De ces Oiseaux faisaient leurs favoris.
L'âge liait une amitié sincère
Entre ces gens : les deux pères s'aimaient ;
Les deux enfants, malgré leur cœur frivole,
L'un avec l'autre aussi s'accoutumaient,
Nourris ensemble, et compagnons d'école.
C'était beaucoup d'honneur au jeune Perroquet ;
Car l'enfant était Prince, et son père Monarque.
Par le tempérament que lui donna la parque, (2)
Il aimait les oiseaux. Un Moineau fort coquet,
Et le plus amoureux de toute la Province,
Faisait aussi sa part des délices du Prince.
Ces deux rivaux un jour ensemble se jouants, (3)
Comme il arrive aux jeunes gens,
Le jeu devint une querelle.
Le Passereau, peu circonspec, (4)
S'attira de tels coups de bec,
Que demi-mort et traînant l'aile,
On crut qu'il n'en pourrait guérir.
Le Prince indigné fit mourir
Son Perroquet. Le bruit en vint au père.
L'infortuné vieillard crie et se désespère,
Le tout en vain ; ses cris sont superflus :
L'Oiseau parleur est déjà dans la barque ; (5)
Pour dire mieux, l'Oiseau ne parlant plus
Fait qu'en fureur sur le fils du Monarque
Son père s'en va fondre, et lui crève les yeux.
Il se sauve aussitôt, et choisit pour asile
Le haut d'un pin. Là dans le sein des Dieux (6)
Il goûte sa vengeance en lieu sûr et tranquille.
Le Roi lui-même y court, et dit pour l'attirer :
Ami, reviens chez moi : que nous sert de pleurer ?
Haine, vengeance, et deuil, laissons tout à la porte.
Je suis contraint de déclarer,
Encor que ma douleur soit forte,
Que le tort vient de nous : mon fils fut l'agresseur.
Mon fils ! non. C'est le sort qui du coup est l'auteur.
La Parque avait écrit de tout temps en son livre
Que l'un de nos enfants devait cesser de vivre,
L'autre de voir, par ce malheur.
Consolons-nous tous deux, et reviens dans ta cage.
Le Perroquet dit : Sire Roi,
Crois-tu qu'après un tel outrage
Je me doive fier à toi ?
Tu m'allègues le sort : prétends-tu par ta foi (7)
Me leurrer de l'appât d'un profane (Cool langage ?
Mais que la Providence ou bien que le Destin
Règle les affaires du monde,
Il est écrit là-haut qu'au faîte de ce pin
Ou dans quelque forêt profonde,
J'achèverai mes jours loin du fatal objet (9)
Qui doit t'être un juste sujet
De haine et de fureur. Je sais que la vengeance
Est un morceau de Roi, car vous vivez en Dieux.
Tu veux oublier cette offense :
Je le crois : cependant il me faut pour le mieux
Éviter ta main et tes yeux.
Sire Roi mon ami, va-t'en, tu perds ta peine ;
Ne me parle point de retour :
L'absence est aussi bien un remède à la haine
Qu'un appareil contre l'amour.



Le Specimen sapientiae Indorum veterum du père Poussines publié à Rome en 1666, (d’après Le Livre de Calila et Dimna, issu des milieux brahmaniques de l’Inde (années 300 de notre ère) connu sous une recension nommée Panchatantra, circulant ensuite en Iran , puis finalement traduit en arabe vers le milieu du VIIIe siècle par Ibn al-Muqaffa.)
Deux perroquets : le père et son fils
Deux êtres humains : le roi et son fils
Le fils du perroquet, qui avait plus que malmené un moineau est tué par le fils du roi ,
terrible vengeance (ce n'est pourtant pas la vendetta) : le père perroquet crève les yeux du fils du roi !
Finalement, le perroquet ne se fie pas à la parole du roi qui proposait l'oubli des événements.
La moralité est bien là : Le sage, lorsque l'opportunité est là, se doit de la saisir et de prendre le large
(Il me faut pour le mieux Éviter ta main et tes yeux.).

(1) repas
(2) le destin
(3) accord du participe présent à l'époque
(4) pour la rime, avec "bec"
(5) la barque de Charon (de la mort)
(6) dans les airs
(7) promesse
(Cool impie
(9) le prince auquel j'ai crevé les yeux
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Message par crodan00 Mar 20 Oct - 6:15

LES DEUX PIGEONS


Jean de la Fontaine - Page 2 Deupig10


Deux Pigeons s'aimaient d'amour tendre.
L'un d'eux s'ennuyant au logis
Fut assez fou pour entreprendre
Un voyage en lointain pays.
L'autre lui dit : Qu'allez-vous faire ?
Voulez-vous quitter votre frère ?
L'absence est le plus grand des maux :
Non pas pour vous, cruel. Au moins que les travaux,
Les dangers, les soins du voyage,
Changent un peu votre courage. (1)
Encore si la saison s'avançait davantage !
Attendez les zéphyrs : qui(2) vous presse? Un Corbeau
Tout à l'heure annonçait malheur à quelque Oiseau.
Je ne songerai(3) plus que rencontre funeste,
Que Faucons, que réseaux (4). Hélas, dirai-je, il pleut :
Mon frère a-t-il tout ce qu'il veut,
Bon soupé, bon gîte, et le reste ?
Ce discours ébranla le coeur
De notre imprudent voyageur ;
Mais le désir de voir et l'humeur inquiète
L'emportèrent enfin. Il dit : Ne pleurez point :
Trois jours au plus rendront mon âme satisfaite ;
Je reviendrai dans peu conter de point en point
Mes aventures à mon frère.
Je le désennuierai :quiconque ne voit guère
N'a guère à dire aussi(5). Mon voyage dépeint (6)
Vous sera d'un plaisir extrême.
Je dirai : J'étais là ; telle chose m'avint(7) ;
Vous y croirez être vous-même.
A ces mots en pleurant ils se dirent adieu.
Le voyageur s'éloigne ; et voilà qu'un nuage
L'oblige de chercher retraite en quelque lieu.
Un seul arbre s'offrit, tel encor que l'orage
Maltraita le Pigeon en dépit du feuillage.
L'air devenu serein, il part tout morfondu,
Sèche du mieux qu'il peut son corps chargé de pluie,
Dans un champ à l'écart voit du blé répandu,
Voit un Pigeon auprès : cela lui donne envie :
Il y vole, il est pris : ce blé couvrait d'un las (8 )
Les menteurs et traîtres appas.
Le las était usé : si bien que de son aile,
De ses pieds, de son bec, l'oiseau le rompt enfin.
Quelque plume y périt : et le pis du destin
Fut qu'un certain vautour à la serre cruelle,
Vit notre malheureux qui, traînant la ficelle
Et les morceaux du las qui l'avaient attrapé,
Semblait un forçat échappé.
Le Vautour s'en allait le lier(9), quand des nues
Fond à son tour un aigle aux ailes étendues.
Le Pigeon profita du conflit des voleurs,
S'envola, s'abattit auprès d'une masure,
Crut, pour ce coup, que ses malheurs
Finiraient par cette aventure ;
Mais un fripon d'enfant, cet âge est sans pitié
Prit sa fronde, et, du coup, tua plus d'à moitié
La Volatile (10) malheureuse,
Qui, maudissant sa curiosité,
Traînant l'aile et tirant le pié,
Demi-morte et demi-boiteuse,
Droit au logis s'en retourna :
Que bien, que mal elle arriva
Sans autre aventure fâcheuse.
Voilà nos gens rejoints ; et je laisse à juger
De combien de plaisirs ils payèrent leurs peines.
Amants, heureux amants , voulez-vous voyager?
Que ce soit aux rives prochaines ;
Soyez-vous l'un à l'autre un monde toujours beau,
Toujours divers, toujours nouveau ;
Tenez-vous lieu de tout, comptez pour rien le reste.
J'ai quelquefois(11) aimé : je n'aurais pas alors
Contre le Louvre et ses trésors,
Contre le firmament et sa voûte céleste,
Changé les bois, changé les lieux
Honorés par les pas, éclairés par les yeux
De l'aimable et jeune bergère
Pour qui, sous le fils de Cythère (12),
Je servis, engagé par mes premiers serments.
Hélas! Quand reviendront de semblables moments?
Faut-il que tant d'objets si doux et si charmants
Me laissent vivre au gré de mon âme inquiète?
Ah! si mon coeur osait encor se renflammer!
Ne sentirai-je plus de charme qui m'arrête?
Ai-je passé le temps d'aimer?(13)


Les sources de cette fable sont dans le "Livre des Lumières" de Pilpay et reprennent en les concentrant, les mésaventures du pigeon volage "l'Aimé". La Fontaine y ajoute un commentaire personnel
Au XVIIème, on ne distingue pas toujours pigeons de colombes. Leur rôle est important dans la poésie galante. Mme de Sévigné écrit "la tourterelle Sablière" lorsqu"elle évoque les amours de Mme de La Sablière avec La Fare, dans sa correspondance avec sa fille.
Ici, les 2 pigeons sont des amis "Voulez-vous quitter votre frère ?" .


(1) que les peines, les tracas, les dangers changent votre coeur
(2) attendez le printemps, qu'est-ce qui vous presse?
(3) je ne verrai plus en rêve (songe) que...
(4) filet
(5) non plus
(6) le voyage que je vous décrirai
(7) m'arriva
(8 ) ce piège doit être la reginglette, évoquée dans la fable "l'hirondelle et les petits oiseaux" et doit être un collet, monté au bout d'une branchette qui fait ressort, et en se détendant, en reginglant, serre le lacet. Apparemment, ce mot est un mot de Château-Thierry, non connu des oiseliers de Paris (d'après Richelet)
(9) le maintenir dans ses serres
(10) se dit en général de tous les oiseaux (Furetière)
(11) une fois : sens archaïque
(12) le fils de Cythère est l'Amour. Cythère désigne parfois l'île, parfois la déesse Vénus
(13) La Fontaine publie cette fable à 68 ans
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Message par crodan00 Mer 21 Oct - 5:46

LES DEUX RATS, LE RENARD ET L'OEUF


Jean de la Fontaine - Page 2 Deurae10


Deux Rats cherchaient leur vie ; ils trouvèrent un Oeuf.
(180) Le dîné suffisait à gens de cette espèce !
Il n'était pas besoin qu'ils trouvassent un Boeuf.
Pleins d'appétit, et d'allégresse,
Ils allaient de leur oeuf manger chacun sa part,
Quand un Quidam (1) parut. C'était maître Renard ;
Rencontre incommode et fâcheuse.
Car comment sauver l'Oeuf ? Le bien empaqueter,
Puis des pieds de devant ensemble le porter,
Ou le rouler, ou le traîner,
C'était chose impossible autant que hasardeuse.
(190) Nécessité l'ingénieuse
Leur fournit une invention.
Comme ils pouvaient gagner leur habitation,
L'écornifleur (2) étant à demi-quart de lieue,
L'un se mit sur le dos, prit l'Oeuf entre ses bras,
Puis, malgré quelques heurts, et quelques mauvais pas,
L'autre le traîna par la queue.
Qu'on m'aille soutenir après un tel récit,
Que les bêtes n'ont point d'esprit.
Pour moi si j'en étais le maître,
(200) Je leur en donnerais aussi bien qu'aux enfants.
Ceux-ci pensent-ils pas dès leurs plus jeunes ans ?
Quelqu'un peut donc penser ne se pouvant connaître.
Par un exemple tout égal,
J'attribuerais à l'animal
Non point une raison selon notre manière,
Mais beaucoup plus aussi qu'un aveugle ressort :
Je subtiliserais (3) un morceau de matière,
Que l'on ne pourrait plus concevoir sans effort,
Quintessence d'atome, extrait de la lumière,
(210) Je ne sais quoi plus vif et plus mobile encor
Que le feu : car enfin, si le bois fait la flamme,
La flamme en s'épurant peut-elle pas de l'âme
Nous donner quelque idée, et sort-il pas de l'or
Des entrailles du plomb ? Je rendrais mon ouvrage
Capable de sentir, juger, rien davantage,
Et juger imparfaitement,
Sans qu'un Singe jamais fit le moindre argument.
A l'égard de nous autres hommes,
Je ferais notre lot infiniment plus fort :
(220) Nous aurions un double trésor ;
L'un cette âme pareille en tout-tant que nous sommes,
Sages, fous, enfants, idiots,
Hôtes de l'univers, sous le nom d'animaux ;
L'autre encore une autre âme, entre nous et les anges
Commune en un certain degré
Et ce trésor à part créé
Suivrait parmi les airs les célestes phalanges,
Entrerait dans un point sans en être pressé,
Ne finirait jamais quoique ayant commencé :
(230) Choses réelles quoique étranges.
Tant que l'enfance durerait,
Cette fille du Ciel en nous ne paraîtrait
Qu'une tendre et faible lumière ;
L'organe étant plus fort, la raison percerait
Les ténèbres de la matière,
Qui toujours envelopperait
L'autre âme imparfaite et grossière.



Cette fable termine le Discours à Madame de La Sablière, qui débute lui-même par un vibrant hommage à sa protectrice qu'il admire et tient en profonde et tendre amitié. Cet hommage est suivi de 4 récits relatant la ruse du cerf, celle de la perdrix, l'ingéniosité des castors, la stratégie des boubacks, où La Fontaine démontre chez les animaux une forme d'ingéniosité si on ne veut l'appeler intelligence, peut-être fondée sur la mémoire. La fable présentée ici va beaucoup plus loin dans la réfutation de la théorie de Descartes sur les "animaux-machines" en prouvant ici une aptitude à raisonner et une capacité à inventer....Les bêtes auraient en commun avec l'homme la forme corporelle de l'âme, mais pas l'autre, la forme incorporelle, qui n'appartiendrait qu'à l'homme... La Fontaine rejoint ici la doctrine de Gassendi....

(1) mot assez burlesque ici, un certain...
(2) écornifler : aller dîner chez autrui sans y être invité, par un esprid de goinfrerie ou d'épargne (Furetière)
(3) rendre subtil, au propre et au figuré...subtil
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Message par crodan00 Jeu 22 Oct - 5:27

LES DEUX TAUREAUX ET UNE GRENOUILLE (*)


Jean de la Fontaine - Page 2 Deutau10


Deux Taureaux combattaient à qui posséderait
Une Génisse avec l'empire.
Une Grenouille en soupirait.
Qu'avez-vous? se mit à lui dire
Quelqu'un du peuple croassant (1).
Et ne voyez-vous pas, dit-elle,
Que la fin de cette querelle
Sera l'exil de l'un ; que l'autre le chassant
Le fera renoncer aux campagnes fleuries ?
Il ne régnera plus sur l'herbe des prairies,
Viendra dans nos marais régner sur les roseaux,
Et nous foulant aux pieds jusques au fond des eaux,
Tantôt l'une, et puis l'autre, il faudra qu'on pâtisse
Du combat qu'a causé Madame la Génisse.

Cette crainte était de bon sens ;
L'un des Taureaux en leur demeure
S'alla cacher à leurs dépens ;
Il en écrasait vingt par heure.
Hélas, on voit que de tout temps
Les petits ont pâti des sottises des grands.


(*) Source : Phèdre : livre I, 30, la fable figure dans le recueil de Nevelet. Dans celui de Sacy, la maxime a pour titre : "Les maux publics retombent sur le peuple".

(1) comme chacun le sait : la grenouille coasse, et c'était déjà comme cela au XVIIème siècle. Est-ce une erreur de La Fontaine ?
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Message par crodan00 Ven 23 Oct - 5:14

Les Devineresses


Jean de la Fontaine - Page 2 Devine10


C'est souvent du hasard que naît l'opinion ;
Et c'est l'opinion qui fait toujours la vogue.
Je pourrais fonder ce prologue
Sur gens de tous états ; tout est prévention,
Cabale, entêtement (1), point ou peu de justice :
C'est un torrent ; qu'y faire ? Il faut qu'il ait son cours.
Cela fut et sera toujours.
Une femme à Paris faisait la Pythonisse.(2)
On l'allait consulter sur chaque événement :
Perdait-on un chiffon, avait-on un amant,
Un mari vivant trop, au gré de son épouse,
Une mère fâcheuse, une femme jalouse ;
Chez la Devineuse on courait,
Pour se faire annoncer ce que l'on désirait.
Son fait consistait en adresse.
Quelques termes de l'art, beaucoup de hardiesse,
Du hasard quelquefois, tout cela concourait :
Tout cela bien souvent faisait crier miracle.
Enfin, quoique ignorante à vingt et trois carats,
Elle passait pour un oracle.
L'oracle était logé dedans un galetas.
Là cette femme emplit sa bourse,
Et sans avoir d'autre ressource,
Gagne de quoi donner un rang à son mari :
Elle achète un office, une maison aussi.
Voilà le galetas rempli
D'une nouvelle hôtesse, à qui toute la ville,
Femmes, filles, valets, gros messieurs, tout enfin,
Allait comme autrefois demander son destin :
Le galetas devint l'antre de la Sibylle. (3)
L'autre femelle avait achalandé (4) ce lieu.
Cette dernière femme eut beau faire, eut beau dire,
Moi devine ! on se moque ; Eh messieurs, sais-je lire?
Je n'ai jamais appris que ma croix de par Dieu.
Point de raison ; fallut deviner et prédire,
Mettre à part force bons ducats,
Et gagner malgré soi plus que deux Avocats.
Le meuble et l'équipage (5) aidaient fort à la chose :
Quatre sièges boiteux, un manche de balai,
Tout sentait son sabbat et sa métamorphose :
Quand cette femme aurait dit vrai
Dans une chambre tapissée,
On s'en serait moqué ; la vogue était passée
Au galetas ; il avait le crédit :
L'autre femme se morfondit.
L'enseigne fait la chalandise.
J'ai vu dans le Palais une robe mal mise
Gagner gros : les gens l'avaient prise
Pour maître tel, qui traînait après soi
Force écoutants (6) ; demandez-moi pourquoi.


La trame de cette fable a peut-être pour origine le contexte de l'époque, le procès de la Brinvilliers (1676), la foule de devineresses et la crédulité de leur clientèle. Après la parution de la fable, le procès de la Voisin (1679-1680) qui mit en cause Mme de Montespan et provoqua l'exil de la duchesse de Bouillon protectrice de La Fontaine, montra la profondeur du mal.

(1) engouement
(2) femme qui prédit l'avenir (expression ironique)
(3) prophétesse
(4) l'avait enrichi en clientèle
(5) tous les biens
(6) les avocats qui écoutent mais ne plaident pas
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Message par crodan00 Lun 26 Oct - 5:47

LES DIEUX VOULANT INSTRUIRE UN FILS DE JUPITER

Pour Monseigneur le Duc du Maine*


Jean de la Fontaine - Page 2 Dieuju10


Jupiter eut un fils, qui, se sentant du lieu
Dont il tirait son origine
Avait l'âme toute divine.
L'enfance n'aime rien : celle (1) du jeune Dieu
Faisait sa principale affaire
Des doux soins d'aimer et de plaire.
En lui l'amour et la raison
Devancèrent le temps, dont les ailes légères
N'amènent que trop tôt, hélas ! chaque saison.
Flore (2) aux regards riants, aux charmantes manières,
Toucha d'abord le cœur du jeune Olympien.
Ce que la passion peut inspirer d'adresse,
Sentiments délicats et remplis de tendresse,
Pleurs, soupirs, tout en fut : bref, il n'oublia rien.
Le fils de Jupiter devait, par sa naissance,
Avoir un autre esprit, et d'autres dons des Cieux :
Que les enfants des autres Dieux :
Il semblait qu'il n'agît que par réminiscence,
Et qu'il eût autrefois fait le métier d'amant,
Tant il le fit parfaitement !
Jupiter cependant voulut le faire instruire.
Il assembla les Dieux, et dit : J'ai su conduire
Seul et sans compagnon jusqu'ici l'univers ;
Mais il est des emplois divers
Qu'aux nouveaux Dieux je distribue.
Sur cet enfant chéri j'ai donc jeté la vue.
C'est mon sang : tout est plein déjà de ses autels.
Afin de mériter le rang des immortels,
Il faut qu'il sache tout. Le maître du tonnerre
Eut à peine achevé, que chacun applaudit.
Pour savoir tout, l'enfant n'avait que trop d'esprit.
Je veux, dit le Dieu de la guerre,
Lui montrer moi-même cet art
Par qui maints Héros ont eu part
Aux honneurs de l'Olympe, et grossi cet empire.
Je serai son maître de lyre,
Dit le blond et docte Apollon.
Et moi, reprit Hercule à la peau de Lion,
Son maître à surmonter les vices,
A dompter les transports, (3) monstres empoisonneurs,
Comme Hydres renaissants sans cesse dans les cœurs :
Ennemi des molles délices,
Il apprendra de moi les sentiers peu battus
Qui mènent aux honneurs sur les pas des vertus.
Quand ce vint au dieu de Cythère, (5)
Il dit qu'il lui montrerait tout.
L'Amour avait raison : de quoi ne vient à bout
L'esprit joint au désir de plaire ?


* Cette fables est dédicacée au Duc du Maine, fils légitimé de Louis XIV et de Mme de Montespan. Il avait 9 ans lorsque la fable fut imprimée. L'allégorie servant de sujet à cette fable remonte au Banquet de Platon et reprend l'idée que le rôle primordial dans l'initiation à toute connaissance est l'amour...Cet enfant était réputé pour avoir une intelligence très précoce.

(1) au contraire...l'anfance du jeune...
(2) probablement Madame de Montespan, le jeune duc était certainement amoureux de sa mère.
(3) les élans de la passion
(5) l'Amour, fils de Vénus.
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Message par crodan00 Mar 27 Oct - 6:29

LA DISCORDE (*)


Jean de la Fontaine - Page 2 Discor10


La déesse Discorde ayant brouillé les Dieux,
Et fait un grand procès là-haut pour une pomme, (1)
On la fit déloger des Cieux.
Chez l'Animal qu'on appelle Homme
On la reçut à bras ouverts,
Elle et Que-si-Que-non (2), son frère,
Avecque Tien-et-Mien (3), son père.
Elle nous fit l'honneur en ce bas univers
De préférer notre hémisphère
A celui des mortels qui nous sont opposés (4),
Gens grossiers, peu civilisés,
Et qui, se mariant sans prêtre et sans notaire,
De la Discorde n'ont que faire.
Pour la faire trouver aux lieux où le besoin
Demandait qu'elle fût présente,
La Renommée avait le soin
De l'avertir; et l'autre, diligente,
Courait vite aux débats et prévenait (5) la paix,
Faisait d'une étincelle un feu long à s'éteindre.
La Renommée enfin commença de se plaindre
Que l'on ne lui trouvait jamais
De demeure fixe et certaine;
Bien souvent l'on perdait à la chercher sa peine.
Il fallait donc qu'elle eût un séjour affecté,
Un séjour d'où l'on pût en toutes les familles
L'envoyer à jour arrêté.
Comme il n'était alors aucun couvent de filles,
On y trouva difficulté.
L'auberge enfin de l'Hyménée
Lui fut pour maison assignée.


(*) Source : Emblème de Corrozet :
Lorsque Discorde eu été expulsée
Des cieux luisants par le dieu Jupiter,
Et qu'il la fit en bas précipiter,
La guerre fut en terre commencée...

(1) Allusion au jugement de Paris. Le berger Paris donna le prix de beauté : une pomme, à Vénus, ce qui provoqua la haine de Junon et de Minerve...et eut pour suite la guerre de Troie. Le ton des premiers vers relève du burlesque !
(2) l'esprit de contradiction
(3) le sens de la propriété qui conduit à la chicane ...
(4) qui sont aux antipodes
(5) devançait
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Message par crodan00 Mer 28 Oct - 5:40

DISCOURS À M. LE DUC DE LA ROCHEFOUCAULD


Jean de la Fontaine - Page 2 Lapins10


Je me suis souvent dit, voyant de quelle sorte
L'homme agit, et qu'il se comporte
En mille occasions comme les animaux :
Le Roi de ces gens-là (1) n'a pas moins de défauts
Que ses sujets, et la nature
A mis dans chaque créature
Quelque grain d'une masse où puisent les esprits ;
J'entends les esprits corps, et pétris de matière. "
Je vais prouver ce que je dis.
A l'heure de l'affût, soit lorsque la lumière
Précipite ses traits dans l'humide séjour,
Soit lorsque le soleil rentre dans sa carrière,
Et que, n'étant plus nuit, il n'est pas encor jour,
Au bord de quelque bois sur un arbre je grimpe, (2)
Et, nouveau Jupiter, du haut de cet Olympe,
Je foudroie, à discrétion,
Un lapin qui n'y pensait guère.
Je vois fuir aussitôt toute la nation
Des lapins, qui, sur la bruyère,
L'œil éveillé, l'oreille au guet,
S'égayaient, et de thym parfumaient leur banquet.
Le bruit du coup fait que la bande
S'en va chercher sa sûreté
Dans la souterraine cité :
Mais le danger s'oublie, et cette peur si grande
S'évanouit bientôt. Je revois les lapins,
Plus gais qu'auparavant, revenir sous mes mains.
Ne reconnaît-on pas en cela les humains ?
Dispersés par quelque orage,
A peine ils touchent le port
Qu'ils vont hasarder (3)encor
Même vent, même naufrage ;
Vrais lapins, on les revoit
Sous les mains de la fortune.
Joignons à cet exemple une chose commune.
Quand des chiens étrangers passent par quelque endroit,
Qui n'est pas de leur détroit (4),
Je laisse à penser quelle fête.
Les chiens du lieu, n'ayant en tête
Qu'un intérêt de gueule, à cris, à coups de dents,
Vous accompagnent ces passants
Jusqu'aux confins du territoire.
Un intérêt de biens, de grandeur, et de gloire (5),
Aux gouverneurs d'Etats, à certains courtisans,
A gens de tous métiers, en fait tout autant faire.
On nous voit tous, pour l'ordinaire,
Piller le survenant, nous jeter sur sa peau.
La coquette et l'auteur sont de ce caractère ;
Malheur à l'écrivain nouveau !
Le moins de gens qu'on peut à l'entour du gâteau,
C'est le droit du jeu (6), c'est l'affaire (7).
Cent exemples pourraient appuyer mon discours ;
Mais les ouvrages les plus courts
Sont toujours les meilleurs. En cela, j'ai pour guides
Tous les maîtres de l'art, et tiens qu'il faut laisser
Dans les plus beaux sujets quelque chose à penser :
Ainsi ce discours doit cesser.
Vous qui m'avez donné ce qu'il a de solide,
Et dont la modestie égale la grandeur,
Qui ne pûtes jamais écouter sans pudeur (Cool
La louange la plus permise,
La plus juste et la mieux acquise,
Vous enfin, dont à peine ai-je encore obtenu
Que votre nom reçût ici quelques hommages,
Du temps et des censeurs défendant mes ouvrages,
Comme un nom qui, des ans et des peuples connu,
Fait honneur à la France, en grands noms plus féconde
Qu'aucun climat de l'univers,
Permettez-moi du moins d'apprendre à tout le monde
Que vous m'avez donné le sujet de ces vers.


C'est à partir de 1709 que les éditeurs ont parfois appelé cette fable "Les Lapins".
La Fontaine, enchanté par "le Livre des Maximes" avait déjà dédicacé la fable "l'homme et son image" à son auteur M. de La Rochefoucauld...
Une étude "Du rapport des hommes avec les animaux" figure dans les Réflexions diverses de La Rochefoucauld, et les lapins sont invoqués pour justifier ce rapport. Or les deux hommes partagent les mêmes réflexions. La Fontaine a certainement connu l'ouvrage de La Rochefoucauld.
M. Fumaroli (La Fontaine, Fables) écrit : On pourrait supposer qu'il s'agit d'une immense amplification d'un passage de la réflexion XI où La Rochefoucauld évoque "les lapins qui s'épouvantent et se rassurent en un moment"

(1) des hommes
(2) La Fontaine chassait sur les terres du prince de Condé, avec l'autorisation de son intendant
(3) braver
(4) district
(5) vanité
(6) c'est l'odrre, c'est l'usage
(7) c'est l'occupation essentielle
(Cool honnêteté, honte
(9) allusion à la vieille noblesse de La Rochefoucauld
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Message par crodan00 Jeu 29 Oct - 6:09

LE DRAGON À PLUSIEURS TÊTES
ET LE DRAGON À PLUSIEURS QUEUES (*)

Jean de la Fontaine - Page 2 Dragte10

Un Envoyé du Grand Seigneur
Préférait, dit l'Histoire, un jour chez l'Empereur
Les forces de son maître à celles de l'Empire.
Un Allemand se mit à dire :
Notre prince a des dépendants (1)
Qui, de leur chef (2) sont si puissants
Que chacun d'eux pourrait soudoyer une armée.
Le Chiaoux, homme de sens,
Lui dit : Je sais par renommée
Ce que chaque Électeur peut de monde fournir ;
Et cela me fait souvenir
D'une aventure étrange, et qui pourtant est vraie.
J'étais en un lieu sûr, lorsque je vis passer
Les cent têtes d'une Hydre au travers d'une haie :
Mon sang commence à se glacer ;
Et je crois qu'à moins on s'effraie.
Je n'en eus toutefois que la peur sans le mal.
Jamais le corps de l'animal
Ne put venir vers moi, ni trouver d'ouverture.
Je rêvais à cette aventure,
Quand un autre Dragon, qui n'avait qu'un seul chef (3)
Et bien plus qu'une queue, à passer se présente.
Me voilà saisi derechef (4)
D'étonnement et d'épouvante.
Ce chef (3) passe, et le corps, et chaque queue aussi :
Rien ne les empêcha ; l'un fit chemin à l'autre.
Je soutiens qu'il en est ainsi
De votre Empereur et du nôtre.


Avant de lire la fable, certaines explications sont peut-être nécessaires :

- Le "Grand Seigneur" est le sultan des Turcs
- "l'Empereur" est le titre du souverain d'Allemagne
- le "Chiaoux", ici, est l'officier du gouvernement turc, envoyé comme ambassadeur.

(*)La source de cette fable a été trouvée par
Jacqueline Plantié ("Revue d'histoire littéraire de la France," Juillet-Août 1984) dans un recueil de Louis Garon, paru en 1628. L'apologue était destiné à montrer la désunion des princes chrétiens (une bête avec beaucoup de têtes et de queues, qui ne parvenait pas à traverser une haie parce que les têtes cherchaient chacune un trou à part, et de ce fait était bloquée) et la puissane des Turcs, unis (une bête à une seule tête et plusieurs queues qui passait partout lorsque l'animal fourrait sa tête par un trou ).
" Le voisinage de la fable "Les Voleurs et l'Âne", outre le fait que la fable est contée par un Turc à un Allemand, invite à la rapporter aux conflits d'Europe centrale.[...] D'autre part, [...] La Fontaine sait que le roi va être en conflit avec la Triple Alliance (Hollande, Angleterre, Suède), peut-être avec l'Empereur."
(L.F. , fables, éd. de G. Couton, Garnier)


(1) des vassaux
(2) par eux-mêmes
(3) tête
(4) de nouveau
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Message par crodan00 Ven 30 Oct - 6:56

L’ÉCOLIER, LE PÉDANT (1) ET LE MAÎTRE D’UN JARDIN


Jean de la Fontaine - Page 2 Ecolpe11


Certain enfant qui sentait son collège,
Doublement sot et doublement fripon,
Par le jeune âge, et par le privilège
Qu'ont les Pédants de gâter (2) la raison,
Chez un voisin dérobait, ce dit-on,
Et fleurs et fruits. Ce voisin, en automne,
Des plus beaux dons que nous offre Pomone (3)
Avait la fleur, les autres le rebut.
Chaque saison apportait son tribut :
Car au printemps il jouissait encore
Des plus beaux dons que nous présente Flore.(4)
Un jour dans son jardin il vit notre Ecolier
Qui grimpant sans égard sur un arbre fruitier,
Gâtait jusqu'aux boutons, douce et frêle espérance,
Avant-coureurs des biens que promet l'abondance.
Même il ébranchait l'arbre, et fit tant à la fin
Que le possesseur du jardin
Envoya faire plainte au Maître de la classe.
Celui-ci vint suivi d'un cortège d'enfants.
Voilà le verger plein de gens
Pires que le premier. Le Pédant, de sa grâce,
Accrut le mal en amenant
Cette jeunesse mal instruite (5) :
Le tout, à ce qu'il dit, pour faire un châtiment
Qui pût servir d'exemple, et dont toute sa suite
Se souvînt à jamais comme d'une leçon.
Là-dessus il cita Virgile et Cicéron,
Avec force traits de science.
Son discours dura tant que la maudite engeance
Eut le temps de gâter en cent lieux le jardin.
Je hais les pièces d'éloquence
Hors de leur place, et qui n'ont point de fin ;
Et ne sais bête au monde pire
Que l'Ecolier, si ce n'est le Pédant.
Le meilleur de ces deux pour voisin, à vrai dire,
Ne me plairait aucunement.


Les rôles de l'écolier et du Magister ont évolué (cf : L'Enfant et le Maître d'école
L'enfant a grandi, ...La Fontaine ne doit pas avoir un bon souvenir de son enfance ni de ceux qui l'ont instruit puisque qu'il décrit ces gens comme des sots qui gâchent plutôt le naturel de ceux qui leur sont confiés...
Dans Le jardiner et son Seigneur, le potager était saccagé.
le potager est ici devenu un verger
[Le drame est d'autant plus cruel qu'il ruine un des loci amoeni les plus célèbres de toute la littérature occidentale, le jardin du Vieillard de Tarente, dans les Géorgiques de Virgile. C'est en effet à ce lieu, habité de façon ininterrompue par l'imagination littéraire occidentaledepuis l'Antiquité romaine que LF réfère par une libre mais bien reconnaissante imitation, sa description du jardin dévasté par le pédantisme, et du maître de ce jardin [...] L'oeuvre de destruction à laquelle se livrent le pédant et ses écoliers résume la trahison de la Nature dont est capable la nature humaine.] (M. Fumaroli, fables, éd. La Pochothèque, p. 919)

(1) Homme de collège qui a soin d'instruire et de gouverner la jeunesse , de lui enseigner les humanités et les arts (Furetière)
(2) changer de bien en mal (Richelet)
(3) déesse des fruits
(4) déesse des fleurs
(5) mal appris, qui est incivil et grossier (dict. Académie)
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Message par crodan00 Lun 2 Nov - 6:31

L’ÉCREVISSE ET SA FILLE


Jean de la Fontaine - Page 2 Ecrevi10


Les Sages quelquefois, ainsi que l'Écrevisse,
Marchent à reculons (1), tournent le dos au port.
C'est l'art des Matelots. C'est aussi l'artifice
De ceux qui, pour couvrir quelque puissant effort,
Envisagent un point directement contraire,
Et font vers ce lieu-là courir leur adversaire.
Mon sujet est petit, cet accessoire (2) est grand.
Je pourrais l'appliquer à certain Conquérant
Qui tout seul déconcerte une Ligue à cent têtes (3).
Ce qu'il n'entreprend pas, et ce qu'il entreprend,
N'est d'abord qu'un secret, puis devient des conquêtes (4).
En vain l'on a les yeux sur ce qu'il veut cacher ;
Ce sont arrêts du sort qu'on ne peut empêcher,
Le torrent à la fin, devient insurmontable.
Cent dieux sont impuissants contre un seul Jupiter.
LOUIS et le Destin me semblent de concert
Entraîner l'Univers. Venons à notre fable.

Mère Écrevisse un jour à sa Fille disait :
Comme tu vas, bon Dieu ! ne peux-tu marcher droit ?
Et comme vous allez vous-même ! dit la Fille.
Puis-je autrement marcher que ne fait ma famille ?
Veut-on que j'aille droit quand on y va tortu (5) ?
Elle avait raison ; la vertu
De tout exemple domestique
Est universelle, et s'applique
En bien, en mal, en tout ; fait des sages, des sots :
Beaucoup plus de ceux-ci. Quant à tourner le dos
A son but, j'y reviens ; la méthode en est bonne,
Surtout au métier de Bellone (6) ;
Mais il faut le faire à propos.


Les sources de la fable L'Ecrevisse et sa fille sont dans Esope
(L'écrevisse et sa mère).
Le commentaire qui enrichit la fable par des élargissements à l'art de la navigation, de la politique et de la guerre, permet à L.F. de sevir de prétexte à un éloge de Louis XIV stratège, qui jouait au plus fin contre la Ligue d'Augsbourg. Mais, comme dans les fables précédentes, L.F. démontre qu'on n'échappe pas au naturel. En langage militaire, marche à reculons signifie retraite stratégique, ce qui est sans doute évoqué à la fin de l'épigramme.
En 1697, alors que L.F. était mort depuis 1695, le roi dut restituer la plupart de ses conquêtes. (d'après J.P. Collinet, La Pléiade et M. Fumaroli, Fables, éd. La Pochothèque)

(1) scientifiquement, c'est une erreur, les écrevisses marchent... de côté.
(2) ce développement accessoire
(3) La Ligue d'Augsbourg (coalition formée par l'empereur germanique, réunissant l'Angleterre, la Hollande, la Suède... contre les menées expansionnistes de la France)
(4) stratégie de Louis XIV, qui avait caché à l'ennemi ses préparatifs, et avait conquis ainsi la ville de Gand après un siège éclair.
(5) pas droit
(6) la guerre, dont Bellone est la déesse.
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Message par crodan00 Mar 3 Nov - 6:13

L’ÉDUCATION

Jean de la Fontaine - Page 2 Educat10

Laridon (1) et César, frères dont l'origine
Venait de chiens fameux, beaux, bien faits et hardis,
A deux maîtres divers échus au temps jadis,
Hantaient l'un les forêts, et l'autre la cuisine.
Ils avaient eu d'abord chacun un autre nom ;
Mais la diverse nourriture
Fortifiant en l'un cette heureuse nature,
En l'autre l'altérant, un certain marmiton
Nomma celui-ci Laridon :
Son frère, ayant couru mainte haute aventure,
Mis maint Cerf aux abois, maint Sanglier abattu,
Fut le premier César que la gent chienne ait eu.
On eut soin d'empêcher qu'une indigne maîtresse
Ne fît en ses enfants dégénérer son sang :
Laridon négligé témoignait sa tendresse
À l'objet le premier passant.
Il peupla tout de son engeance :
Tournebroches (2) par lui rendus communs en France
Y font un corps à part, gens fuyants les hasards,
Peuple antipode des Césars.
On ne suit pas (3) toujours ses aïeux ni son père :
Le peu de soin, le temps, tout fait qu'on dégénère :
Faute de cultiver la nature et ses dons,
Ô combien de Césars deviendront Laridons !


Sources : Esope (Les chiens : Nevelet p. 164), Haudent (Les deux chiens), mais surtout Plutarque (oeuvres morales, I, 5) Lycurgue, le législateur de Sparte démontre : Après avoir éduqué deux chiens (de même père et mère) de façon différente, il montre aux Lacédémoniens comment l'un se précipite pour chasser un lièvre, et l'autre sur ... la soupe. Il en tire les conclusions...

(1) prononciation française du mot latin laridum (lard)
(2) le nom de tournebroche est donné à un chien dressé à faire tourner une roue dont le mouvement fait tourner le broche
(3) on n'imite pas
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Message par crodan00 Mer 4 Nov - 4:42

L' ElEphant et le Singe de Jupiter


Jean de la Fontaine - Page 2 Elsjup10


Autrefois l'Eléphant et le Rhinocéros,
En dispute du pas (1) et des droits de l'Empire,
Voulurent terminer la querelle en champs clos.
Le jour en était pris, quand quelqu'un vint leur dire
Que le singe de Jupiter,
Portant un caducée, avait paru dans l'air.
Ce Singe avait nom Gille, à ce que dit l'Histoire.
Aussitôt l'Eléphant de croire
Qu'en qualité d'Ambassadeur
Il venait trouver Sa Grandeur.
Tout fier de ce sujet de gloire,
Il attend maître Gille, et le trouve un peu lent
A lui présenter sa créance (2).
Maître Gille enfin, en passant,
Va saluer Son Excellence.
L'autre était préparé sur la légation (3) :
Mais pas un mot : l'attention
Qu'il croyait que les Dieux eussent à sa querelle
N'agitait pas encor chez eux cette nouvelle.
Qu'importe à ceux du firmament
Qu'on soit Mouche ou bien Eléphant ?
Il se vit donc réduit à commencer lui-même :
Mon cousin (4) Jupiter, dit-il, verra dans peu
Un assez beau combat, de son trône suprême.
Toute sa cour verra beau jeu.
Quel combat ? dit le Singe avec un front sévère.
L'éléphant repartit : Quoi vous ne savez pas
Que le Rhinocéros me dispute le pas (1) ?
Qu'Eléphantide a guerre avecque Rhinocère (5) ?
Vous connaissez ces lieux, ils ont quelque renom.
Vraiment je suis ravi d'en apprendre le nom,
Repartit Maître Gille : on ne s'entretient guère
De semblables sujets dans nos vastes lambris (6).
L'Eléphant, honteux et surpris,
Lui dit : Et parmi nous que venez-vous donc faire ?
Partager un brin d'herbe entre quelques Fourmis :
Nous avons soin de tout. Et quant à votre affaire,
On n'en dit rien encor dans le Conseil des Dieux :
Les petits et les grands sont égaux à leurs yeux.


C'est certainement chez Pline l'Ancien (Histoire
Naturelle, VIII) que La Fontaine a trouvé les indications
sur les moeurs de l'éléphant, sa mémoire, son
intelligence, sur la parenté de ses sentiments et de
ceux de l'homme et aussi sur son antipathie naturelle
avec le rhinocéros.
Le nom de "Gille" porté par le singe, se trouve déjà
dans la fable "le singe et le léopard" (IX, 3). Ici,
l'image du singe envoyé par Mercure qui lui a confié
son caducée (emblème de paix) est burlesque, et
les paroles de l'animal ironiques.

(1) droit de passer le premier, et au figuré : préséance
(2) les lettres qui l'accréditent comme ambassadeur
(3) au sens propre : mission du légat (de l'envoyé du pape)
(4) au XVIIème, les rois se nommaient ainsi dans la
correspondance diplomatique
(5) noms burlesques créés par La Fontaine pour désigner les
royaumes de ces deux orgueilleux aveuglés par leur
amour-propre.
(6) sens élargi du mot : dans nos salles lambrissées.
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Message par crodan00 Jeu 5 Nov - 6:33

L'ENFANT ET LE MAÎTRE D'ÉCOLE. (*)


Jean de la Fontaine - Page 2 Enfmet10


Dans ce récit je prétends faire voir
D'un certain Sot la remontrance vaine.
Un jeune Enfant dans l'eau se laissa choir,
En badinant (1) sur les bords de la Seine.
Le Ciel permit qu'un saule se trouva
Dont le branchage, après Dieu, le sauva.
S'étant pris, dis-je, aux branches de ce saule,
Par cet endroit passe un Maître d'école ;
L'enfant lui crie : Au secours, je péris.
Le Magister (2), se tournant à ses cris,
D'un ton fort grave à contretemps s'avise
De le tancer (3) : Ah le petit Babouin (4) !
Voyez, dit-il, où l'a mis sa sottise !
Et puis, prenez de tels fripons le soin.
Que les parents sont malheureux, qu'il faille
Toujours veiller à semblable canaille (5) !
Qu'ils ont de maux ! et que je plains leur sort !
Ayant tout dit, il mit l'Enfant à bord (6).
Je blâme ici plus de gens qu'on ne pense.
Tout babillard, tout censeur (7), tout pédant (Cool,
Se peut connaître au discours que j'avance :
Chacun des trois fait un peuple fort grand ;
Le Créateur en a béni l'engeance (9).
En toute affaire ils ne font que songer
Aux moyens d'exercer leur langue.
Hé mon ami, tire-moi de danger ;
Tu feras après ta harangue.


(*) Sources : (d'après G. Couton : Fables)
"L'enfant qui se baigne", fable d'Ésope
qui aurait pu servir de source ne figurait pas dans
les recueils de l'époque auxquels on fait référence
habituellement...Peut-être vient-elle d'une des éditions
d'Ésope de ce temps ?
On pense aussi à une transposition de la fable d'Abstemius
ou de Faerne ou de Verdizotti, où les acteurs sont
un loup et un renard. Peut-être encore dans "Gargantua",
de Rabelais (I,42), la scène où frère Jean pendu à une
branche par la visière de son casque...
La source commune est certainement un apologue antique...

(1) en jouant
(2) maître d'école de village, qui enseigne à lire aux jeunes
paysans (dict. de Furetière)
(3) gronder
(4) garnement, enfant qui mérite des réprimandes (dict. du
français classique : XVIIème)
(5) péjoratif : jeune enfant (source id. 4)
(6) il le tira de l'eau
(7) celui qui reprend, qui critique avec malveillance( souce id. 4)
(Cool maître d'école, précepteur (source id. 4)
(9) l'a fait prospérer et multiplier
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Message par crodan00 Ven 6 Nov - 5:23

LE FAUCON ET LE CHAPON


Jean de la Fontaine - Page 2 Faucch10


Une traîtresse voix bien souvent vous appelle ;
Ne vous pressez donc nullement :
Ce n'était pas un sot, non, non, et croyez-m'en,
Que le Chien de Jean de Nivelle (1)
Un citoyen du Mans, Chapon de son métier (2)
Était sommé de comparaître
Par-devant les Lares (3) du maître,
Au pied d'un tribunal que nous nommons foyer.
Tous les gens lui criaient pour déguiser la chose,
Petit, petit, petit : mais, loin de s'y fier,
Le Normand et demi (4) laissait les gens crier :
Serviteur (5), disait-il, votre appât est grossier ;
On ne m'y tient pas ; et pour cause.
Cependant un Faucon sur sa perche (6) voyait
Notre Manceau qui s'enfuyait.
Les Chapons ont en nous fort peu de confiance,
Soit instinct, soit expérience.
Celui-ci qui ne fut qu'avec peine attrapé,
Devait le lendemain être d'un grand soupé,
Fort à l'aise, en un plat, honneur dont la Volaille
Se serait passée aisément.
L'Oiseau chasseur lui dit : Ton peu d'entendement
Me rend tout étonné. Vous n'êtes que racaille,
Gens grossiers, sans esprit, à qui l'on n'apprend rien.
Pour moi, je sais chasser, et revenir au maître.
Le vois-tu pas à la fenêtre ?
Il t'attend : es-tu sourd ? Je n'entends que trop bien,
Repartit le Chapon ; mais que me veut-il dire,
Et ce beau Cuisinier armé d'un grand couteau ?
Reviendrais-tu pour cet appeau (7) :
Laisse-moi fuir, cesse de rire
De l'indocilité qui me fait envoler,
Lorsque d'un ton si doux on s'en vient m'appeler.
Si tu voyais mettre à la broche
Tous les jours autant de Faucons
Que j'y vois mettre de Chapons,
Tu ne me ferais pas un semblable reproche.


Sources : Pilpay (Le Livre des Lumières, p. 112-113), Histoire du Faucon et de la Poule. La mise en scène de L.F. n'est pas dans la fable de Pilpay

La lucidité du chapon quant à sa destinée et sa fuite ne le sauvent pas de la mort... (à rapprocher de la fable dans laquelle les cris justifiés du cochon ne le sauvent pas non plus de la mort)

(1) interprétation du proverbe C'est le chien de Jean de Nivelle, qui s'enfuit quand on l'appelle.
Jean de Nivelle : seigneur de Montmorency sous Louis XI, refusa de marcher contre le duc de Bourgogne, Charles Le Téméraire, bien qu'il en fût sommé par son père. Il s'enfuit dans les Flandres.
Il s'agissait de "ce" chien de Jean de Nivelle...
(2) le Maine était réputé pour ses chapons
(3) Les dieux du foyer
(4) Un Manceau (habitant du Mans) vaut un Normand et demi, dit un proverbe
(5) Façon ironiquement humble d'exprimer un refus
(6) Les fauconiers mettent leurs oiseaux "sur la perche" (Furetière)
(7)Vieux mot pour "appel"
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Message par crodan00 Lun 9 Nov - 6:18

LA FEMME NOYÉE


Jean de la Fontaine - Page 2 Femmno10

Je ne suis pas de ceux qui disent : Ce n'est rien ;
C'est une femme qui se noie.
Je dis que c'est beaucoup ; et ce sexe vaut bien
Que nous le regrettions, puisqu'il fait notre joie;
Ce que j'avance ici n'est point hors de propos,
Puisqu'il s'agit dans cette fable
D'une femme qui dans les flots
Avait fini ses jours par un sort déplorable.
Son Époux en cherchait le corps,
Pour lui rendre, en cette aventure
Les honneurs de la sépulture.
Il arriva que sur les bords
Du fleuve auteur de sa disgrâce (1)
Des gens se promenaient ignorant l'accident.
Ce Mari donc leur demandant
S'ils n'avaient de sa Femme aperçu nulle trace :
Nulle, reprit l'un d'eux ; mais cherchez-la plus bas ;
Suivez le fil de la rivière.
Un autre repartit : Non, ne le suivez pas ;
Rebroussez plutôt en arrière.
Quelle que soit la pente et l'inclination (2)
Dont l'eau par sa course l'emporte,
L'esprit de contradiction
L'aura fait flotter d'autre sorte.
Cet homme se raillait (3) assez hors de saison.
Quant à l'humeur contredisante,
Je ne sais s'il avait raison.
Mais que cette humeur soit, ou non ,
Le défaut du sexe et sa pente, (4)
Quiconque avec elle naîtra
Sans faute avec elle mourra,
Et jusqu'au bout contredira,
Et, s'il peut, encor par delà.


Ce conte (plus que fable) ou plutôt plaisanterie se trouve dans de nombreux recueils (fabliaux, Faerne, Verdizzotti...), ce qui explique qu'on ne puisse
déterminer exactement la source de la Fontaine.
Voici la fin de la traduction de Faerne par Perrault :
Femme contrariante, envieuse et colère ne quitte pas son caractère.

(1) son malheur
(2) inclinaison
(3) se railler : se rire de quelque personne ou de quelque chose, n'en faire nul cas, ne pas s'en soucier (Richelet)
(4) sa tendance
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Message par crodan00 Mar 10 Nov - 6:01

LES FEMMES ET LE SECRET


Jean de la Fontaine - Page 2 Femsec10


Rien ne pèse tant qu'un secret ;
Le porter loin est difficile aux Dames :
Et je sais même sur ce fait
Bon nombre d'hommes qui sont femmes.
Pour éprouver la sienne un Mari s'écria
La nuit étant près d'elle : Ô Dieux ! qu'est-ce cela ?
Je n'en puis plus ; on me déchire ;
Quoi ! j'accouche d'un oeuf ! D'un oeuf ? Oui, le voilà
Frais et nouveau pondu. Gardez bien de le dire :
On m'appellerait Poule. Enfin n'en parlez pas.
La femme neuve sur ce cas,
Ainsi que sur mainte autre affaire,
Crut la chose, et promit ses grands dieux de se taire.
Mais ce serment s'évanouit
;Avec les ombres de la nuit.
L'Épouse indiscrète et peu fine,
Sort du lit quand le jour fut à peine levé :
Et de courir chez sa voisine.
Ma commère, dit-elle, un cas est arrivé :
N'en dites rien surtout, car vous me feriez battre.
Mon mari vient de pondre un oeuf gros comme quatre.
Au nom de Dieu gardez-vous bien
D'aller publier (1) ce mystère.
Vous moquez-vous ? dit l'autre : Ah ! vous ne savez guère
Quelle (2) je suis. Allez, ne craignez rien.
La femme du pondeur (3) s'en retourne chez elle.
L'autre grille déjà de conter la nouvelle :
Elle va la répandre en plus de dix endroits.
Au lieu d'un oeuf elle en dit trois.
Ce n'est pas encore tout, car une autre commère
En dit quatre, et raconte à l'oreille le fait,
Précaution peu nécessaire,
Car ce n'était plus un secret.
Comme le nombre d'oeufs, grâce à la renommée,
De bouche en bouche allait croissant,
Avant la fin de la journée
Ils se montaient à plus d'un cent.


(1) rendre public
(2) quelle femme
(3) mot fabriqué par La Fontaine pour la circonstance
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Message par crodan00 Mer 11 Nov - 6:01

LE FERMIER, LE CHIEN ET LE RENARD


Jean de la Fontaine - Page 2 Fermch10

Le Loup et le Renard sont d'étranges voisins :
Je ne bâtirai point autour de leur demeure.
Ce dernier guettait à toute heure
Les poules d'un Fermier ; et quoique des plus fins,
Il n'avait pu donner d'atteinte à la volaille.
D'une part l'appétit, de l'autre le danger,
N'étaient pas au compère un embarras léger.
Hé quoi, dit-il, cette canaille
Se moque impunément de moi ?
Je vais, je viens, je me travaille (1),
J'imagine cent tours ; le rustre, en paix chez soi,
Vous fait argent de tout, convertit en monnoie
Ses chapons, sa poulaille ; il en a même au croc :
Et moi, maître passé, quand j'attrape un vieux coq,
Je suis au comble de la joie !
Pourquoi sire Jupin m'a-t-il donc appelé
Au métier de Renard ? Je jure les puissances
De l'Olympe et du Styx, il en sera parlé.
Roulant en son coeur ces vengeances,
Il choisit une nuit libérale en pavots (2):
Chacun était plongé dans un profond repos ;
Le Maître du logis, les Valets, le Chien même,
Poules, poulets, chapons, tout dormait. Le Fermier,
Laissant ouvert son poulailler,
Commit une sottise extrême.
Le voleur tourne tant qu'il entre au lieu guetté,
Le dépeuple, remplit de meurtres la cité :
Les marques de sa cruauté
Parurent avec l'Aube : on vit un étalage
De corps sanglants et de carnage.
Peu s'en fallut que le Soleil
Ne rebroussât d'horreur vers le manoir liquide (3).
Tel, et d'un spectacle pareil,
Apollon irrité contre le fier Atride (4)
Joncha son camp de morts : on vit presque détruit
L'ost (5) des Grecs, et ce fut l'ouvrage d'une nuit.
Tel encore autour de sa tente
Ajax, à l'âme impatiente,
De moutons et de boucs fit un vaste débris (6),
Croyant tuer en eux son concurrent Ulysse
Et les auteurs de l'injustice
Par qui l'autre emporta le prix.
Le Renard autre Ajax aux volailles funeste,
Emporte ce qu'il peut, laisse étendu le reste.
Le Maître ne trouva de recours qu'à crier
Contre ses Gens, son Chien, c'est l'ordinaire usage.
Ah ! maudit animal, qui n'es bon qu'à noyer,
Que n'avertissais-tu dès l'abord du carnage ?
Que ne l'évitiez-vous ? c'eût été plus tôt fait :
Si vous, Maître et Fermier, à qui touche le fait,
Dormez sans avoir soin que la porte soit close,
Voulez-vous que moi Chien qui n'ai rien à la chose,
Sans aucun intérêt je perde le repos ?
Ce Chien parlait très à propos :
Son raisonnement pouvait être
Fort bon dans la bouche d'un Maître ;
Mais, n'étant que d'un simple Chien,
On trouva qu'il ne valait rien.
On vous sangla le pauvre drille(7).
Toi donc, qui que tu sois, ô père de famille
(Et je ne t'ai jamais envié cet honneur),
T'attendre aux yeux d'autrui quand tu dors, c'est erreur.
Couche-toi le dernier, et vois fermer ta porte.
Que si quelque affaire t'importe,
Ne la fais point par procureur.



La Fontaine enrichit le mince sujet que lui fournit Abstemius : Le père de famille qui reprochait à son chien d'avoir laissé prendre ses poules
Il fabrique un épisode qui évoque souvent Homère et renvoie à L'Iliade.

(1) je me donne du mal
(2) allusion au Dieu du Sommeil, représenté par les poètes couché sur une gerbe de pavots, qui jetait ses pavots sur ceux qu'il voulait endormir (d'après Furetière)
(3) allusion au festin où Atrée, ayant tué les deux fils de Thyeste, les lui offrit à dîner. Le soleil refusant ses rayons à cet horrible spectacle, se réfugia dans l'océan (M. Fumaroli, Fables, La Pochothèque, note p. 966)>
(4) Agamemnon avait refusé de rendre Briséis à son père Chrysès, prêtre d'Apollon. (L'Iliade, Homère)
(5) le camp
(6) Fou de jalousie après l'attribution par les grecs des armes d'Achille (mort) à Ulysse, Ajax massacra un troupeau, croyant égorger les chefs grecs et Ulysse.
(Métamorphoses, XIII,5, Homère)
(7) Le chien, comparé à une "sorte de soldat un peu fripon" (déf. de drille (Richelet) ) a été frappé à coups de sangle...
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Message par crodan00 Ven 13 Nov - 6:32

LE HÉRON


Jean de la Fontaine - Page 2 Heron10


Un jour sur ses longs pieds allait je ne sais où
Le Héron au long bec emmanché d’un long cou.
Il côtoyait une rivière.
L’onde était transparente ainsi qu’aux plus beaux jours ;
Ma commère la Carpe y faisait mille tours
Avec le Brochet son compère.
Le Héron en eût fait aisément son profit :
Tous approchaient du bord, l’Oiseau n’avait qu’à prendre ;
Mais il crut mieux faire d’attendre
Qu’il eût un peu plus d’appétit.
Il vivait de régime, et mangeait à ses heures.
Après quelques moments l’appétit vint ; l’Oiseau
S’approchant du bord vit sur l’eau
Des Tanches qui sortaient du fond de ces demeures.
Le mets ne lui plut pas ; il s’attendait à mieux,
Et montrait un goût dédaigneux
Comme le Rat du bon Horace. (1)
Moi des Tanches ? dit-il, moi Héron que je fasse
Une si pauvre chère ? Et pour qui me prend-on ?
La Tanche rebutée (2), il trouva du Goujon.
Du Goujon ! c’est bien là le dîné d’un Héron !
J’ouvrirais pour si peu le bec ! aux Dieux ne plaise !
Il l’ouvrit pour bien moins : tout alla de façon
Qu’il ne vit plus aucun Poisson.
La faim le prit ; il fut tout heureux et tout aise
De rencontrer un Limaçon.
Ne soyons pas si difficiles :
Les plus accommodants, ce sont les plus habiles :
On hasarde de perdre en voulant trop gagner.
Gardez-vous de rien dédaigner ;
Surtout quand vous avez à peu près votre compte.
Bien des gens y sont pris ; ce n’est pas aux Hérons
Que je parle ; écoutez, humains, un autre conte ;
Vous verrez que chez vous j’ai puisé ces leçons.



LA FILLE


Jean de la Fontaine - Page 2 Fille10


Certaine Fille, un peu trop fière
Prétendait trouver un mari
Jeune, bien fait, et beau, d'agréable manière (3),
Point froid et point jaloux ; notez ces deux points-ci.
Cette Fille voulait aussi
Qu'il eût du bien, de la naissance,
De l'esprit, enfin tout ; mais qui peut tout avoir ?
Le destin se montra soigneux de la pourvoir (4) :
Il vint des partis d'importance.
La Belle les trouva trop chétifs (5) de moitié :
Quoi moi ? quoi ces gens-là ? l'on radote, je pense.
A moi les proposer ! hélas ils font pitié .
Voyez un peu la belle espèce !
L'un n'avait en l'esprit nulle délicatesse ;
L'autre avait le nez fait de cette façon-là ;
C'était ceci, c'était cela,
C'était tout ; car les précieuses
Font dessus tout les dédaigneuses.
Après les bons partis les médiocres (6) gens
Vinrent se mettre sur les rangs.
Elle de se moquer. Ah vraiment, je suis bonne
De leur ouvrir la porte : ils pensent que je suis
Fort en peine de ma personne.
Grâce à Dieu je passe les nuits
Sans chagrin, quoique en solitude.
La Belle se sut gré de tous ces sentiments.
L'âge la fit déchoir ; adieu tous les amants (7).
Un an se passe et deux avec inquiétude.
Le chagrin (Cool vient ensuite : elle sent chaque jour
Déloger quelques Ris, quelques Jeux, puis l'Amour ;
Puis ses traits choquer et déplaire ;
Puis cent sortes de fards. Ses soins ne purent faire
Qu'elle échappât au Temps, cet insigne larron :
Les ruines d'une maison
Se peuvent réparer : que n'est cet avantage
Pour les ruines du visage !
Sa préciosité changea lors de langage.
Son miroir lui disait : Prenez vite un mari.
Je ne sais quel désir le lui disait aussi ;
Le désir peut loger chez une précieuse.
Celle-ci fit un choix qu'on n'aurait jamais cru,
Se trouvant à la fin tout aise et tout heureuse
De rencontrer un malotru (9).


Ces deux fables, couplées par La Fontaine lui-même, nous présentent deux versions d'un même thème. Le sujet de la fable Le Héron était traité chez Abstémius ("l'oiseleur et le pinson", Nevelet p. 550), imité par Haudent ("d'un oiseleur et d'une bérée", II, 98). L'idée du héron revient à La Fontaine.
Pour La Fille, La Fontaine a certainement eu recours à Martial, V, 17. ; il connaissait sans doute aussi le texte de Conrart.


La moralité commune à ces deux versions, l'une animale, l'autre humaine, termine la première fable et sert de prologue à la seconde.

"...à l'instar de ces airs en écho qu'affectionnaient les musiciens du roi, les deux récits sont construits l'un par rapport à l'autre et le souvenir du premier se superpose à chacune des séquences du second." (P. Dandrey, la fabrique des Fables, éd. Klincksieck, p. 169)

(1) Il s'agit du rat de ville, de Horace ( Satires, livre II, 6, 87), invité par le rat des champs, épisode que La Fontaine n'a pas repris dans sa fable

(2) refusée, mise au rebut

(3) aspect, façon de se comporter, il était agréable

(4) de l'établir par un mariage...

(5) vils, méprisables

(6) qui sont de condition sociale moyenne

(7) ceux qui ont déclaré leurs sentiments amoureux, à la différence du sens actuel

(Cool humeur maussade

(9) terme populaire qui se dit des gens en mauvaise santé, mal bâtis.
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Message par crodan00 Sam 14 Nov - 6:14

Après la lecture de cette fable, ne cassez pas vos bibelots préférés, le résultat serait certainement beaucoup plus décevant que celui de la fable!


L'HOMME ET L'IDOLE DE BOIS


Jean de la Fontaine - Page 2 Homido10


Certain païen chez lui gardait un dieu de bois,
De ces dieux qui sont sourds, bien qu'ayant des oreilles (1).
Le païen cependant s'en promettait merveilles.
Il lui coûtait autant que trois :
Ce n'étaient que voeux et qu'offrandes,
Sacrifices de boeufs couronnés de guirlandes.
Jamais idole (2), quel qu'il fût,
N'avait eu cuisine si grasse,
Sans que pour tout ce culte à son hôte il échût
Succession, trésor, gain au jeu, nulle grâce.
Bien plus, si pour un sou d'orage (3) en quelque endroit
S'amassait d'une ou d'autre sorte,
L'homme en avait sa part, et sa bourse en souffrait :
La pitance(4) du dieu n'en était pas moins forte.
A la fin, se fâchant de n'en obtenir rien,
Il vous prend un levier, met en pièces l'idole,
Le trouve rempli d'or. «Quand je t'ai fait du bien,
M'as-tu valu, dit-il, seulement une obole ?
Va, sors de mon logis, cherche d'autres autels.
Tu ressembles aux naturels
Malheureux, grossiers et stupides ;
On n'en peut rien tirer qu'avecque le bâton.
Plus je te remplissais (5), plus mes mains étaient vides :
J'ai bien fait de changer de ton.»


(*) Source : Esope (recueil Nevelet)
"L'homme qui a brisé une statue"
La morale était : "Il ne te servira de rien d'honorer un méchant, et en le frappant, tu en obtiendras davantage"

(1) citation des Psaumes "Ils ont des oreilles et n'entendent pas"
(2) au XVIIème, le mot idole n'était pas obligatoirement féminin
(3) le moindre orage
(4) nourriture : mot du style simple et comique
(5) rassasiais : volontairement vulgaire
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Message par crodan00 Lun 16 Nov - 6:24

LA FORTUNE ET LE JEUNE ENFANT


Jean de la Fontaine - Page 2 Fortun10


Sur le bord d'un puits très profond
Dormait étendu de son long,
Un enfant alors dans ses classes (1).

Tout est aux écoliers couchette et matelas.
Un honnête homme en pareil cas
Aurait fait un saut de vingt brasses.
Près de là tout heureusement,
La Fortune passa, l'éveilla doucement,

Lui disant : «Mon mignon, je vous sauve la vie.

Soyez une autre fois plus sage, je vous prie.

Si vous fussiez tombé, l'on s'en fût pris à moi ;
Cependant c'était votre faute.
Je vous demande en bonne foi
Si cette imprudence si haute

Provient de mon caprice.» Elle part à ces mots.
Pour moi, j'approuve son propos.
Il n'arrive rien dans le monde
Qu'il ne faille qu'elle en réponde.
Nous la faisons de tous écots (2) ;
Elle est prise à garant de toutes aventures.
Est-on sot, étourdi, prend-on mal ses mesures (3),

On pense en être quitte en accusant son sort :
Bref, la Fortune a toujours tort.


La Fontaine pour "La Fortune et le jeune Enfant" trouve ses sources chez Esope : Le Voyageuret la Fortune (recueil Nevelet) et surtout chez Régnier : Satire XIV, v. 85-92."La Fortune" est un personnage revenant périodiquement dans l'oeuvre de La Fontaine.

(1) un collégien
(2) l'écot est la participation financière de chacun à un repas commun.
Ici, cela veut dire que nous attribuons à la fortune sa part dans tous les événements qui nous concernent. D'autres éditions écrivent échos, ce qui transforme le sens.
(3) dispositions
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