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Message par crodan00 Mer 1 Juil - 3:14

le Pot au Lait-Jean de la Fontaine (1621-1695)


Perrette sur sa tête ayant un Pot au lait
Bien posé sur un coussinet,
Prétendait arriver sans encombre à la ville.
Légère et court vêtue elle allait à grands pas ;
Ayant mis ce jour-là, pour être plus agile,
Cotillon simple, et souliers plats.
Notre laitière ainsi troussée
Comptait déjà dans sa pensée
Tout le prix de son lait, en employait l'argent,
Achetait un cent d'oeufs, faisait triple couvée ;
La chose allait à bien par son soin diligent.
Il m'est, disait-elle, facile,
D'élever des poulets autour de ma maison :
Le Renard sera bien habile,
S'il ne m'en laisse assez pour avoir un cochon.
Le porc à s'engraisser coûtera peu de son ;
Il était quand je l'eus de grosseur raisonnable :
J'aurai le revendant de l'argent bel et bon.
Et qui m'empêchera de mettre en notre étable,
Vu le prix dont il est, une vache et son veau,
Que je verrai sauter au milieu du troupeau ?
Perrette là-dessus saute aussi, transportée.
Le lait tombe ; adieu veau, vache, cochon, couvée ;
La dame de ces biens, quittant d'un oeil marri
Sa fortune ainsi répandue,
Va s'excuser à son mari
En grand danger d'être battue.
Le récit en farce en fut fait ;
On l'appela le Pot au lait.

Quel esprit ne bat la campagne ?
Qui ne fait châteaux en Espagne ?
Picrochole, Pyrrhus, la Laitière, enfin tous,
Autant les sages que les fous ?
Chacun songe en veillant, il n'est rien de plus doux :
Une flatteuse erreur emporte alors nos âmes :
Tout le bien du monde est à nous,
Tous les honneurs, toutes les femmes.
Quand je suis seul, je fais au plus brave un défi ;
Je m'écarte, je vais détrôner le Sophi ;
On m'élit roi, mon peuple m'aime ;
Les diadèmes vont sur ma tête pleuvant :
Quelque accident fait-il que je rentre en moi-même ;
Je suis gros Jean comme devant.
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Message par crodan00 Mer 1 Juil - 3:22

LE LOUP ET L'AGNEAU


La raison du plus fort est toujours la meilleure :
Nous l'allons montrer tout à l'heure (1).
Un Agneau se désaltérait
Dans le courant d'une onde pure.
Un Loup survient à jeun, qui cherchait aventure,
Et que la faim en ces lieux attirait.
Qui te rend si hardi (2) de troubler mon breuvage ?
Dit cet animal plein de rage :
Tu seras châtié de ta témérité.
Sire, répond l'Agneau, que Votre Majesté
Ne se mette pas en colère ;
Mais plutôt qu'elle considère
Que je me vas (3) désaltérant
Dans le courant,
Plus de vingt pas au-dessous d'Elle ;
Et que par conséquent, en aucune façon,
Je ne puis troubler sa boisson.
Tu la troubles, reprit cette bête cruelle,
Et je sais que de moi tu médis l'an passé.
Comment l'aurais-je fait si (4) je n'étais pas né ?
Reprit l'Agneau ; je tette encor ma mère
Si ce n'est toi, c'est donc ton frère.
Je n'en ai point. C'est donc quelqu'un des tiens :
Car vous ne m'épargnez guère,
Vous, vos Bergers et vos Chiens.
On me l'a dit : il faut que je me venge."
Là-dessus, au fond des forêts
Le loup l'emporte et puis le mange,
Sans autre forme de procès.
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Message par crodan00 Mer 1 Juil - 3:24

LE CORBEAU ET LE RENARD


Maître Corbeau, sur un arbre perché,
Tenait en son bec un fromage.
Maître Renard, par l'odeur alléché,
Lui tint à peu près ce langage :
Et bonjour, Monsieur du Corbeau,
Que vous êtes joli ! que vous me semblez beau !
Sans mentir, si votre ramage
Se rapporte à votre plumage,
Vous êtes le Phénix des hôtes de ces bois.
À ces mots le Corbeau ne se sent pas de joie,
Et pour montrer sa belle voix,
Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie.
Le Renard s'en saisit, et dit : Mon bon Monsieur,
Apprenez que tout flatteur
Vit aux dépens de celui qui l'écoute.
Cette leçon vaut bien un fromage sans doute.
Le Corbeau honteux et confus
Jura, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus.
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Message par crodan00 Mer 1 Juil - 3:27

LA GRENOUILLE QUI SE VEUT FAIRE
AUSSI GROSSE QUE LE BŒUF


Une Grenouille vit un Bœuf
Qui lui sembla de belle taille.
Elle qui n'était pas grosse en tout comme un œuf,
Envieuse s'étend, et s'enfle, et se travaille
Pour égaler l'animal en grosseur,
Disant : Regardez bien, ma sœur ;
Est-ce assez ? dites-moi ; n'y suis-je point encore ?
Nenni. M'y voici donc ? Point du tout. M'y voilà ?
Vous n'en approchez point. La chétive Pécore
S'enfla si bien qu'elle creva.
Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages :
Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs,
Tout petit prince a des ambassadeurs,
Tout marquis veut avoir des pages
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Message par crodan00 Jeu 2 Juil - 3:42

Jean de la Fontaine 06-la_10
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Message par crodan00 Jeu 2 Juil - 3:43

Jean de la Fontaine Poesie10
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Message par crodan00 Ven 3 Juil - 4:37

L'AIGLE ET LA PIE


Jean de la Fontaine Aigpie10


L'aigle, Reine des airs, avec Margot la Pie,
Différentes d'humeur, de langage et d'esprit,
Et d'habit,
Traversaient un bout de prairie.
Le hasard les assemble en un coin détourné.
L'Agasse eut peur ; mais l'Aigle, ayant fort bien dîné,
La rassure, et lui dit : Allons de compagnie.
Si le Maître des Dieux assez souvent s'ennuie,
Lui qui gouverne l'univers,
J'en puis bien faire autant, moi qu'on sait qui le sers (2).
Entretenez-moi donc, et sans cérémonie.
Caquet bon-bec alors de jaser au plus dru,
Sur ceci, sur cela, sur tout. L'homme d'Horace (3),
Disant le bien, le mal à travers champs (4), n'eût su
Ce qu'en fait de babil y savait notre Agasse.
Elle offre d'avertir de tout ce qui se passe,
Sautant, allant de place en place,
Bon espion, Dieu sait. Son offre ayant déplu,
L'Aigle lui dit tout en colère :
Ne quittez point votre séjour,
Caquet bon-bec, mamie : adieu ; je n'ai que faire
D'une babillarde à ma cour ;
C'est un fort méchant caractère.
Margot ne demandait pas mieux.
Ce n'est pas ce qu'on croit, que d'entrer chez les Dieux ;
Cet honneur a souvent de mortelles angoisses.
Rediseurs (5), Espions, gens à l'air gracieux,
Au coeur tout différent, s'y rendent odieux,
Quoique ainsi que la Pie il faille dans ces lieux
Porter habit de deux paroisses (6).


Le thème de la fable l'Aigle et la Pie
est emprunté à Abstémius.

La Fontaine avait à sa disposition l'anthologie publiée
en 1610 par Isaac-Nicolas Névelet, travail érudit
de compilation des textes antiques des fables; ici :
"De aquila et pica" p.545.
" Louis XIV s'entourait d'un réseau de délateurs : le précepteur
de son petit-fils (Fénelon) inculque à son élève de moins
détestables principes. Voici ce qu'il écrivait à
Madame de Maintenon [...] : "Il ne faut point avoir
des rapporteurs qui s'empressent à vous empoisonner
du récit de toutes les petites fautes des particuliers
mais il faut avoir des gens de bien, qui malgré eux soient
chargés en conscience de vous avertir des choses qui le
mériteront, ceux-là ne vous diront que le nécessaire, et
laisseront le superflu aux tracassiers." " (J.P. Collinet,
La Pléiade)


(1) vieux mot pour : pie
(2) moi dont on sait que je le sers
(3) cet homme est Volteius Mena, crieur publicinvité par l'avocat Philippe, qui se divertit deson babillage naïf (Horace,Epitres) ; c'est l'undes modèles de Sire Grégoire dans "Lesavetier et le financier"
(4) à tort et à travers
(5) qui vont rapporter aux autres ce qu'ona dit d'eux
(6) "on dit de deux choses dépariées, qu'onporte ensemble, qu'elles sont de deux paroisses(Furetière)
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Message par crodan00 Sam 4 Juil - 5:39

L'AIGLE ET LE HIBOU


Jean de la Fontaine Aighib10


L'Aigle et le Chat-huant leurs querelles cessèrent,
Et firent tant qu'ils s'embrassèrent.
L'un jura foi de Roi, l'autre foi de Hibou,
Qu'ils ne se goberaient leurs petits peu ni prou.(1)
Connaissez-vous les miens ? dit l'Oiseau de Minerve.(2)
Non, dit l'Aigle. Tant pis, reprit le triste (3) oiseau :
Je crains en ce cas pour leur peau :
C'est hasard si je les conserve.
Comme vous êtes Roi, vous ne considérez
Qui ni quoi : Rois et Dieux mettent, quoi qu'on leur die,
Tout en même catégorie.
Adieu mes Nourrissons, si vous les rencontrez.
Peignez-les-moi, dit l'Aigle, ou bien me les montrez :
Je n'y toucherai de ma vie.
Le Hibou repartit : Mes Petits sont mignons,
Beaux, bien faits, et jolis sur tous leurs compagnons :
Vous les reconnaîtrez sans peine à cette marque.
N'allez pas l'oublier ; retenez-la si bien
Que chez moi la maudite Parque (4)
N'entre point par votre moyen.
Il avint qu'au Hibou Dieu donna géniture.(5)
De façon qu'un beau soir qu'il était en pâture,
Notre Aigle aperçut d'aventure,
Dans les coins d'une roche dure,
Ou dans les trous d'une masure
(Je ne sais pas lequel des deux),
De petits monstres fort hideux,
Rechignés, un air triste, une voix de Mégère.(6)
Ces enfants ne sont pas, dit l'Aigle, à notre ami.
Croquons-les. Le Galand n'en fit pas à demi :
Ses repas ne sont point repas à la légère.
Le Hibou, de retour, ne trouve que les pieds
De ses chers Nourrissons, hélas ! pour toute chose.
Il se plaint; et les dieux sont par lui suppliés
De punir le brigand qui de son deuil est cause.
Quelqu'un lui dit alors : N'en accuse que toi
Ou plutôt la commune loi,
Qui veut qu'on trouve son semblable
Beau, bien fait, et sur tous aimable.
Tu fis de tes enfants à l'Aigle ce portrait :
En avaient-ils le moindre trait ?


La source de cette fable est Verdizzoti (f. 17)
Si le hibou avait décrit ses petits tels qu'ils
étaient réellement, ils n'auraient pas été dévorés
par l'aigle. L'amour paternel du hibou l'a aveuglé...
Le dicton "l'amour est aveugle" est bien illustré ici.


(1) beaucoup
(2) la chouette, consacrée à Minerve. La Fontaine ne la différencie pas du hibou. Effet burlesque.
(3) oiseau de nuit, considéré comme "porte-malheur"
(4) certainement la Divinité "morta", responsable du destin et de la mort.
(5) terme burlesque qui se dit des enfants (Furetière)
(6) une des trois Furies
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Message par crodan00 Lun 6 Juil - 4:08

L'AIGLE ET L'ESCARBOT (*)


Jean de la Fontaine Aigesc10

Jean de la Fontaine Aigesc12


L'Aigle donnait la chasse à Maître Jean Lapin,
Qui droit à son terrier s'enfuyait au plus vite.
Le trou de l'Escarbot se rencontre en chemin :
Je laisse à penser si ce gîte
Etait sûr ; mais où mieux (1) ? Jean Lapin s'y blottit.
L'Aigle fondant sur lui nonobstant (2) cet asile,
L'Escarbot intercède et dit :
Princesse (3) des Oiseaux, il vous est fort facile
D'enlever malgré moi ce pauvre malheureux ;
Mais ne me faites pas cet affront, je vous prie ;
Et, puisque Jean Lapin vous demande la vie,
Donnez-la-lui, de grâce, ou l'ôtez à tous deux :
C'est mon voisin, c'est mon compère.
L'Oiseau de Jupiter, sans répondre un seul mot,
Choque de l'aile l'Escarbot,
L'étourdit, l'oblige à se taire,
Enlève Jean Lapin. L'Escarbot indigné
Vole au nid de l'Oiseau, fracasse en son absence
Ses œufs, ses tendres œufs, sa plus douce espérance :
Pas un seul ne fut épargné.
L'Aigle étant de retour et voyant ce ménage,
Remplit le ciel de cris, et, pour comble de rage,
Ne sait sur qui venger le tort qu'elle a souffert.
Elle gémit en vain, sa plainte au vent se perd.
Il fallut pour cet an vivre en mère affligée.
L'an suivant, elle mit son nid en lieu plus haut.
L'Escarbot prend son temps, fait faire aux œufs le saut.
La mort de Jean Lapin derechef est vengée.
Ce second deuil fut tel que l'écho de ces bois
N'en dormit de plus de six mois.
L'Oiseau qui porte Ganymède (4)
Du Monarque des Dieux enfin implore l'aide,
Dépose en son giron ses œufs, et croit qu'en paix
Ils seront dans ce lieu, que pour ses intérêts
Jupiter se verra contraint de les défendre :
Hardi qui les irait là prendre.
Aussi ne les y prit-on pas.
Leur ennemi changea de note,
Sur la robe du Dieu fit tomber une crotte ;
Le Dieu la secouant jeta les œufs à bas.
Quand l'Aigle sut l'inadvertance (5),
Elle menaça Jupiter
D'abandonner sa cour, d'aller vivre au désert (6),
De quitter toute dépendance
Avec mainte autre extravagance.
Le pauvre Jupiter se tut :
Devant son tribunal l'Escarbot comparut,
Fit sa plainte, et conta l'affaire :
On fit entendre à l'Aigle enfin qu'elle avait tort.
Mais les deux ennemis ne voulant point d'accord,
Le Monarque des Dieux s'avisa, pour bien faire,
De transporter le temps où l'Aigle fait l'amour
En une autre saison, quand la race escarbote
Est en quartier d'hiver, et comme la Marmotte
Se cache et ne voit point le jour.


Escarbot ?
Comme Jean-Henri Fabre relevait les erreurs "scientifiques"
de La Fontaine dans sa description du mode de vie de la cigale
(4/01/99), on peut dire ici que les détails relatifs à l'escarbot
sont assez fantaisistes : escarbot est le nom de divers coléoptères comme la cétoine dorée. Le début de zone grammaticale de ce mot est du XIème siècle : latin scarabeus : scarabée.
De toutes façons, le lapin ne peut se blottir dans le "logis" de
l'escarbot qui est trop petit; l'escarbot est bien fort pour
"fracasser" les oeufs...Qu'importe! La gravure du recueil
Nevelet représente l'escarbot de même taille que le lapin,
et puis, L.F. n'est pas dupe, le vers 4 nous le prouve !
Lisons le mobile du drame : l'Aigle emporte Jean Lapin.
C'est alors la vengeance entreprise par l'escarbot, ami
de Jean Lapin : nous assistons successivement à la destruction
des 3 couvées de l'aigle. Enfin, Jupiter met un terme aux
affrontements : un dénouement idéal est trouvé.
Bonne lecture !


(*) Source : fable d'Ésope figurant dans le recueil de Nevelet sous le titre "aquila et scarabeus"
(1) où trouver mieux
(2) malgré, en dépit de
(3) ici : une aigle
(4) personnage de la mythologie grecque, prince troyen d'une beauté légendaire, fils de Tros. Zeus, s'étant épris de lui se changea en aigle pour l'enlever.
(5) l'inattention
(6) c'est le même procédé que la Montespan employait à l'égard de Louis XIV !
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Message par crodan00 Mar 7 Juil - 4:03

L’AIGLE, LA LAIE ET LA CHATTE


Jean de la Fontaine Aiglai10


L'Aigle avait ses Petits au haut d'un arbre creux,
La Laie au pied, la Chatte entre les deux ;
Et sans s'incommoder, moyennant ce partage,
Mères et Nourrissons faisaient leur tripotage. (1)
La Chatte détruisit par sa fourbe l'accord.
Elle grimpa chez l'Aigle, et lui dit : Notre mort
(Au moins (2) de nos enfants, car c'est tout un aux mères)
Ne tardera possible (3) guères.
Voyez-vous à nos pieds fouir incessamment
Cette maudite Laie, et creuser une mine ?
C'est pour déraciner le chêne assurément,
Et de nos Nourrissons attirer la ruine.
L'arbre tombant ils seront dévorés :
Qu'ils s'en tiennent pour assurés.
S'il m'en restait un seul, j'adoucirais ma plainte.
Au partir de ce lieu, qu'elle remplit de crainte,
La perfide descend tout droit
À l'endroit
Où la Laie était en gésine. (4)
Ma bonne amie et ma voisine,
Lui dit-elle tout bas, je vous donne un avis.
L'Aigle, si vous sortez, fondra sur vos Petits :
Obligez-moi de n'en rien dire ;
Son courroux tomberait sur moi.
Dans cette autre famille ayant semé l'effroi,
..........La Chatte en son trou se retire.
L'Aigle n'ose sortir, ni pourvoir aux besoins
De ses Petits ; la Laie encore moins :
Sottes de ne pas voir que le plus grand des soins,
Ce doit être celui d'éviter la famine.
À demeurer chez soi l'une et l'autre s'obstine
Pour secourir les siens dedans l'occasion :
L'Oiseau royal, en cas de mine, (5)
La Laie, en cas d'irruption.
La faim détruisit tout : il ne resta personne,
De la Gent marcassine et de la Gent aiglonne,
Qui n'allât de vie à trépas :
Grand renfort pour Messieurs les Chats.

Que ne sait point ourdir une langue traîtresse
Par sa pernicieuse adresse !
Des malheurs qui sont sortis
De la boîte de Pandore, (6)
Celui qu'à meilleur droit tout l'univers abhorre,
C'est la fourbe (7), à mon avis


Sources : Phèdre II, 4 pour la trame initiale

(1) assemblage disparate (1609) - puis a désigné de petits arrangements, notamment domestiques (1643)
(2) du moins...de nos enfants ;
(3) peut-être
(4) en train d'accoucher
(5) en cas de siège (militaire) on creuse une mine et le rempart s'écroule
(6)Façonnée à l'image des déesses, elle est envoyée par Zeus comme châtiment aux hommes à qui Prométhée avait apporté le feu dérobé au Ciel. Hermès lui donne la ruse et la fourberie, la parole séduisante et l'art de tromper. De la boîte de Pandore s'échappèrent toutes les misères humaines ; seule l'espérance y demeura enfermée.
(7) la fourberie
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Message par crodan00 Mer 8 Juil - 3:40

L'ALOUETTE ET SES PETITS AVEC LE MAITRE D'UN CHAMP


Jean de la Fontaine Alouet10


Ne t'attends qu'à toi seul (1) : c'est un commun proverbe.
Voici comme Esope le mit
En crédit :

Les alouettes font leur nid
Dans les blés, quand ils sont en herbe,
C'est-à-dire environ le temps
Que tout aime et que tout pullule dans le monde (2),
Monstres marins au fond de l'onde,
Tigres dans les forêts, alouettes aux champs.
Une pourtant de ces dernières
Avait laissé passer la moitié d'un printemps
Sans goûter le plaisir des amours printanières.
A toute force enfin elle se résolut
D'imiter la nature, et d'être mère encore.
Elle bâtit un nid, pond, couve et fait éclore,
A la hâte : le tout alla du mieux qu'il put.
Les blés d'alentour mûrs avant que la nitée (3)
Se trouvât assez forte encor
Pour voler et prendre l'essor,
De mille soins divers l'alouette agitée
S'en va chercher pâture, avertit ses enfants
D'être toujours au guet et faire sentinelle.
«Si le possesseur de ces champs
Vient avecque son fils (comme il viendra) (4), dit-elle,
Ecoutez bien : selon ce qu'il dira
Chacun de nous décampera.»
Sitôt que l'alouette eût quitté sa famille
Le possesseur du champ vient avecque son fils.
« Ces blés sont mûrs, dit-il, allez chez nos amis
Les prier que chacun, apportant sa faucille,
Nous vienne aider demain dès la pointe du jour.»
Notre alouette de retour
Trouve en alarme sa couvée.
L'un commence : « Il a dit que, l'aurore levée,
L'on fît venir demain ses amis pour l'aider....
- S'il n'a dit que cela, repartit l'alouette,
Rien ne nous presse encor de changer de retraite ;
Mais c'est demain qu'il faut tout de bon écouter.
Cependant soyez gais; voilà de quoi manger.»
Eux repus, tout s'endort, les petits et la mère.
L'aube du jour arrive, et d'amis point du tout.
L'alouette à l'essor, le maître s'en vient faire
Sa ronde ainsi qu'à l'ordinaire.
«Ces blés ne devraient pas, dit-il, être debout.
Nos amis ont grand tort, et tort qui se repose
Sur de tels paresseux, à servir ainsi lents.
Mon fils, allez chez nos parents
Les prier de la même chose.»
L'épouvante est au nid plus forte que jamais.
« Il a dit ses parents, mère, c'est à cette heure...
- Non, mes enfants ; dormez en paix :
Ne bougeons de notre demeure.»
L'alouette eut raison, car personne ne vint.
Pour la troisième fois, le maître se souvint
De visiter ses blés. «Notre erreur est extrême,
Dit-il,de nous attendre à d'autres gens que nous.
Il n'est meilleur ami ni parent que soi-même.
Retenez bien cela, mon fils. Et savez-vous
Ce qu'il faut faire ? Il faut qu'avec notre famille
Nous prenions dès demain chacun une faucille :
C'est là notre plus court; et nous achèverons
Notre moisson quand nous pourrons.»
Dès lors que ce dessein fut su de l'alouette :
«C'est ce coup (5) qu'il est bon de partir, mes enfants.»
Et les petits, en même temps,
Voletants, se culebutants,
Délogèrent tous sans trompette.


(1) ne compte que sur toi-même
(2) Lucrèce : De Natura rerum, invocation à Vénus
(3) nichée ; mot inconnu des dictionnaires du 17ème ; certainement utilisé dans le patois picard ou champenois
(4) lorsqu'il viendra
(5) c'est maintenant
Le livre IV s'achève avec un superbe poème : "La Fontaine avait bien observé ces pays (la Beauce, la Sologne, la Picardie) sinon en maître des eaux et forêts, du moins en poète"
(Sainte-Beuve)
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Message par crodan00 Ven 10 Juil - 4:43

L'AMOUR ET LA FOLIE


Jean de la Fontaine Amfoli10


Tout est mystère dans l'Amour,
Ses flèches, son carquois, son flambeau, son enfance (1) :
Ce n'est pas l'ouvrage d'un jour
Que d'épuiser cette science.
Je ne prétends donc point tout expliquer ici :
Mon but est seulement de direà ma manière
Comment l'aveugle que voici
(C'est un Dieu), comment, dis-je, il perdit la lumière ;
Quelle suite eut ce mal, qui peut-être est un bien ;
J'en fais juge un amant, et ne décide rien.

La Folie et l'Amour jouaient un jour ensemble :
Celui-ci n'était pas encor privé des yeux.
Une dispute vint : l'Amour veut qu'on assemble
Là-dessus le conseil des dieux ;
L'autre n'eut pas la patience ;
Elle lui donne un coup si furieux,
Qu'il en perd la clarté des cieux.
Vénus en demande vengeance.
Femme et mère, il suffit pour juger de ses cris :
Les Dieux en furent étourdis,
Et Jupiter, et Némésis (2),
Et les Juges d'Enfer, enfin toute la bande.
Elle représenta l'énormité du cas :
Son fils, sans un bâton, ne pouvait faire un pas :
Nulle peine n'était pour ce crime assez grande :
Le dommage devait être aussi réparé.
Quand on eut bien considéré
L'intérêt du Public, celui de la Partie,
Le résultat (3) enfin de la suprême Cour
Fut de condamner la Folie
A servir de guide à l'Amour.


La source de la fable : "l'Amour et la Folie"
est à chercher vraisemblablement dans les
"Oeuvres de Louise Labé Lyonnaise" (1555) :
"Débat de Folie et d'Amour", ou dans la fable XII
du père Commire dans ses "Carmina" (1681).
"Cette charmante allégorie a vite été reconnue pour
un chef-d'oeuvre de la poésie galante"(J.P. Collinet, la Pléiade)
"[...] La plus jolie (fable) parmi les modernes fut celle
de la Folie, qui, ayant crevé les yeux à l'Amour, est
condamnée à lui servir de guide." (Voltaire :
"Dictionnaire philosophique")
"Toute cette allégorie est parfaite d'un bout à l'autre;
et quel dénouement ! Est-ce un bien, est-ce un mal
que la Folie soit le guide de l'Amour ? C'est le cas de
répéter le mot de L.F. : j'en fais juge un amant et
ne décide rien" (Chamfort "Les Trois Fabulistes")
"C'est le chef-d'oeuvre de l'alexandrinisme de L.F.,
où s'allient l'art du récit, l'humour, la musique, l'esprit délicat,
pour fronder la morale vulgaire et servir la sagesse."
(M.Fumaroli, "L.F., fables")

(1) le fait d'être représenté par un enfant
(2) mythologie grecque : Fille de la nuit,
elle personnifie la vengeance divine.
(3) la décision
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Message par crodan00 Sam 11 Juil - 5:15

L'Âne chargE d'Eponges et l'Âne
chargÉ de sel (*)


Jean de la Fontaine Cpanch10


Un Ânier, son sceptre (1) à la main,
Menait, en Empereur romain,
Deux Coursiers à longues oreilles.
L'un d'éponges chargé, marchait comme un courrier (2) ;
Et l'autre se faisant prier
Portait, comme on dit, les bouteilles (3) :
Sa charge était de sel. Nos gaillards Pèlerins,
Par monts, par vaux et par chemins,
Au gué d'une rivière à la fin arrivèrent,
Et fort empêchés se trouvèrent.
L'ânier qui tous les jours traversait ce gué là,
Sur l'Âne à l'éponge monta,
Chassant devant lui l'autre Bête,
Qui voulant en faire à sa tête,
Dans un trou se précipita,
Revint sur l'eau, puis échappa (4) ;
Car au bout de quelques nagées (5),
Tout son sel se fondit si bien
Que le Baudet ne sentit rien
Sur ses épaules soulagées.
Camarade Épongier (5) prit exemple sur lui,
Comme un mouton (6) qui va dessus la foi d'autrui.
Voilà mon Âne à l'eau, jusqu'au col il se plonge,
Lui, le Conducteur, et l'Éponge.
Tous trois burent d'autant (7): l'Ânier et le Grison (Cool
Firent à l'éponge raison.
Celle-ci devint si pesante,
Et de tant d'eau s'emplit d'abord,
Que l'Âne succombant ne put gagner le bord.
L'ânier l'embrassait dans l'attente
D'une prompte et certaine mort.
Quelqu'un vint au secours : qui ce fut, il n'importe ;
C'est assez qu'on ait vu par là qu'il ne faut point
Agir chacun de même sorte.
J'en voulais venir à ce point. (9)



(*) Source : Ésope "L'âne qui porte du sel", où un même âne est chargé d'abord de sel, puis d'éponges.
L'idée de mettre en scène 2 animaux vient de Faerne.
Verdizzotti avait repris le sujet. Ces deux derniers auteurs sont la source de La Fontaine.(d'après G. Couton, Garnier)

(1) en principe, on parle du bâton de l'ânier...L'emploi des termes dans ces 3 premiers vers dépasse de façon burlesque les idées à exprimer.
(2) comme celui qui porte les dépêches à vive allure.
(3) on peut penser qu'il portait des choses fragiles.
(4) s'en alla
(5) mots amusants, inventés par La Fontaine.
(6) allusion aux "moutons de Panurge" (Rabelais, Quart Livre)
(7) burent beaucoup
(Cool l'âne
(9) Moralité chez Faerne : "La même méthode ne convient
pas à tout le monde" (d'après la traduction de la fable latine de
M.Fumaroli "Fables" éd. La pochothèque)
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Message par crodan00 Sam 11 Juil - 5:25

L'ÂNE ET LE CHIEN


Jean de la Fontaine Anchie10


Il se faut entraider, c'est la loi de nature :
L'Âne un jour pourtant s'en moqua :
Et ne sais comme il y manqua ;
Car il est bonne créature.
Il allait par pays accompagné du Chien,
Gravement, sans songer à rien,
Tous deux suivis d'un commun maître.
Ce maître s'endormit : l'Âne se mit à paître :
Il était alors dans un pré,
Dont l'herbe était fort à son gré.
Point de chardons pourtant ; il s'en passa pour l'heure :
Il ne faut pas toujours être si délicat ;
Et faute de servir ce plat
Rarement un festin demeure.
Notre Baudet s'en sut enfin
Passer pour cette fois. Le Chien mourant de faim
Lui dit : Cher compagnon, baisse-toi, je te prie ;
Je prendrai mon dîné dans le panier au pain.
Point de réponse, mot ; le Roussin d'Arcadie
Craignit qu'en perdant un moment,
Il ne perdît un coup de dent.
Il fit longtemps la sourde oreille :
Enfin il répondit : Ami, je te conseille
D'attendre que ton maître ait fini son sommeil ;
Car il te donnera sans faute à son réveil,
Ta portion accoutumée.
Il ne saurait tarder beaucoup.
Sur ces entrefaites un Loup
Sort du bois, et s'en vient ; autre bête affamée.
L'Âne appelle aussitôt le Chien à son secours.
Le Chien ne bouge, et dit : Ami, je te conseille
De fuir, en attendant que ton maître s'éveille ;
Il ne saurait tarder ; détale vite, et cours.
Que si ce Loup t'atteint, casse-lui la mâchoire.
On t'a ferré de neuf ; et si tu me veux croire,
Tu l'étendras tout plat. Pendant ce beau discours
Seigneur Loup étrangla le Baudet sans remède.
Je conclus qu'il faut qu'on s'entraide.



Source : Abstemius (Lorenzo Bevilacqua, humaniste italien, XVème siècle. Il publia à Venise à la fin du XVème siècle, des fables latines qui inspirèrent en partie La Fontaine.)

La moralité est à peu près la même que celle de la fable Le Cheval et l'Ane : il faut s'entr'aider...
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Message par crodan00 Dim 12 Juil - 5:34

L'ANE ET LE PETIT CHIEN


Jean de la Fontaine Anchie11


Ne forçons point notre talent ;
Nous ne ferions rien avec grâce (1) :
Jamais un lourdaud, quoi qu'il fasse,
Ne saurait passer pour galant.
Peu de gens, que le ciel chérit et gratifie,
Ont le don d'agréer infus (2) avec la vie.
C'est un point qu'il leur faut laisser,
Et ne pas ressembler à l'âne de la fable,
Qui, pour se rendre plus aimable
Et plus cher à son maître, alla le caresser.
«Comment ? disait-il en son âme,
Ce chien, parce qu'il est mignon,
Vivra de pair à compagnon (3)
Avec Monsieur, avec madame !
Et j'aurai des coups de bâton !
Que fait-il ? Il donne la patte ;
Puis aussitôt il est baisé.
S'il en faut faire autant afin que l'on me flatte,
Cela n'est pas bien malaisé."»
Dans cette admirable pensée,
Voyant son maître en joie, il s'en vient lourdement,
Lève une corne toute usée,
La lui porte au menton fort amoureusement,
Non sans accompagner pour plus grand ornement
De son chant gracieux cette action hardie.
« Oh! oh! quelle caresse! et quelle mélodie!
Dit le maître aussitôt. Holà, Martin bâton. »
Martin bâton accourt : l'âne change de ton.
Ainsi finit la comédie


(*) Source : Esope "le chien et son maître"
recueil Névelet, p.261

(1) Mlle de Scudéry, dans "Le Grand Cyrus", dans une conversation sur l'art de railler avec grâce :
" [...] ce que je veux principalement, est que chacun connaisse son talent, et s'en contente [...]."
(J.P. Collinet)
(2) "qu'il a plu à Dieu de verser dans l'âme"
(dict. de l'Académie, 1694) (la science infuse)
(3) vivra en égal
(4) "On dit Martin bâton, en parlant d'un bâton dont on frappe les ânes, qu'on appelle Martin, comme si on disait le bâton à Martin" (Furetière)
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Message par crodan00 Lun 13 Juil - 3:22

L'ÂNE ET SES MAITRES


Jean de la Fontaine Anmait10

L'Âne d'un Jardinier se plaignait au Destin
De ce qu'on le faisait lever devant l'aurore.
Les Coqs, lui disait-il, ont beau chanter matin ;
Je suis plus matineux encor.
Et pourquoi ? Pour porter des herbes au marché.
Belle nécessité d'interrompre mon somme !
Le sort de sa plainte touché
Lui donne un autre Maître ; et l'Animal de somme
Passe du Jardinier aux mains d'un Corroyeur.
La pesanteur des peaux, et leur mauvaise odeur
Eurent bientôt choqué l'impertinente Bête.
J'ai regret, disait-il, à mon premier Seigneur.
Encor quand il tournait la tête,
J'attrapais, s'il m'en souvient bien,
Quelque morceau de chou qui ne me coûtait rien.
Mais ici point d'aubaine ; ou si j'en ai quelqu'une
C'est de coups. Il obtint changement de fortune,
Et sur l'état d'un Charbonnier
Il fut couché tout le dernier.
Autre plainte. Quoi donc, dit le Sort en colère,
Ce Baudet-ci m'occupe autant
Que cent Monarques pourraient faire.
Croit-il être le seul qui ne soit pas content ?
N'ai-je en l'esprit que son affaire ?

Le Sort avait raison ; tous gens sont ainsi faits :
Notre condition jamais ne nous contente :
La pire est toujours la présente.
Nous fatiguons le Ciel à force de placets. (1)
Qu'à chacun Jupiter accorde sa requête,
Nous lui romprons encor la tête.


Sources : Esope, l'âne et le jardinier (Nevelet, p.127) ; Faerne : l'âne changeant de maître

(1) Requête
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Message par crodan00 Mar 14 Juil - 3:19

L'ANE PORTANT DES RELIQUES


Jean de la Fontaine Anerel10


Un Baudet chargé de reliques (1)
S'imagina qu'on l'adorait.
Dans ce penser il se carrait, (2)
Recevant comme siens l'encens et les cantiques.
Quelqu'un vit l'erreur, et lui dit :
Maître Baudet, ôtez-vous de l'esprit
Une vanité si folle.
Ce n'est pas vous, c'est l'idole,
A qui cet honneur se rend,
Et que la gloire en est due. (3)

D'un magistrat ignorant
C'est la robe qu'on salue
.

Voici la morale de la fable d'Esope "L'âne chargé
d'une idole" (Esope, traduction D. Loayza, Flammarion)
dont La Fontaine s'est inspiré "La fable montre que
les gens qui se targuent des qualités d'autrui se rendent
ridicules aux yeux de ceux qui les connaissent."

(1) La Fontaine adapte l'origine païenne de la fable
en remplaçant le mot "idole" par "reliques"
(2) se pavanait
(3)et à laquelle la gloire est due
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Message par crodan00 Mar 14 Juil - 3:24

L'ANE VETU DE LA PEAU DU LION


Jean de la Fontaine Anpoli10


De la peau du Lion l’Âne s’étant vêtu
Etait craint partout à la ronde,
Et bien qu’Animal sans vertu, (1)
Il faisait trembler tout le monde.
Un petit bout d’oreille échappé par malheur
Découvrit la fourbe (2) et l’erreur.
Martin (3) fit alors son office.
Ceux qui ne savaient pas la ruse et la malice (4)
S’étonnaient de voir que Martin
Chassât les Lions au moulin. (5)

Force gens font du bruit (6) en France
Par qui cet apologue est rendu familier.
Un équipage cavalier (7)
Fait les trois quarts de leur vaillance.



Source de la fable : Esope
"l'Ane vêtu de la peau du Lion et le Renard"
"l'Ane qui passait pour être un lion"
A la fin de la fable, La Fontaine songe-t-il aux "mousquetaires et dauphins" envoyés contre l'évêque de Munster et peu glorieusement pris dans une embuscade ? (R. Jasinski, La Fontaine et le premier recueil des fables, p.267)

(1) courage
(2) malhonnêteté
(3) "On dit [...] Martin bâton, en parlant d'un bâton dont on frappe les ânes, qu'on appelle Martin, comme si on disait le bâton à Martin " (Furetière) (Fables, oeuvres complètes, éd. La Pléiade)
(4) le sens actuel de "disposition à railler, à taquiner, sans méchanceté réelle, facétie" est apparu au milieu du XVIIème siècle
(5) les lions, d'ordinaire, ne vont pas porter de grain au moulin
(6) font parler d'eux
(7) tout ce qui est nécessaire pour s'entretenir honorablement ;
cavalier : noble, conquérant, portant épée.
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Message par crodan00 Mer 15 Juil - 5:05

UN ANIMAL DANS LA LUNE


Jean de la Fontaine Anilun10


Pendant qu'un Philosophe assure,
Que toujours par leurs sens les hommes sont dupés,
Un autre Philosophe jure,
Qu'ils ne nous ont jamais trompés.
Tous les deux ont raison ; et la Philosophie
Dit vrai, quand elle dit que les sens tromperont
Tant que sur leur rapport les hommes jugeront ;
Mais aussi si l'on rectifie
L'image de l'objet sur (1) son éloignement,
Sur le milieu qui l'environne,
Sur l'organe, et sur l'instrument,
Les sens ne tromperont personne.
La nature ordonna ces choses sagement :
J'en dirai quelque jour les raisons amplement.
J'aperçois le Soleil ; quelle en est la figure ?
Ici-bas ce grand corps n'a que trois pieds de tour :
Mais si je le voyais là-haut dans son séjour,
Que serait-ce à mes yeux que l'oeil de la nature (2) ?
Sa distance me fait juger de sa grandeur ;
Sur l'angle et les côtés ma main la détermine (3) ;
L'ignorant le croit plat, j'épaissis sa rondeur ;
Je le rends immobile, et la terre chemine (4).
Bref je démens mes yeux en toute sa machine (5).
Ce sens ne me nuit point par son illusion.
Mon âme en toute occasion
Développe (6) le vrai caché sous l'apparence.
Je ne suis point d'intelligence
Avecque mes regards peut-être un peu trop prompts,
Ni mon oreille lente à m'apporter les sons.
Quand l'eau courbe un bâton, ma raison le redresse,
La raison décide en maîtresse.
Mes yeux, moyennant ce secours,
Ne me trompent jamais, en me mentant toujours.
Si je crois leur rapport, erreur assez commune,
Une tête de femme est au corps de la lune.
Y peut-elle être ? Non. D'où vient donc cet objet ?
Quelques lieux inégaux font de loin cet effet.
La Lune nulle part n'a sa surface unie :
Montueuse en des lieux, en d'autres aplanie,
L'ombre avec la lumière y peut tracer souvent,
Un homme, un boeuf, un éléphant.
Naguère l'Angleterre y vit chose pareille,
La lunette placée, un animal nouveau
Parut dans cet astre si beau ;
Et chacun de crier merveille.
Il était arrivé là-haut un changement
Qui présageait sans doute un grand événement.
Savait-on si la guerre entre tant de puissances
N'en était point l'effet ? Le Monarque accourut :
Il favorise en Roi ces hautes connaissances.
Le Monstre dans la Lune à son tour lui parut.
C'était une Souris cachée entre les verres :
Dans la lunette était la source de ces guerres.
On en rit. Peuple heureux, quand pourront les François
Se donner comme vous entiers à ces emplois ?
Mars nous fait recueillir d'amples moissons de gloire :
C'est à nos ennemis de craindre les combats,
A nous de les chercher, certains que la victoire,
Amante de Louis, suivra partout ses pas.
Ses lauriers nous rendront célèbres dans l'histoire.
Même les filles de Mémoire
Ne nous ont point quittés : nous goûtons des plaisirs :
La paix fait nos souhaits, et non point nos soupirs.
Charles en sait jouir. Il saurait dans la guerre
Signaler sa valeur, et mener l'Angleterre
A ces jeux qu'en repos elle voit aujourd'hui.
Cependant, s'il pouvait apaiser la querelle,
Que d'encens ! Est-il rien de plus digne de lui ?
La carrière d'Auguste a-t-elle été moins belle
Que les fameux exploits du premier des Césars ?
O peuple trop heureux, quand la paix viendra-t-elle
Nous rendre comme vous tout entiers aux beaux-arts?


Le point de départ de la fable semble être un poème satirique l'éléphant dans la lune, de l'écrivain Samuel Butler, dans lequel la Société royale de Londres ( une académie des sciences, fondée en 1660) était ridiculisée. La Fontaine avait certainement eu connaissance de ce poème, non encore publié (il ne le sera qu'en 1759), par ses amis de Londres, parmi lesquels St Evremond.
"Avec cette fable, La Fontaine dit ainsi son mot dans un débat éternel de la philosophie, en reprenant des arguments et des exemples déjà utilisés bien des fois" (G. Couton, fables, classiques Garnier p.480)
Les thème de la crédulité au premier degré, de la superstition sans aucun usage de la raison sont abordés.
La Fontaine fait aussi l'éloge de la paix, par l'évocation des règnes de Charles II d'Angleterre et d'Auguste par rapport à celui de Louis XIV, toujours en guerre.

(1) d'après
(2) plusieurs interprétations peuvent être faites. Apparemment : que serait le soleil (l'oeil de la nature) si je le voyais de près.
(3) opération de trigonométrie élémentaire qui remonte à Aristote, auquel Gassendi reste fidèle sur ce point (M. Fumaroli, note p.881, La Fontaine, fables, éd. la Pochothèque)
(4) fait son chemin
(5) la machine qu'est la terre. Je rejette le témoignage des sens à propos de la forme et du mouvement de la machine ronde (G. Couton, fables, classiques Garnier p.481)
(6) sens de : retire l'enveloppe
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Message par crodan00 Jeu 16 Juil - 4:05

LES ANIMAUX MALADES DE LA PESTE


Jean de la Fontaine Anpest10


Un mal qui répand la terreur,
Mal que le Ciel en sa fureur (1)
Inventa pour punir les crimes de la terre,
La Peste (puisqu'il faut l'appeler par son nom),
Capable d'enrichir en un jour l'Achéron, (2)
Faisait aux animaux la guerre.
Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés :
On n'en voyait point d'occupés
A chercher le soutien d'une mourante vie ; (3)
Nul mets n'excitait leur envie ;
Ni Loups ni Renards n'épiaient
La douce et l'innocente proie.
Les Tourterelles se fuyaient ;
Plus d'amour, partant (4) plus de joie.
Le Lion tint conseil, et dit : Mes chers amis,
Je crois que le Ciel a permis
Pour nos péchés cette infortune ;
Que le plus coupable de nous
Se sacrifie aux traits du céleste courroux ;
Peut-être il obtiendra la guérison commune.
L'histoire nous apprend qu'en de tels accidents (5)
On fait de pareils dévouements : (6)
Ne nous flattons (7) donc point ; voyons sans indulgence
L'état de notre conscience.
Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons
J'ai dévoré force moutons ;
Que m'avaient-ils fait ? Nulle offense (Cool :
Même il m'est arrivé quelquefois de manger
Le Berger.
Je me dévouerai donc, s'il le faut ; mais je pense
Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi
Car on doit souhaiter selon toute justice
Que le plus coupable périsse.
Sire, dit le Renard, vous êtes trop bon Roi ;
Vos scrupules font voir trop de délicatesse ;
Et bien, manger moutons, canaille, sotte espèce.
Est-ce un péché ? Non non. Vous leur fîtes, Seigneur,
En les croquant beaucoup d'honneur;
Et quant au Berger, l'on peut dire
Qu'il était digne de tous maux,
Etant de ces gens-là qui sur les animaux
Se font un chimérique empire.
Ainsi dit le Renard, et flatteurs d'applaudir.
On n'osa trop approfondir
Du Tigre, ni de l'Ours, ni des autres puissances
Les moins pardonnables offenses.
Tous les gens querelleurs, jusqu'aux simples Mâtins (9),
Au dire de chacun, étaient de petits saints.
L'Âne vint à son tour, et dit : J'ai souvenance
Qu'en un pré de Moines passant,
La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et je pense
Quelque diable aussi me poussant,
Je tondis de ce pré la largeur de ma langue.
Je n'en avais nul droit, puisqu'il faut parler net.
A ces mots on cria haro (10) sur le Baudet.
Un Loup quelque peu clerc (11) prouva par sa harangue
Qu'il fallait dévouer ce maudit Animal,
Ce pelé, ce galeux, d'où venait tout leur mal.
Sa peccadille fut jugée un cas pendable.
Manger l'herbe d'autrui ! quel crime abominable !
Rien que la mort n'était capable
D'expier son forfait : on le lui fit bien voir.
Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de Cour (12) vous rendront blanc ou noir.


Les sources de cette fable se trouvent certainement dans des récits du XVIème :
"De la confession de l'âne, du renard et du loup", de Guillaume Haudent (Apologues, II, 60, 1547)
"Fable morale du lion, du loup et de l'âne" de Guillaume Guéroult (Premier livre des Emblèmes, p.40-44, 1550)
"Fable 1 de la XIIIème et dernière nuit des "Facétieuses Nuits de Straparole", traduites par Larivey au XVIéme.
"Cette comédie très noire, dont le suspens est savamment ménagé, rejoint donc par le détour de l'ironie la haute et sombre inspiration tragique de Sophocle, de Thucydide et de Lucrèce, parente de celle des Psaumes." (M. Fumaroli, Fables, la Pochothèque)

" C'est presque l'histoire de toute société humaine " (Chamfort)

(1) "Se dit quelquefois de la colère de Dieu" (dict. de l'Académie 1694)
(2) dans la mythologie : Fleuve des Enfers, frontière du royaume des Morts. Allusion à la peste de Thèbes décrite par Sophocle dans Oedipe-Roi
(3) à chercher à se nourrir
(4) par conséquent
(5) ce qui arrive par hasard, ici : malheur imprévu
(6) le dévouement est pris au sens de vouer aux dieux infernaux comme victime, sacrifier.
(7) ne nous traitons point avec douceur
(Cool tort qu'on fait à quelqu'un
(9) chien dressé à la garde d'une cour, d'un troupeau
(10) Exclamation en usage à l'époque pour arrêter les malfaiteurs
(11) habile, qui est savant (Richelet)
(12) cour de justice
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Message par crodan00 Ven 17 Juil - 4:38

L'Araignée et l'Hirondelle


Jean de la Fontaine Araihi10


Ô Jupiter, qui sus de ton cerveau,
Par un secret d’accouchement nouveau,
Tirer Pallas (1) , jadis mon ennemie,
Entends ma plainte une fois en ta vie.
Progné (2) me vient enlever les morceaux
Caracolant, frisant l’air et les eaux
Elle me prend mes mouches à ma porte
Miennes je puis les dire ; et mon réseau
En serait plein sans ce maudit Oiseau ;
Je l’ai tissu (3) de matière assez forte.
Ainsi, d’un discours insolent,
Se plaignait l’Araignée autrefois tapissière,
Et qui, lors étant filandière,
Prétendait enlacer tout insecte volant.
La soeur de Philomèle (4), attentive à sa proie,
Malgré le bestion (5) happait mouches dans l’air,
Pour ses petits, pour elle, impitoyable joie,
Que ses enfants gloutons, d’un bec toujours ouvert,
D’un ton demi-formé, bégayante couvée,
Demandaient par des cris encor mal entendus.
La pauvre Aragne n’ayant plus
Que la tête et les pieds, artisans superflus,
Se vit elle-même enlevée.
L’Hirondelle en passant emporta toile, et tout,
Et l’animal pendant au bout,
Jupin pour chaque état (6) mit deux tables au monde.
L’adroit, le vigilant, et le fort sont assis
À la première ; et les petits
Mangent leur reste à la seconde



La source de cette fable se trouve chez Abstémius :"L'araignée et l'hirondelle" . L'araignée, qui voulait prendre l'hirondelle dans sa toile justifiait la morale : ne rien entreprendre au-dessus de ses forces.

(1) Pallas sortit de la tête de Zeus (Jupiter).
Pallas (Minerve) métamorphosa Arachné en araignée parce qu'elle l'avait défiée dans l'art de la broderie (Ovide, Métamorphoses, VI, 1-145)
(2) dans la mythologie, Philomèle avait été transformée en rossignol, Progné en hirondelle, Térée en huppe. (V. la fable Philomèle et Progné :III, 15)
(3) tissé. Participe passé de l'ancien français tistre, tisser.
(4) Donc, Progné l'hirondelle
(5) l'araignée
(6) condition sociale
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Message par crodan00 Sam 18 Juil - 6:35

L'astrologue qui se laisse tomber dans un puits (*)


Jean de la Fontaine Astrol10


Un Astrologue un jour se laissa choir
Au fond d'un puits. On lui dit : Pauvre bête,
Tandis qu'à peine à tes pieds tu peux voir,
Penses-tu lire au-dessus de ta tête (1)?

Cette aventure en soi, sans aller plus avant,
Peut servir de leçon à la plupart des hommes.
Parmi ce que de gens sur la terre nous sommes,
Il en est peu qui fort souvent
Ne se plaisent d'entendre dire
Qu'au Livre du Destin les mortels peuvent lire.
Mais ce Livre qu'Homère et les siens ont chanté,
Qu'est-ce, que le hasard parmi l'Antiquité,
Et parmi nous la Providence ?
Or du hasard il n'est point de science (2) :
S'il en était, on aurait tort
De l'appeler hasard, ni fortune, ni sort,
Toutes choses très incertaines.
Quant aux volontés souveraines
De celui qui fait tout, et rien qu'avec dessein,
Qui les sait, que lui seul ? Comment lire en son sein ?
Aurait-il imprimé sur le front des étoiles
Ce que la nuit des temps enferme dans ses voiles ?
A quelle utilité ? Pour exercer l'esprit
De ceux qui de la sphère et du globe ont écrit ?
Pour nous faire éviter des maux inévitables ?
Nous rendre dans les biens de plaisir incapables ?
Et causant du dégoût pour ces biens prévenus (3),
Les convertir en maux devant (4) qu'ils soient venus ?
C'est erreur, ou plutôt c'est crime de le croire.
Le firmament se meut ; les astres font leur cours,
Le soleil nous luit tous les jours,
Tous les jours sa clarté succède à l'ombre noire,
Sans que nous en puissions autre chose inférer
Que la nécessité de luire et d'éclairer,
D'amener les saisons, de mûrir les semences,
De verser sur les corps certaines influences.
Du reste, en quoi répond au sort toujours divers
Ce train toujours égal dont marche l'univers ?
Charlatans, faiseurs d'horoscope,
Quittez les Cours des Princes de l'Europe ;
Emmenez avec vous les souffleurs tout d'un temps.
Vous ne méritez pas plus de foi que ces gens.
Je m'emporte un peu trop ;: revenons à l'histoire
De ce Spéculateur (5) qui fut contraint de boire.
Outre la vanité de son art mensonger,
C'est l'image de ceux qui bâillent (6) aux chimères
Cependant qu'ils sont en danger,
Soit pour eux, soit pour leurs affaires.


Le titre de la fable évoque Thalès de Milet (-625 ; -547)
philosophe ayant étudié l'astronomie, qui tombe dans un trou ouvert sous ses pieds parce qu'il regarde les "choses du ciel".
La fable en tant que telle est assez réduite, et fait place rapidement à une profonde réflexion de l'auteur.
L'astrologie passionne les esprits au XVIIème siècle, le mot "charlatans" évoque peut-être la médecine fondée sur les partisans de la considération du corps humain comme la réduction de l'univers ou auquel il correspond dans ses diverses parties.
"faiseurs d'horoscope" : on avait fait l'horoscope de Louis XIV à sa naissance...
Le "souffleur" est à la recherche de la pierre philosophale : cette substance qui transmute les métaux en or.
La Fontaine critique l'astrologie (et non l'astronomie...), la place que se donne l'homme par rapport à Dieu, et sépare les lois qui régissent l'Univers de ce qui peut arriver aux hommes


(*) Source : Ce n'est pas directement Ésope, mais Ésope en est le point de départ...

(1) au-dessus de tes possibilités
(2) La Fontaine affirme sa position que tout ce qui existe a une raison d'être, accessible à la raison...
(3) connus d'avance (biens : ce qui arrive d'heureux)
(4) avant
(5) observateur, celui qui examine.
Revenons à l'histoire de ce spéculateur (l'astrologue)
(6) verbe confondu avec bayer ou béer, veut dire ici : regarder avec étonnement
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Message par crodan00 Dim 19 Juil - 5:23

L'AVANTAGE DE LA SCIENCE


Jean de la Fontaine Avants10


Entre deux Bourgeois d'une Ville
S'émut (1)jadis un différend.
L'un était pauvre, mais habile,
L'autre riche, mais ignorant.
Celui-ci sur son concurrent
Voulait emporter l'avantage :
Prétendait que tout homme sage
Etait tenu de l'honorer.
C'était tout homme sot ; car pourquoi révérer
Des biens dépourvus de mérite ?
La raison m'en semble petite.
Mon ami, disait-il souvent
Au savant,
Vous vous croyez considérable ; (2)
Mais, dites-moi, tenez-vous table ? (3)
Que sert à vos pareils de lire incessamment ? (4)
Ils sont toujours logés à la troisième chambre,
Vêtus au mois de Juin comme au mois de décembre,
Ayant pour tout Laquais leur ombre seulement.
La République a bien affaire
De gens qui ne dépensent rien :
Je ne sais d'homme nécessaire
Que celui dont le luxe épand beaucoup de bien.
Nous en usons, Dieu sait : notre plaisir occupe
L'artisan, le vendeur, celui qui fait la jupe,
Et celle qui la porte, et vous, qui dédiez
À Messieurs les gens de finance
De méchants livres bien payés.
Ces mots remplis d'impertinence
Eurent le sort qu'ils méritaient.
L'homme lettré se tut, il avait trop à dire.
La guerre le vengea bien mieux qu'une satire.
Mars détruisit le lieu que nos gens habitaient.
L'un et l'autre quitta sa ville.
L'ignorant resta sans asile ;
Il reçut partout des mépris :
L'autre reçut partout quelque faveur nouvelle.
Cela décida leur querelle.
Laissez dire les sots ; le savoir a son prix.


Source : Abstémius, fable 145 ou Le riche ignare et le pauvre savant (Nevelet)

(1) s'éleva
(2) qui doit être considéré
(3) tenir table : donner à manger
(4) sans cesse
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Message par crodan00 Lun 20 Juil - 4:07

L'AVARE QUI A PERDU SON TRESOR


Jean de la Fontaine Avtres10


L'usage seulement fait la possession.
Je demande à ces gens de qui la passion
Est d'entasser toujours, mettre somme sur somme,
Quel avantage ils ont que n'ait pas un autre homme.
Diogène là-bas (1) est aussi riche qu'eux,
Et l'avare ici-haut (2) comme lui vit en gueux.
L'homme au trésor caché qu'Esope nous propose,
Servira d'exemple à la chose.
Ce malheureux attendait,
Pour jouir de son bien, une seconde vie ;
Ne possédait pas l'or, mais l'or le possédait.
Il avait dans la terre une somme enfouie,
Son coeur avec, n'ayant autre déduit (3)
Que d'y ruminer jour et nuit,
Et rendre sa chevance (4) à lui-même sacrée.
Qu'il allât ou qu'il vînt, qu'il bût ou qu'il mangeât,
On l'eût pris de bien court (5), à moins qu'il ne songeât
A l'endroit où gisait cette somme enterrée.
Il y fit tant de tours qu'un Fossoyeur (6) le vit,
Se douta du dépôt, l'enleva sans rien dire.
Notre avare, un beau jour ne trouva que le nid.
Voilà mon homme aux pleurs : il gémit, il soupire.
Il se tourmente, il se déchire.
Un passant lui demande à quel sujet ses cris.
C'est mon trésor que l'on m'a pris.
Votre trésor ? où pris ? Tout joignant (7) cette pierre.
Eh sommes-nous en temps de guerre
Pour l'apporter si loin ? N'eussiez-vous pas mieux fait
De le laisser chez vous en votre cabinet,
Que de le changer de demeure ?
Vous auriez pu sans peine y puiser à toute heure.
A toute heure, bons Dieux ! ne tient-il qu'à cela ?
L'argent vient-il comme il s'en va ?
Je n'y touchais jamais. Dites-moi donc, de grâce,
Reprit l'autre, pourquoi vous vous affligez tant,
Puisque vous ne touchiez jamais à cet argent :
Mettez une pierre à la place,
Elle vous vaudra tout autant (Cool.


Molière a présenté sa pièce "l'Avare" peu de
temps après la publication de la fable de La Fontaine.

La fable d'Esope "L'Avare" (recueil Nevelet), source
de celle de la Fontaine, se terminait par :
"La fable montre que sans l'usage, la possession
n'est rien", morale reprise dans le premier vers de
La Fontaine. La Fontaine qui ne s'est jamais soucié
d'accumuler pendant sa vie et a toujours eu des
difficultés avec l'argent affiche son ironie envers
les avares.


(1) ce philosophe grec se moquait de l'argent et
vivait dans un tonneau ; là-bas veut dire chez
les morts.
(2) ici-haut : sur terre
(3) distraction, divertissement
(4) bien, richesse
(5) il y songeait sans cesse
(6) un terrassier
(7) près de
(Cool elle aura pour vous autant de valeur
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Message par crodan00 Mar 21 Juil - 3:26

LE BASSA (1) ET LE MARCHAND


Jean de la Fontaine Bassam10

Un Marchand grec en certaine contrée
Faisait trafic. Un Bassa l'appuyait ;
De quoi le Grec en Bassa (2) le payait,
Non en Marchand : tant c'est chère denrée
Qu'un protecteur. Celui-ci coûtait tant,
Que notre Grec s'allait partout plaignant.
Trois autres Turcs d'un rang moindre en puissance
Lui vont offrir leur support (3) en commun.
Eux trois voulaient moins de reconnaissance
Qu'à ce Marchand il n'en coûtait pour un.
Le Grec écoute : avec eux il s'engage ;
Et le Bassa du tout est averti :
Même on lui dit qu'il jouera, s'il est sage,
A ces gens-là quelque méchant parti, (4)
Les prévenant (5) , les chargeant d'un message
Pour Mahomet, droit en son paradis,
Et sans tarder. Sinon ces gens unis
Le préviendront, bien certains qu'à la ronde
Il a des gens tout prêts pour le venger.
Quelque poison l'envoira protéger
Les trafiquants qui sont en l'autre monde.
Sur cet avis le Turc se comporta
Comme Alexandre ; et plein de confiance
Chez le Marchand tout droit il s'en alla ;
Se mit à table : on vit tant d'assurance
En ses discours et dans tout son maintien,
Qu'on ne crut point qu'il se doutât de rien.
Ami, dit-il, je sais que tu me quittes ;
Même l'on veut que j'en craigne les suites ;
Mais je te crois un trop homme de bien :
Tu n'as point l'air d'un donneur de breuvage.(6)
Je n'en dis pas là-dessus davantage.
Quant à ces gens qui pensent t'appuyer,
Ecoute-moi. Sans tant de dialogue,
Et de raisons qui pourraient t'ennuyer,
Je ne te veux conter qu'un apologue.
Il était un Berger, son Chien, et son troupeau.
Quelqu'un lui demanda ce qu'il prétendait faire
D'un Dogue de qui l'ordinaire
Etait un pain entier. Il fallait bien et beau
Donner cet animal au Seigneur du village.
Lui Berger pour plus de ménage
Aurait deux ou trois Mâtineaux,
Qui lui dépensant moins veilleraient aux troupeaux
Bien mieux que cette bête seule.
Il mangeait plus que trois : mais on ne disait pas
Qu'il avait aussi triple gueule
Quand les Loups livraient des combats.
Le Berger s'en défait : il prend trois Chiens de taille
A lui dépenser moins, mais à fuir la bataille.
Le troupeau s'en sentit, et tu te sentiras
Du choix de semblable canaille.
Si tu fais bien, tu reviendras à moi.
Le Grec le crut. Ceci montre aux Provinces
Que, tout compté mieux vaut en bonne foi
S'abandonner à quelque puissant Roi,
Que s'appuyer de plusieurs petits princes.


Rare fable dont la source n'a pu être identifiée...

Fable double.
De la même façon que dans Le pouvoir des fables, La fontaine raconte une fable pour faire réfléchir et persuader le Grec : choisir un protecteur très puissant ou trois plus faibles et certainement moins efficaces.
Allusion à la politique de Louis XIV au cours de la guerre de Hollande.

(1) Pacha, ou gouverneur de province chez les Turcs
(2) en bassa : comme on paie un pacha
(3) appui
(4) quelque méchant tour
(5) les devançant
(6) poison
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Message par crodan00 Mer 22 Juil - 6:38

LA BELETTE ENTRÉE DANS UN GRENIER (*)


Jean de la Fontaine Belgre10


Damoiselle (1) Belette, au corps long et floüet,
Entra dans un grenier par un trou fort étret : (2)
Elle sortait de maladie.
Là, vivant à discrétion, (3)
La Galande fit chère lie, (4)
Mangea, rongea : Dieu sait la vie,
Et le lard qui périt en cette occasion.
La voilà pour conclusion
Grasse, maflue (5), et rebondie.
Au bout de la semaine, ayant dîné son soû,
Elle entend quelque bruit, veut sortir par le trou,
Ne peut plus repasser, et croit s'être méprise.
Après avoir fait quelques tours,
C'est, dit-elle, l'endroit, me voilà bien surprise ;
J'ai passé par ici depuis cinq ou six jours.
Un Rat, qui la voyait en peine
Lui dit : Vous aviez lors la panse un peu moins pleine.
Vous êtes maigre entrée, il faut maigre sortir.
Ce que je vous dis là, l'on le dit à bien d'autres.
Mais ne confondons point, par trop approfondir, (6 )
Leurs affaires avec les vôtres.


(*) Source : Ésope (Le renard au ventre gonflé) .
Horace avait réutilisé cet apologue dans une de ses Épîtres (I, 7)

(1) fille noble
(2) floüet : fluet ; étret : étroit.
(3) la rusée
(4) faire grande chère
(5) au visage plus que bien rempli
(6) allusion prudente à la Chambre de Justice, créée après l'arrestation de Fouquet pour contrôler les financiers et les obliger à rembourser leurs revenus illicites.
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Message par crodan00 Jeu 23 Juil - 4:00

LE BERGER ET LA MER (*)


Jean de la Fontaine Bergem10


Du rapport d'un troupeau dont il vivait sans soins,
Se contenta longtemps un voisin d'Amphitrite (1):
Si sa fortune était petite,
Elle était sûre tout au moins.
A la fin, les trésors déchargés sur la plage
Le tentèrent si bien qu'il vendit son troupeau,
Trafiqua (2) de l'argent, le mit entier(3) sur l'eau.
Cet argent périt par naufrage.
Son maître fut réduit à garder les brebis,
Non plus berger en chef comme il était jadis,
Quand ses propres moutons paissaient sur le rivage:
Celui qui s'était vu Coridon ou Tircis (4)
Fut Pierrot (4) et rien davantage.
Au bout de quelque temps, il fit quelques profits,
Racheta des bêtes à laine ;
Et comme un jour les vents retenant leur haleine
Laissaient paisiblement aborder les vaisseaux :
Vous voulez de l'argent, ô Mesdames les Eaux,
Dit-il, adressez-vous, je vous prie, à quelque autre:
Ma foi, vous n'aurez pas le nôtre.

Ceci n'est pas un conte à plaisir inventé.
Je me sers de la vérité
Pour montrer par expérience,
Qu'un sou quand il est assuré
Vaut mieux que cinq en espérance (5) ;
Qu'il se faut contenter de sa condition ;
Qu'aux conseils de la mer et de l'ambition
Nous devons fermer les oreilles.
Pour un qui s'en louera, dix mille s'en plaindront.
La mer promet monts et merveilles :
Fiez-vous y, les vents et les voleurs viendront.



Sagesse et prudence dans la gestion de nos biens,
c'est le conseil de La Fontaine ...

(*) Source : Esope
(1) un habitant du bord de mer. Amphitrite est la
déesse grecque de la mer, épouse de Poséidon
(2) fit du commerce maritime avec l'argent de la vente
(3) le plaça entièrement
(4) noms de bergers dans "Les Bucoliques" de Virgile
Ils sont propriétaires de leurs troupeaux, alors que le
nom de Pierrot est réservé au paysan
(5) allusion à la propagande faite pour la Compagnie des Indes qui fut liquidée en 1672
" Un tiens, vaut, ce dit-on, mieux que deux tu l'auras"
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Message par crodan00 Ven 24 Juil - 2:31

LE BERGER ET LE ROI


Jean de la Fontaine Bergro10


Deux démons (1) à leur gré partagent notre vie,
Et de son patrimoine ont chassé la raison.
Je ne vois point de coeur qui ne leur sacrifie.
Si vous me demandez leur état et leur nom,
J'appelle l'un Amour, et l'autre Ambition.
Cette dernière étend le plus loin son empire ;
Car même elle entre dans l'amour.
Je le ferais bien voir ; mais mon but est de dire
Comme un Roi fit venir un Berger à sa Cour.
Le conte est du bon temps (2) , non du siècle
[où nous sommes.
Ce Roi vit un troupeau qui couvrait tous les champs,
Bien broutant, en bon corps (3), rapportant tous les ans,
Grâce aux soins du Berger, de très notables sommes.
Le Berger plut au Roi par ces soins diligents.
Tu mérites, dit-il, d'être Pasteur de gens ;
Laisse là tes moutons, viens conduire des hommes.
Je te fais Juge souverain.
Voilà notre Berger la balance (4) à la main.
Quoiqu'il n'eût guère vu d'autres gens qu'un Ermite,
Son troupeau, ses mâtins, le loup, et puis c'est tout,
Il avait du bon sens ; le reste vient ensuite.
Bref, il en vint fort bien à bout.
L'Ermite son voisin accourut pour lui dire :
Veillé-je ? et n'est-ce point un songe que je vois ?
Vous favori ! vous grand ! Défiez-vous des Rois :
Leur faveur est glissante, on s'y trompe ; et le pire
C'est qu'il en coûte cher ; de pareilles erreurs
Ne produisent jamais que d'illustres malheurs.
Vous ne connaissez pas l'attrait qui vous engage.
Je vous parle en ami. Craignez tout. L'autre rit,
Et notre Ermite poursuivit :
Voyez combien déjà la Cour vous rend peu sage.
Je crois voir cet Aveugle à qui dans un voyage
Un Serpent engourdi de froid
Vint s'offrir sous la main : il le prit pour un fouet.
Le sien s'était perdu, tombant de sa ceinture.
Il rendait grâce au Ciel de l'heureuse aventure,
Quand un passant cria : Que tenez-vous, ô Dieux !
Jetez cet animal traître et pernicieux,
Ce Serpent. C'est un fouet . C'est un Serpent, vous dis-je.
A me tant tourmenter quel intérêt m'oblige ?
Prétendez-vous garder ce trésor ? Pourquoi non ?
Mon fouet était usé ; j'en retrouve un fort bon ;
Vous n'en parlez que par envie.
L'aveugle enfin ne le crut pas ;
Il en perdit bientôt la vie.
L'animal dégourdi piqua son homme au bras.
Quant à vous, j'ose vous prédire
Qu'il vous arrivera quelque chose de pire.
Eh ! que me saurait-il arriver que la mort ?
Mille dégoûts (5) viendront, dit le Prophète Ermite.
Il en vint en effet ; l'Ermite n'eut pas tort.
Mainte peste de Cour fit tant, par maint ressort, (6)
Que la candeur du Juge, ainsi que son mérite,
Furent suspects au Prince. On cabale, on suscite
Accusateurs et gens grevés (7) par ses arrêts.
De nos biens, dirent-ils, il s'est fait un palais.
Le Prince voulut voir ces richesses immenses ;
Il ne trouva partout que médiocrité, (Cool
Louanges du désert et de la pauvreté ;
C'étaient là ses magnificences.
Son fait, (9) dit-on, consiste en des pierres de prix.
Un grand coffre en est plein, fermé de dix serrures.
Lui-même ouvrit ce coffre, et rendit bien surpris
Tous les machineurs d'impostures.
Le coffre étant ouvert, on y vit des lambeaux,
L'habit d'un Gardeur de troupeaux,
Petit chapeau, jupon, panetière, houlette,
Et je pense aussi sa musette.
Doux trésors, ce dit-il, chers gages qui jamais
N'attirâtes sur vous l'envie et le mensonge,
Je vous reprends ; sortons de ces riches palais
Comme l'on sortirait d'un songe.
Sire, pardonnez-moi cette exclamation.
J'avais prévu ma chute en montant sur le faîte.
Je m'y suis trop complu ; mais qui n'a dans la tête
Un petit grain d'ambition ?



Henri Busson a étudié la source principale de cette fable, qui viendrait d'un récit figurant dans les dix voyages de J.B. Tavernier... en Turquie, en Perse, et aux Indes, Seconde partie où il est question des Indes et des îles voisines, Paris 1677.

(1) génie, bon ou mauvais
(2) du bon vieux temps
(3) en bonne santé
(4) symbole de la justice
(5) déboires
(6) intrigue
(7) lésés
(Cool peu de biens
(9) ses biens
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Message par crodan00 Sam 25 Juil - 5:13

LE BERGER ET SON TROUPEAU


Jean de la Fontaine Bertro10


Quoi ? toujours il me manquera
Quelqu'un de ce peuple imbécile !
Toujours le Loup m'en gobera !
J'aurai beau les compter : ils étaient plus de mille,
Et m'ont laissé ravir notre pauvre Robin ;
Robin mouton qui par la ville
Me suivait pour un peu de pain
Et qui m'aurait suivi jusques au bout du monde.
Hélas ! de ma musette(1) il entendait (2) le son ;
Il me sentait venir de cent pas à la ronde.
Ah le pauvre Robin mouton !
Quand Guillot eut fini cette oraison funèbre
Et rendu de Robin la mémoire célèbre.
Il harangua tout le troupeau,
Les chefs, la multitude, et jusqu'au moindre agneau,
Les conjurant de tenir ferme :
Cela seul suffirait pour écarter les Loups.
Foi de peuple d'honneur, ils lui promirent tous
De ne bouger non plus (3) qu'un terme. (4)
Nous voulons, dirent-ils, étouffer le glouton
Qui nous a pris Robin mouton.
Chacun en répond sur sa tête.
Guillot les crut, et leur fit fête.
Cependant, devant qu'il (5) fût nuit,
Il arriva nouvel encombre, (6)
Un Loup parut ; tout le troupeau s'enfuit :
Ce n'était pas un Loup, ce n'en était que l'ombre.
Haranguez de méchants soldats,
Ils promettront de faire rage ;
Mais au moindre danger adieu tout leur courage :
Votre exemple et vos cris ne les retiendront pas.


Sources : Abstémius f. 127 : Le berger exhortant son troupeau contre le Loup (Nevelet, p.588)

(1) instrument de musique
(2) comprenait
(3) pas plus
(4) borne s'achevant en forme de buste de forme humaine, à la manière des Anciens
(5) avant que
(6) empêchement, embarras
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Message par crodan00 Dim 26 Juil - 5:08

Si vous êtes satisfait de votre personne après vous être
regardé(e) un peu longuement dans votre miroir surtout, NE lisez PAS cette fable.....


LA BESACE (*)


Jean de la Fontaine Besace10


Jupiter dit un jour : Que tout ce qui respire
S'en vienne comparaître aux pieds de ma grandeur.
Si dans son composé quelqu'un trouve à redire,
Il peut le déclarer sans peur :
Je mettrai remède à la chose.
Venez, Singe ; parlez le premier, et pour cause.
Voyez ces animaux, faites comparaison
De leurs beautés avec les vôtres :
Êtes-vous satisfait ? Moi ? dit-il, pourquoi non ?
N'ai-je pas quatre pieds aussi bien que les autres ?
Mon portrait jusqu'ici ne m'a rien reproché ;
Mais pour mon frère l'Ours, on ne l'a qu'ébauché :
Jamais, s'il me veut croire, il ne se fera peindre.
L'Ours venant là-dessus, on crut qu'il s'allait plaindre.
Tant s'en faut : de sa forme il se loua très fort ;
Glosa (1) sur l' Éléphant, dit qu'on pourrait encor
Ajouter à sa queue, ôter à ses oreilles ;
Que c'était une masse informe et sans beauté.
L' Éléphant étant écouté,
Tout sage qu'il était, dit des choses pareilles :
Il jugea qu'à son appétit (2)
Dame Baleine était trop grosse.
Dame Fourmi trouva le Ciron (3) trop petit,
Se croyant, pour elle, un colosse.
Jupin (4) les renvoya s'étant censurés tous,
Du reste , contents d'eux ; mais parmi les plus fous
Notre espèce excella ; car tout ce que (5) nous sommes,
Lynx (6) envers nos pareils, et taupes (7) envers nous,
Nous nous pardonnons tout, et rien aux autres hommes :
On se voit d'un autre œil qu'on ne voit son prochain.
Le Fabricateur souverain
Nous créa Besaciers (Cool tous de même manière,
Tant ceux du temps passé que du temps d'aujourd'hui :
Il fit pour nos défauts la poche de derrière,
Et celle de devant pour les défauts d'autrui.


(*) L.F. a pu s'inspirer de l'apologue d'Aviénus
"La guenon et Jupiter" (cité dans Névelet) ou de
"La besace" de Phèdre (Sacy)
Dans " La guenon et Jupiter", un concours des plus beaux
enfants a été institué par Jupiter. Une guenon prétend que
son nourrisson informe est le plus beau. L'idée du défilé
d'animaux de la fable a peut-être été suggéré par l'illustration
dans Névelet où l'on voit Jupiter recevoir toutes sortes d'animaux.


(1) fit des critiques.
(2) à son goût
(3) insecte qui se développe dans le fromage et la farine et
qui est le plus petit des animaux, visible à l'œil nu
(4) Jupiter
(5) tous tant que
(6) le lynx passe pour avoir une vue très perçante
(7) la taupe a des yeux si petits que longtemps, on l'a crue aveugle
(Cool porteurs d'une besace

Alors, vous l'avez lue ?
Regarderez-vous votre entourage d'un œil plus indulgent ?
Non ?
La Rochefoucauld a peut-être raison :
"Il semble que la nature, qui a si sagement disposé les organes de notre corps pour nous rendre heureux, nous ait donné aussi l'orgueil pour nous épargner la douleur de connaître nos imperfections" ( maxime XXXVI)
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Message par crodan00 Lun 27 Juil - 3:10

LE BUCHERON ET MERCURE
A M.L.C.D.B. (*)


Jean de la Fontaine Buchme10


Votre goût a servi de règle à mon ouvrage.
J'ai tenté les moyens d'acquérir son suffrage.
Vous voulez qu'on évite un soin trop curieux, (1)
Et des vains ornements l'effort ambitieux.
Je le veux comme vous ; cet effort ne peut plaire.
Un auteur gâte tout quand il veut trop bien faire.
Non qu'il faille bannir certains traits délicats :
Vous les aimez, ces traits, et je ne les hais pas.
Quant au principal but qu'Esope se propose,
J'y tombe au moins mal que je puis.
Enfin si dans ces Vers je ne plais et n'instruis,
Il ne tient pas à moi, c'est toujours quelque chose.
Comme la force est un point
Dont je ne me pique point, (2)
Je tâche d'y tourner le vice en ridicule,
Ne pouvant l'attaquer avec des bras d'Hercule.
C'est là tout mon talent ; je ne sais s'il suffit.
Tantôt je peins en un récit
La sotte vanité jointe avecque l'envie,
Deux pivots sur qui roule aujourd'hui notre vie.
Tel est ce chétif animal
Qui voulut en grosseur au Boeuf se rendre égal. (3)
J'oppose quelquefois, par une double image,
Le vice à la vertu, la sottise au bon sens,
Les Agneaux aux Loups ravissants,
La Mouche à la Fourmi, faisant de cet ouvrage
Une ample Comédie à cent actes divers,
Et dont la scène est l'Univers.
Hommes, Dieux, Animaux, tout y fait quelque rôle :
Jupiter comme un autre : Introduisons celui
Qui porte de sa part aux Belles la parole :
Ce n'est pas de cela qu'il s'agit aujourd'hui.

Un Bûcheron perdit son gagne-pain,
C'est sa cognée ; et la cherchant en vain,
Ce fut pitié là-dessus de l'entendre.
Il n'avait pas des outils à revendre.
Sur celui-ci roulait tout son avoir.
Ne sachant donc où mettre son espoir,
Sa face était de pleurs toute baignée.
O ma cognée ! ô ma pauvre cognée !
S'écriait-il, Jupiter, rends-la-moi ;
Je tiendrai l'être encore un coup de toi. (1)
Sa plainte fut de l'Olympe entendue.
Mercure vient. Elle n'est pas perdue,
Lui dit ce Dieu, la connaîtras-tu (2) bien ?
Je crois l'avoir près d'ici rencontrée.
Lors une d'or à l'homme étant montrée,
Il répondit : Je n'y demande rien.
Une d'argent succède à la première,
Il la refuse. Enfin une de bois : (3)
Voilà, dit-il, la mienne cette fois ;
Je suis content si j'ai cette dernière.
Tu les auras, dit le Dieu, toutes trois.
Ta bonne foi sera récompensée.
En ce cas-là je les prendrai, dit-il.
L'Histoire en est aussitôt dispersée ;
Et Boquillons (4) de perdre leur outil,
Et de crier pour se le faire rendre.
Le Roi des Dieux ne sait auquel entendre.
Son fils Mercure aux criards vient encor :
A chacun d'eux il en montre une d'or.
Chacun eût cru passer pour une bête
De ne pas dire aussitôt : La voilà !
Mercure, au lieu de donner celle-là,
Leur en décharge un grand coup sur la tête.

Ne point mentir, être content du sien, (5)
C'est le plus sûr : cependant on s'occupe
A dire faux pour attraper du bien :
Que sert cela ? Jupiter n'est pas dupe.


Cette fable est dédicacée A M. Le Comte De Brienne
(qui publiera avec La Fontaine en 1670, un recueil
de poésies chrétiennes et diverses.)Dans le prologue (*) de la fable La Fontaine formule encore son art poétique :
- Rejet des vains ornements
- Goût de la simplicité, avec cependant des traits spirituels
- Instruire et plaire
- satire du vice, de la vanité, de l'envie
- faire de l'ouvrage une ample comédie à cent actes divers et dont la scène est l'univers.
La Fontaine a donc élaboré ses fables avec le plus grand soin.
"Nous ne pouvons rien dire à l'avantage de ses fables qu'il n'ait
dit avant nous et mieux que nous"(M. Girardin)

(1) minutieux
(2) une qualité
(3) la grenouille qui se veut faire aussi grosse que le bœuf


----------------------------------------------


(*) le prologue est en vers irréguliers,
la fable qui suit en décasylllabes (vers de 10 pieds)
ce qui est plutôt rare chez La Fontaine
Sources : Esope, repris par Rabelais dont s'inspire La Fontaine
(1) je te devrai la vie !
(2) la reconnaîtras-tu
(3) Rabelais fait présenter les trois haches ensemble
(4) mot d'origine picarde, qui signifie gensqui travaillent dans les bois
(5) de ce qu'on possède
(6) à quoi
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Message par crodan00 Mar 28 Juil - 3:06

LE CERF ET LA VIGNE


Jean de la Fontaine Cervig10


Un Cerf, à la faveur d'une Vigne fort haute
Et telle qu'on en voit en de certains climats (1),
S'étant mis à couvert, et sauvé du trépas,
Les Veneurs pour ce coup croyaient leurs Chiens en faute.
Ils les rappellent donc. Le Cerf hors de danger
Broute sa bienfaitrice ; ingratitude extrême ;
On l'entend, on retourne, on le fait déloger,
Il vient mourir en ce lieu même.
J'ai mérité, dit-il, ce juste châtiment :
Profitez-en, ingrats. (2) Il tombe en ce moment.
La meute en fait curée. Il lui fut inutile
De pleurer aux (3) Veneurs à sa mort arrivés.
Vraie image de ceux qui profanent l'asile
Qui les a conservés


La source de la fable Le cerf et la vigne est Esope
La biche et la vigne qui se termine ainsi :
"Cette fable pourrait s'appliquer à qui fait tort à ses
bienfaiteurs et s'attire ainsi le châtiment divin."
(Esope, Fables ; traduction D. Loayza, Flammarion)


(1) dans certaines régions de France à cette époque
( ainsi qu'en Italie et en Grèce maintenant ), la vigne poussait très haut, soutenue par des arbres en allant de l'un à l'autre.
(2) La Fontaine condamne l'ingratitude. Il est toujours resté
fidèle à ses amis (Fouquet...)
(3) devant les...
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Message par crodan00 Mer 29 Juil - 6:17

LE CERF MALADE


Jean de la Fontaine Cermal10


En pays pleins de Cerfs un Cerf tomba malade.
Incontinent maint camarade
Accourt à son grabat le voir, le secourir,
Le consoler du moins : multitude importune.
Eh ! Messieurs, laissez-moi mourir.
Permettez qu'en forme commune (1)
La Parque (2) m'expédie, et finissez vos pleurs.
Point du tout : les Consolateurs
De ce triste devoir tout au long s'acquittèrent ;
Quand il plut à Dieu s'en allèrent.
Ce ne fut pas sans boire un coup,
C'est-à-dire sans prendre un droit de pâturage.
Tout se mit à brouter les bois du voisinage.
La pitance du Cerf en déchut de beaucoup ;
Il ne trouva plus rien à frire.
D'un mal il tomba dans un pire,
Et se vit réduit à la fin
A jeûner et mourir de faim.
Il en coûte à qui vous réclame,
Médecins du corps et de l'âme.
O temps, ô moeurs (3) ! J'ai beau crier,
Tout le monde se fait payer.



Source : fable de Locman (fabuliste arabe), traduite en latin.

(1) selon les formes habituelles
(2) la mort (les Parques chez les romains étaient les divinités du destin : Nona, Decima et Morta)
(3) Exclamation célèbre de Cicéron dans la deuxième Catilinaire : O tempora ! O mores !

Jean de La Fontaine venait d'être gravement malade et avait subi les médecins du corps et de l'âme. C'est en 1693, devant une délégation de l'Académie qu'il avait été amené, sous l'influence de l'Abbé Pouget son confesseur, à renier ses contes "infâmes"
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Message par crodan00 Jeu 30 Juil - 6:11

LE CERF SE VOYANT DANS L'EAU


Jean de la Fontaine Cerfea10


Dans le cristal d'une fontaine
Un Cerf se mirant autrefois
Louait la beauté de son bois,
Et ne pouvait qu'avecque peine
Souffrir ses jambes de fuseaux,
Dont il voyait l'objet se perdre dans les eaux.
Quelle proportion de mes pieds à ma tête !
Disait-il en voyant leur ombre avec douleur :
Des taillis les plus hauts mon front atteint le faîte ;
Mes pieds ne me font point d'honneur.
Tout en parlant de la sorte,
Un Limier (1) le fait partir ;
Il tâche à (2) se garantir ;
Dans les forêts il s'emporte (3).
Son bois, dommageable ornement,
L'arrêtant à chaque moment,
Nuit à l'office (4) que lui rendent
Ses pieds, de qui ses jours dépendent.
Il se dédit alors, et maudit les présents
Que le Ciel lui fait tous les ans (5).
Nous faisons cas du Beau, nous méprisons l'Utile ;
Et le Beau souvent nous détruit.
Ce Cerf blâme ses pieds qui le rendent agile ;
Il estime un bois qui lui nuit.


Le canevas de cette fable est Le cerf à la source et le lion, d'Esope (repris par Phèdre).

(1) un chien de chasse
(2) il tâche de..
(3) il s'enfuit
(4) aux services
(5) les pointes supplémentaires (andouillers) qui repoussent au printemps sur chaque bois du cerf (ceux-ci tombent chaque année)
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Message par crodan00 Ven 31 Juil - 2:35

LE CHAMEAU ET LES BATONS FLOTTANTS


Jean de la Fontaine Chamba10


Le premier qui vit un chameau
S'enfuit à cet objet nouveau ;
Le second approcha ; le troisième osa faire
Un licou pour le dromadaire (1).
L'accoutumance ainsi nous rend tout familier :
Ce qui nous paraissait terrible et singulier
S'apprivoise avec notre vue
Quand ce vient à la continue (2).
Et puisque nous voici tombés sur ce sujet,
On avait mis des gens au guet,
Qui voyant sur les eaux de loin certain objet,
Ne purent s'empêcher de dire
Que c'était un puissant navire.
Quelques moments après, l'objet devint brûlot (3),
Et puis nacelle (4), et puis ballot,
Enfin bâtons flottants sur l'onde.

J'en sais beaucoup de par le monde
A qui ceci conviendrait bien:
De loin, c'est quelque chose, et de près, ce n'est rien.


(1) au XVIIème, on ne distinguait pas vraiment le chameau du dromadaire.
(2) par la suite du temps, à la longue, après bien du temps.
(3) vieux bâteau chargé de combustibles lancé vers les bateaux ennemis pour les incendier.
(4) barque
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Message par crodan00 Mar 25 Aoû - 6:08

LE CHARLATAN


Jean de la Fontaine Charla10


Le monde n'a jamais manqué de Charlatans : (1)
Cette science, de tout temps,
Fut en Professeurs très fertile.
Tantôt l'un en théâtre affronte l'Achéron, (2)
Et l'autre affiche par la ville
Qu'il est un passe-Cicéron. (3)
Un des derniers se vantait d'être
En éloquence si grand maître,
Qu'il rendrait disert un Badaud,
Un Manant, un Rustre, un Lourdaud ;
Oui, Messieurs, un Lourdaud, un Animal, un Âne :
Que l'on amène un Âne, un Âne renforcé,
Je le rendrai maître passé,
Et veux qu'il porte la soutane.
Le Prince sut la chose, il manda le Rhéteur.
J'ai, dit-il, dans mon écurie
Un fort beau Roussin d'Arcadie : (4)
J'en voudrais faire un Orateur.
Sire, vous pouvez tout, reprit d'abord notre homme.
On lui donna certaine somme.
Il devait au bout de dix ans
Mettre son Âne sur les bancs ;
Sinon il consentait d'être en place publique
Guindé (5) la hart (6) au col, étranglé court et net,
Ayant au dos sa Rhétorique,
Et les oreilles d'un Baudet.
Quelqu'un des Courtisans lui dit qu'à la potence
Il voulait l'aller voir, et que, pour un pendu,
Il aurait bonne grâce et beaucoup de prestance :
Surtout qu'il se souvînt de faire à l'assistance
Un discours où son art fût au long étendu . (7)
Un discours pathétique, et dont le formulaire
Servît à certains Cicérons
Vulgairement nommés larrons.
L'autre (Cool reprit : Avant l'affaire,
Le Roi, l'Âne, ou moi, nous mourrons.

Il avait raison. C'est folie
De compter sur dix ans de vie.
Soyons bien buvants, bien mangeants ,
Nous devons à la mort de trois l'un (9) en dix ans.


Source : Abstemius, fable 133 : Le maître de grammaire qui instuisait un âne (Nevelet p.592), qui se termine ainsi : : La fable montre aux gens en danger que gagner du temps est souvent utile (d'après G. Couton, fables, p. 460)

(1) Faux médecin qui harangue sur la place publique pour amasser du monde et vendre ensuite remèdes et drogues.
(2) la mort
(3) un orateur qui surpasse Cicéron
(4) le roussin est un cheval robuste et l'Arcadie ne nourrit que des ânes, d'où l'effet burlesque.
(5), (6) (7) cérémonial de l'exécution à la peine capitale ( la hart est la corde du pendu). Des écriteaux sur le condamné expliquent son crime...Le condamné fait un discours dans lequel il explique sa faute et demande pardon à Dieu...

La moralité est double :

- Se méfier des charlatans
- tenir compte du temps : la vie est brève (surtout à cette époque)
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Message par crodan00 Mer 26 Aoû - 5:19

LE CHARTIER EMBOURBÉ *


Jean de la Fontaine Charte10


Le phaéton (1) d'une voiture à foin
Vit son char embourbé. Le pauvre homme était loin
De tout humain secours. C'était à la campagne
Près d'un certain canton de la basse Bretagne,
Appelé Quimper-Corentin. (2)
On sait assez que le Destin
Adresse là les gens quand il veut qu'on enrage :
Dieu nous préserve du voyage ! (3)
Pour venir au Chartier embourbé dans ces lieux,
Le voilà qui déteste et jure de son mieux,
Pestant, en sa fureur extrême,
Tantôt contre les trous, puis contre ses Chevaux,
Contre son char, contre lui même.
Il invoque à la fin le Dieu dont les travaux
Sont si célèbres dans le monde :
Hercule, lui dit-il, aide-moi ; si ton dos
A porté la machine ronde,
Ton bras peut me tirer d'ici
Sa prière étant faite, il entend dans la nue
Une voix qui lui parle ainsi :
Hercule veut qu'on se remue,
Puis il aide les gens. Regarde d'où provient
L'achoppement qui te retient.
Ôte d'autour de chaque roue
Ce malheureux mortier, cette maudite boue
Qui jusqu'à l'essieu les enduit.
Prends ton pic, et me romps ce caillou qui te nuit.
Comble-moi cette ornière. As-tu fait ? Oui, dit l'homme.
Or bien je vas t'aider, dit la voix : prends ton fouet.
Je l'ai pris. Qu'est ceci ? mon char marche à souhait.
Hercule en soit loué. Lors la voix : Tu vois comme
Tes Chevaux aisément se sont tirés de là.
Aide-toi, le Ciel t'aidera.



* Sources : Esope : Le Bouvier et Hercule (Nevelet, Avianus, p.478) et Rabelais : Quart Livre, chap.21 "C'est sottise telle que du charretier, lequel sa charrette versée...à genoux implorait l'aide d'Hercule, et ne auguillonnait ses boeufs."
L'orthographe "chartier" était admise dans les dictionnaires de Richelet et Furetière


(1) Phaéton, dans la mythologie, est le fils du Soleil : ayant mal dirigé le char du soleil, il fut foudroyé (Métamorphoses, Ovide).
Ici,"phaéton" a le synonyme de "cocher" et la référence mythologique donne un effet burlesque, le "char" étant une voiture à foin !
(2) comique du nom, attribué à ce que l'on nommerait maintenant un "trou perdu"...
Cependant : La Fontaine parle d'un endroit retiré (un certain canton...), Saint Corentin avait été évêque de Quimper, et ...
(3) Quimper, en raison de son éloignement de Paris servait de lieu d'exil...
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Message par crodan00 Jeu 27 Aoû - 4:19

LE CHAT ET LE RAT


Jean de la Fontaine Charat10


Quatre animaux divers, le Chat grippe-fromage,
Triste-oiseau le Hibou, Ronge-maille le Rat,
Dame Belette au long corsage,
Toutes gens d'esprit scélérat,
Hantaient le tronc pourri d'un pin vieux et sauvage.
Tant y furent, qu'un soir à l'entour de ce pin
L'homme tendit ses rets. Le Chat de grand matin
Sort pour aller chercher sa proie.
Les derniers traits de l'ombre empêchent qu'il ne voie
Le filet ; il y tombe, en danger de mourir ;
Et mon Chat de crier, et le Rat d'accourir,
L'un plein de désespoir, et l'autre plein de joie.
Il voyait dans les lacs son mortel ennemi.
Le pauvre Chat dit : Cher ami,
Les marques de ta bienveillance
Sont communes en mon endroit : (1)
Viens m'aider à sortir du piège où l'ignorance
M'a fait tomber. C'est à bon droit
Que seul entre les tiens par amour singulière
Je t'ai toujours choyé, t'aimant comme mes yeux.
Je n'en ai point regret, et j'en rends grâce aux Dieux.
J'allais leur faire ma prière ;
Comme tout dévot Chat en use les matins.
Ce réseau me retient : ma vie est en tes mains :
Viens dissoudre ces nœuds. Et quelle récompense
En aurai-je ? reprit le Rat.
Je jure éternelle alliance
Avec toi, repartit le Chat.
Dispose de ma griffe, et sois en assurance :
Envers et contre tous je te protégerai,
Et la Belette mangerai
Avec l'époux de la Chouette. (2)
Ils t'en veulent tous deux. Le Rat dit : Idiot !
Moi ton libérateur ? Je ne suis pas si sot.
Puis il s'en va vers sa retraite.
La Belette était près du trou.
Le Rat grimpe plus haut ; il y voit le Hibou :
Dangers de toutes parts ; le plus pressant l'emporte.
Ronge-maille retourne au Chat, et fait en sorte
Qu'il détache un chaînon, puis un autre, et puis tant
Qu'il dégage enfin l'hypocrite.
L'homme paraît en cet instant.
Les nouveaux alliés prennent tous deux la fuite.
A quelque temps de là, notre Chat vit de loin
Son Rat qui se tenait à l'erte (3) et sur ses gardes.
Ah ! mon frère, dit-il, viens m'embrasser ; ton soin
Me fait injure ; tu regardes
Comme ennemi ton allié.
Penses-tu que j'aie oublié
Qu'après Dieu je te dois la vie ?
Et moi, reprit le Rat, penses-tu que j'oublie
Ton naturel ? Aucun traité
Peut-il forcer un Chat à la reconnaissance ?
S'assure-t-on sur l'alliance
Qu'a faite la nécessité ?



Sources : Le specimen sapientiae Indorum veterum, publié à Rome par le père Poussines en 1666, dont l'origine est la version en grec du Livre de Calila et Dimna

(1) envers moi
(2) déjà dans la fable (note 2) l'Aigle et le Hibou, La Fontaine prenait une licence avec l'histoire naturelle... Ici, il parle du hibou, époux de la chouette...Le dictionnaire de Furetière précise cependant que les ducs, chats-huants et chouettes sont des espèces de hibou...
(3) au guet
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Message par crodan00 Ven 28 Aoû - 4:00

Le Chat et le Renard (*)


Jean de la Fontaine Charen10


Le Chat et le Renard, comme beaux petits saints,
S'en allaient en pèlerinage.
C'étaient deux vrais Tartufs (1), deux archipatelins (2),
Deux francs Patte-pelus (3) qui, des frais du voyage,
Croquant mainte volaille, escroquant maint fromage,
S'indemnisaient à qui mieux mieux.
Le chemin était long, et partant ennuyeux,
Pour l'accourcir ils disputèrent (4).
La dispute (5) est d'un grand secours ;
Sans elle on dormirait toujours.
Nos Pèlerins s'égosillèrent.
Ayant bien disputé, l'on parla du prochain.
Le Renard au Chat dit enfin :
Tu prétends être fort habile :
En sais-tu tant que moi ? J'ai cent ruses au sac.
Non, dit l'autre : je n'ai qu'un tour dans mon bissac (6),
Mais je soutiens qu'il en vaut mille.
Eux de recommencer la dispute à l'envi,
Sur le que si, que non, tous deux étant ainsi,
Une meute apaisa la noise (7).
Le Chat dit au Renard : Fouille en ton sac, ami :
Cherche en ta cervelle matoise
Un stratagème sûr. Pour moi, voici le mien.
A ces mots sur un arbre il grimpa bel et bien.
L'autre fit cent tours inutiles,
Entra dans cent terriers, mit cent fois en défaut
Tous les confrères de Brifaut (Cool.
Partout il tenta des asiles ;
Et ce fut partout sans succès :
La fumée y pourvut, ainsi que les bassets (9).
Au sortir d'un Terrier, deux Chiens aux pieds agiles
L'étranglèrent du premier bond.
Le trop d'expédients peut gâter une affaire ;
On perd du temps au choix, on tente, on veut tout faire.
N'en ayons qu'un, mais qu'il soit bon.



(*) Cet apologue dérive d'une tradition ancienne. Le sujet est présent chez Gilbert Cousin De Vulpe et Fele , Haudent Trois cent soixante et six apologues d'Esope, livre II, 49 : d'un Chat et d'un Renard ....

(1) Tartuffe. Mot inventé et introduit dans notre langue par feu Molière. C'est à dire un faux dévôt (Richelet)
(2) mot forgé par L.F., dont l'origine se trouve dans la Farce de Maître Pathelin
(3) au figuré : hypocrite flatteur et trompeur (Richelet)
(4) ils discutèrent , chacun défendant son point de vue
(5) la discussion
(6) ma besace
(7) la querelle, la dispute
(Cool chef de la meute de chiens
(9) chiens capables d'entrer dans les terriers
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Message par crodan00 Sam 29 Aoû - 4:20

Le Chat et les deux Moineaux


Jean de la Fontaine Cha2mo10


A Monseigneur le duc de Bourgogne (1)

Un Chat, contemporain d'un fort jeune Moineau,
Fut logé près de lui dès l'âge du berceau.
La Cage et le Panier avaient mêmes Pénates.
Le Chat était souvent agacé par l'Oiseau :
L'un s'escrimait du bec, l'autre jouait des pattes.
Ce dernier toutefois épargnait son ami.
Ne le corrigeant qu'à demi
Il se fût fait un grand scrupule
D'armer de pointes sa férule.
Le Passereau, moins circonspec,
Lui donnait force coups de bec ;
En sage et discrète (2) personne,
Maître Chat excusait ces jeux :
Entre amis, il ne faut jamais qu'on s'abandonne
Aux traits d'un courroux sérieux.
Comme ils se connaissaient tous deux dès leur bas âge,
Une longue habitude en paix les maintenait ;
Jamais en vrai combat le jeu ne se tournait ;
Quand un Moineau du voisinage
S'en vint les visiter, et se fit compagnon
Du pétulant Pierrot et du sage Raton ;
Entre les deux oiseaux il arriva querelle ;
Et Raton de prendre parti.
Cet inconnu, dit-il, nous la vient donner belle (3)
D'insulter ainsi notre ami ;
Le Moineau du voisin viendra manger (4) le nôtre ?
Non, de par tous les Chats ! Entrant lors au combat,
Il croque l'étranger. Vraiment, dit maître Chat,
Les Moineaux ont un goût exquis et délicat.
Cette réflexion fit aussi croquer l'autre.
Quelle morale puis-je inférer de ce fait ?
Sans cela, toute fable est un œuvre (5) imparfait.
J'en crois voir quelques traits ; mais leur ombre m’abuse,
Prince, vous les aurez incontinent trouvés :
Ce sont des jeux pour vous, et non point pour ma Muse ;
Elle et ses sœurs n'ont pas l'esprit que vous avez.


Cette fable paraît avoir été imaginée par L.F.
L'intrusion du Moineau étranger qui trouble la bonne entente entre les deux compagnons d'enfance se rapproche de la fable " les deux perroquets, le roi et son fils"

(1) Louis, petit-fils de Louis XIV, et père de Louis XV,
élève de Fénelon
(2) pleine de discernement
(3) nous la baille belle
(4) on se sert quelquefois de "manger" pour dire
quereller fortement"(dict. Académie, 1694)
(5) Vaugelas dans ses "Remarques" a décidé que
le mot d'oeuvre signifiant livre, volume, ou quelque
composition, était masculin au singulier, et toujours
féminin au pluriel.
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Message par crodan00 Lun 31 Aoû - 3:37

LE CHAT ET UN VIEUX RAT


Jean de la Fontaine Chavra11


J'ai lu, chez un conteur de fables,
Qu'un second Rodilard (1), l'Alexandre des Chats, (2)
L'Attila, le fléau des rats,(3)
Rendait ces derniers misérables. (4)
J'ai lu, dis-je, en certain auteur,
Que ce chat exterminateur,(5)
Vrai Cerbère(6), était craint une lieue à la ronde :
Il voulait de Souris dépeupler tout le monde.
Les planches qu'on suspend sur un léger appui,
La mort-aux-Rats, les souricières,
N'étaient que jeux au prix de lui.
Comme il voit que dans leurs tanières
Les Souris étaient prisonnières,
Qu'elles n'osaient sortir, qu'il avait beau chercher,
Le Galand fait le mort, et du haut d'un plancher (7)
Se pend la tête en bas. La Bête scélérate
À de certains cordons se tenait par la patte.
Le peuple des Souris croit que c'est châtiment ;
Qu'il a fait un larcin de rôt ou de fromage,
Egratigné quelqu'un, causé quelque dommage ;
Enfin qu'on a pendu le mauvais Garnement.
Toutes, dis-je, unanimement
Se promettent de rire à son enterrement,
Mettent le nez à l'air, montrent un peu la tête,
Puis rentrent dans leurs nids à Rats,
Puis ressortant font quatre pas,
Puis enfin se mettent en quête.
Mais voici bien une autre fête :
Le pendu ressuscite ; et sur ses pieds tombant,
Attrape les plus paresseuses.
Nous en savons plus d'un, dit-il en les gobant :
C'est tour de vieille guerre; et vos cavernes creuses
Ne vous sauveront pas ; je vous en avertis ;
Vous viendrez toutes au logis.
Il prophétisait vrai : notre maître Mitis
Pour la seconde fois les trompe et les affine,
Blanchit sa robe et s'enfarine ;
Et de la sorte déguisé,
Se niche et se blottit dans une huche ouverte.
Ce fut à lui bien avisé :
La Gent trotte-menu s'en vient chercher sa perte.
Un Rat sans plus s'abstient d'aller flairer autour.
C'était un vieux routier ; il savait plus d'un tour ;
Même il avait perdu sa queue à la bataille.
Ce bloc enfariné ne me dit rien qui vaille,
S'écria-t-il de loin au Général des Chats :
Je soupçonne dessous encor quelque machine.
Rien ne te sert d'être farine ;
Car quand tu serais sac, je n'approcherais pas.
C'était bien dit à lui ; j'approuve sa prudence.
Il était expérimenté,
Et savait que la méfiance
Est mère de la sûreté.


Dans Esope, la ruse du chat est de se pendre ;
dans Phèdre, celle de la belette est de s'enfariner
et de faire la morte.
La Fontaine a rassemblé les deux ruses pour écrire la fable :

(1) on trouve ce nom chez Rabelais. Chez La Fontaine,
ce nom étaitdéjà utilisé dans " Conseil tenu par les rats :II,2
(2) référence à Alexandre Le Grand ....burlesque voulu !
(3) Attila était "le fléau de Dieu"...voici le fléau des rats !
encore une comparaison burlesque
(4) dignes de pitié
(5) Alexandre, Attila, voici "l'ange exterminateur !)
(6)dans l'antiquité, Cerbère était un chien à 3 têtes qui
gardait les Enfers. Voici ce qualificatif appliqué à notre
chat !
(7) le même mot indique ce sur quoi on marche et ce
qui est au-dessus de la tête. Ici, c'est le plafond.
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Message par crodan00 Mar 1 Sep - 4:13

LE CHAT, LA BELETTE ET LE PETIT LAPIN (*)


Jean de la Fontaine Chabel10


Du palais d'un jeune Lapin
Dame Belette un beau matin
S'empara ; c'est une rusée.
Le Maître étant absent, ce lui fut chose aisée.
Elle porta chez lui ses pénates (1) un jour
Qu'il était allé faire à l'Aurore sa cour,
Parmi le thym et la rosée.
Après qu'il eut brouté, trotté, fait tous ses tours,
Janot Lapin retourne aux souterrains séjours.
La Belette avait mis le nez à la fenêtre.
Ô Dieux hospitaliers, que vois-je ici paraître ?
Dit l'animal chassé du paternel logis :
Ô là, Madame la Belette,
Que l'on déloge sans trompette (2),
Ou je vais avertir tous les rats du pays.
La Dame au nez pointu répondit que la terre
Etait au premier occupant.
C'était un beau sujet de guerre
Qu'un logis où lui-même il n'entrait qu'en rampant.
Et quand ce serait un Royaume
Je voudrais bien savoir, dit-elle, quelle loi
En a pour toujours fait l'octroi (3)
A Jean fils ou neveu de Pierre ou de Guillaume,
Plutôt qu'à Paul, plutôt qu'à moi.
Jean Lapin allégua la coutume et l'usage (4).
Ce sont, dit-il, leurs lois qui m'ont de ce logis
Rendu maître et seigneur, et qui de père en fils,
L'ont de Pierre à Simon, puis à moi Jean transmis.
Le premier occupant est-ce une loi plus sage ?
Or bien sans crier davantage,
Rapportons-nous, dit-elle, à Raminagrobis.(5)
C'était un chat vivant comme un dévot ermite,
Un chat faisant la chattemite(6),
Un saint homme de chat, bien fourré, gros et gras,
Arbitre expert sur tous les cas.
Jean Lapin pour juge l'agrée.
Les voilà tous deux arrivés
Devant sa majesté fourrée.
Grippeminaud (7) leur dit : Mes enfants, approchez,
Approchez, je suis sourd, les ans en sont la cause.
L'un et l'autre approcha ne craignant nulle chose.
Aussitôt qu'à portée il vit les contestants,
Grippeminaud le bon apôtre
Jetant des deux côtés la griffe en même temps,
Mit les plaideurs d'accord en croquant l'un et l'autre.
Ceci ressemble fort aux débats qu'ont parfois
Les petits souverains se rapportants aux Rois.


(*) La source de cette fable est Pilpay "Le livre des Lumières ou la conduite des roys"
"Ecoutez, dit La Harpe, la belette et le lapin plaidant pour un terrier ; est-il possible de mieux discuter une cause ? Tout y est en usage, coutume, autorité, droit naturel, généalogie"

(1) les pénates, dans la mythologie romaine étaient les divinités du foyer. Familièrement : maison, foyer.
(2) que l'on se sauve rapidement. L'origine de l'expression est militaire : lever le camp sans bruit
(3) privilège accordé par le roi
(4) il prétexte ce qui est pratiqué dans certains pays, donc la loi et la possession : il occupe effectivement son logis.
(5) nom utilisé déjà chez Rabelais, chez Voiture....
(6) qui fait l'humble, le dévot, l'hypocrite, pour mieux tromper les autres (Furetière)
(7) archiduc des chats fourrés chez Rabelais
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Message par crodan00 Mer 2 Sep - 4:02

Voici une fable, dont le thème serait plus proche de celui de la farce ou du conte, par laquelle La Fontaine nous montre que "chassez le naturel, il revient au galop". Bonne lecture !


LA CHATTE MÉTAMORPHOSÉE EN FEMME (*)


Jean de la Fontaine Chatra10


Un Homme chérissait éperdument sa Chatte,
Il la trouvait mignonne, et belle, et délicate,
Qui miaulait d'un ton fort doux :
Il était plus fou que les fous.
Cet Homme donc, par prières, par larmes,
Par sortilèges et par charmes, (1)
Fait tant qu'il obtient du Destin
Que sa Chatte en un beau matin
Devient femme, et le matin même,
Maître sot (2) en fait sa moitié.
Le voilà fou d'amour extrême,
De fou qu'il était d'amitié.
Jamais la Dame la plus belle
Ne charma tant son Favori
Que fait cette Épouse nouvelle
Son hypocondre (3) de Mari.
Il l'amadoue (4), elle le flatte ;
Il n'y trouve plus rien de Chatte,
Et poussant l'erreur jusqu'au bout,
La croit femme en tout et partout,
Lorsque quelques Souris qui rongeaient de la natte (5)
Troublèrent le plaisir des nouveaux mariés.
Aussitôt la Femme est sur pieds.
Elle manqua son aventure.
Souris de revenir, Femme d'être en posture (6).
Pour cette fois, elle accourut à point ;
Car ayant changé de figure,
Les Souris ne la craignaient point.
Ce lui fut toujours une amorce (7),
Tant le naturel a de force.
Il se moque de tout, certain âge accompli.
Le vase est imbibé, l'étoffe a pris son pli.
En vain de son train ordinaire
On le veut désaccoutumer.
Quelque chose qu'on puisse faire,
On ne saurait le réformer.
Coups de fourche ni d'étrivières (Cool
Ne lui font changer de manières ;
Et, fussiez-vous embâtonnés (9),
Jamais vous n'en serez les maîtres.
Qu'on lui ferme la porte au nez,
Il reviendra par les fenêtres.


(*) Source : La chatte et Vénus (recueil de Névelet)

(1) Dans Ésope, Vénus est suppliée par la chatte amoureuse du jeune homme, d'être transformée et aimée du jeune homme.
C'est Vénus qui introduit une souris dans la chambre pour voir si le naturel est aussi transformé.
(2) maître en sottise
(3) fou, extravagant
(4) caresser, mais aussi au XVIIème "flatter, adoucir l'humeur de" La Fontaine joue sur les deux sens.
(5) tissu de paille sur les murs ou le plancher
(6) en position de chatte aux aguets
(7) un appât
(Cool donner des étrivières à quelqu'un : le fouetter, le battre
avec des courroies de cuir
(9) armés d'un bâton
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Message par crodan00 Jeu 3 Sep - 5:02

Nous allons voir dans cette fable une chauve-souris "sauver sa peau" en changeant d'identité deux fois de suite afin de mieux adapter son personnage aux circonstances
(un oiseau puis une souris)


LA CHAUVE-SOURIS ET LES DEUX BELETTES(*)


Jean de la Fontaine Chodeb10

Une Chauve-Souris donna tête baissée
Dans un nid (1) de Belette ; et sitôt qu'elle y fut,
L'autre envers les Souris de longtemps (2) courroucée,
Pour la dévorer accourut.
Quoi ! vous osez, dit-elle, à mes yeux vous produire,
Après que votre race a tâché de me nuire !
N'êtes-vous pas Souris ? Parlez sans fiction (3).
Oui vous l'êtes, ou bien je ne suis pas Belette.
Pardonnez-moi, dit la Pauvrette,
Ce n'est pas ma profession (4).
Moi Souris ! Des méchants vous ont dit ces nouvelles :
Grâce à l'Auteur de l'univers,
Je suis Oiseau : voyez mes ailes ;
Vive la gent qui fend les airs !
Sa raison plut, et sembla bonne.
Elle fait si bien qu'on lui donne
Liberté de se retirer.
Deux jours après, notre étourdie
Aveuglément se va fourrer
Chez une autre Belette aux Oiseaux ennemie.
La voilà derechef (5) en danger de sa vie.
La Dame du logis avec son long museau
S'en allait la croquer en qualité d'Oiseau,
Quand elle protesta qu'on lui faisait outrage :
Moi pour telle passer ! vous n'y regardez pas :
Qui (6) fait l'oiseau ? C'est le plumage.
Je suis Souris : vivent les Rats ;
Jupiter confonde les Chats.
Par cette adroite repartie
Elle sauva deux fois sa vie.

Plusieurs se sont trouvés, qui d'écharpe changeants (7),
Aux dangers, ainsi qu'elle (Cool, ont souvent fait la figue (9).
Le sage dit, selon les gens :
Vive le Roi ! vive la Ligue. (10)


(*) Source : Ésope : "La chauve-souris et les belettes",
traduite en latin dans le recueil de Nevelet.
Chez Ésope, c'est comme "souris" que la chauve-souris,
se décrit en premier.

(1) appellation fausse
(2) depuis longtemps
(3) naturellement
(4) ma nature
(5) de nouveau
(6) qu'est-ce qui
(7) accord du participe présent au XVIIème l'écharpe :
"on s'en sert souvent pour marquer et distinguer
les partis" (Dict. de Furetière)
(Cool la chauve-souris
(9) faire la figue à ... : se moquer de, défier.
(10) il n'était pas rare à cette époque de voir les
grands changer de camp.
(Croyez-vous que cela ait tellement changé ? ...)
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Message par crodan00 Ven 4 Sep - 5:02

La Chauve-souris, le Buisson et le Canard


Jean de la Fontaine Chaubu10


Le Buisson, le Canard et la Chauve-Souris,
Voyant tous trois qu'en leur pays
Ils faisaient petite fortune,
Vont trafiquer au loin, et font bourse commune.
Ils avaient des comptoirs, des facteurs (1), des agents
Non moins soigneux qu'intelligents,
Des registres exacts de mise (2) et de recette.
Tout allait bien, quand leur emplette,
En passant par certains endroits,
Remplis d’écueils, et fort étroits,
Et de trajet très difficile,
Alla tout emballée au fond des magasins
Qui du Tartare sont voisins.
Notre Trio poussa maint regret inutile,
Ou plutôt il n'en poussa point.
Le plus petit Marchand est savant sur ce point ;
Pour sauver son crédit, il faut cacher sa perte.
Celle que, par malheur, nos gens avaient soufferte
Ne put se réparer : le cas fut découvert.
Les voilà sans crédit, sans argent, sans ressource,
Prêts à porter le bonnet vert (3).
Aucun ne leur ouvrit sa bourse.
Et le sort (4) principal, et les gros intérêts,
Et les Sergents (5) et les procès,
Et le Créancier à la porte,
Dès devant la pointe du jour,
N'occupaient le Trio à chercher maint détour,
Pour contenter cette cohorte.
Le Buisson accrochait les passants à tous coups :
Messieurs, leur disait-il, de grâce, apprenez-nous
En quel lieu sont les marchandises
Que certains gouffres nous ont prises
Le Plongeon (6) sous les eaux s'en allait les chercher.
L'Oiseau Chauve-Souris n'osait plus approcher
Pendant le jour nulle demeure ;
Suivi de Sergents à toute heure,
En des trous il s'allait cacher.
Je connais maint detteur qui n'est ni Souris-Chauve,
Ni Buisson, ni Canard, ni dans tel cas tombé,
Mais simple grand seigneur, qui tous les jours se sauve
Par un escalier dérobé.



La misère des endettés, voilà le thème de la fable du jour.
La source est Esope : "la chauve-souris, la ronce et la mouette" ( Nevelet p.124)
"On est tenté d'y voir une allusion, comme toujours indirecte et pudique, aux difficultés d'argent que connut L.F. dans ses dernières années" (M. Fumaroli, L.F., fables)
Les trois malchanceux attirent la sympathie, et leur malheur suscite l'apitoiement. L.F. redevient ironique, à la fin seulement, en parlant des grands seigneurs

(1) commis qui sert un grossiste
(2) dépense : dans un compte, il y a 2 parties : les mises
et les recettes
(3) c'est avoir fait cession de ses biens à ses créanciers
(4) le fonds
(5) les huissiers
(6) chez les devanciers de L.F. , le plongeon tenait la place du canard. "Le plongeon est un oiseau qui
approche du canard", dit Furetière
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Message par crodan00 Sam 5 Sep - 5:09


LE CHÊNE ET LE ROSEAU


Jean de la Fontaine Cheros10



Le Chêne un jour dit au roseau :
Vous avez bien sujet (1)d'accuser la Nature ;
Un Roitelet pour vous est un pesant fardeau.
Le moindre vent qui d'aventure (2)
Fait rider la face de l'eau,
Vous oblige à baisser la tête :
Cependant que mon front, au Caucase pareil,
Non content d'arrêter les rayons du soleil,
Brave l'effort de la tempête.
Tout vous est aquilon ; tout me semble zéphir (3).
Encor si vous naissiez à l'abri du feuillage
Dont je couvre le voisinage,
Vous n'auriez pas tant à souffrir :
Je vous défendrais de l'orage ;
Mais vous naissez le plus souvent
Sur les humides bords des Royaumes du vent.
La Nature envers vous me semble bien injuste.
Votre compassion, lui répondit l'Arbuste ,
Part d'un bon naturel ; mais quittez ce souci.
Les vents me sont moins qu'à vous redoutables.
Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici
Contre leurs coups épouvantables
Résisté sans courber le dos ;
Mais attendons la fin. Comme il disait ces mots,
Du bout de l'horizon accourt avec furie
Le plus terrible des enfants
Que le Nord eût porté jusque-là dans ses flancs.
L'Arbre tient bon ; le Roseau plie.
Le vent redouble ses efforts,
Et fait si bien qu'il déracine
Celui de qui la tête au ciel était voisine,(4)
Et dont les pieds touchaient à l'empire des morts.(5)



Les sources de la fable se trouvent chez Esope : Le roseau et l'olivier, et chez Aphtonius, toutes deux présentes dans le recueil Nevelet.

Cette fable est un chef-d'oeuvre , et La Fontaine lui-même la mettait au rang de ses meilleures, au dire des écrivains qui ont fait son éloge.
Le plan en est très clair : Le discours du chêne, celui du roseau, enfin l'ouragan.
"Le vent ouvre et ferme le livre I des Fables, bise glacée interrompant le chant de la cigale, aquilon vengeur jetant à bas la superbe d'un chêne trop sûr de lui ........A partir du Livre IV, les vents interviennent plus précisément comme les aléas qui menacent une société conquérante, avide de développement et d'expansion, et non plus le chêne, comme figure permanente de l'orgueil, ou la cigale comme modèle éternel de l'imprévoyance." (Pierre Malandain "la fable et l'intertexte" Coll. Temps Actuels);
Nous pouvons méditer cette opinion de
Taine :
"La Fontaine, pour mieux frapper les orgueilleux, donne au chêne un ton de protection insolente et le jette aux pieds de celui que sa bienveillance voulait humilier"
Le destin du chêne et du roseau est celui des grands et des petits, comme le montre l'illustration jointe :


(1) des motifs pour...
(2) par hasard
(3 l'aquilon est un vent du nord, violent et froid, le zéphyr un vent léger et agréable.
(4) celui dont la tête était voisine du ciel
(5) Plusieurs expressions sont tirées de Virgile dans cette fable. Déjà, La Fontaine faisait allusion à l'image finale dans la quatrième lettre à sa femme, de son voyage en Limousin, lorsqu'il parle des tours du château
d'
Amboise :
" Elles touchent, ainsi que les chênes dont parle Virgile"

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Message par crodan00 Dim 6 Sep - 5:05

LE CHEVAL ET L’ÂNE


Jean de la Fontaine Chevan10


En ce monde il se faut l'un l'autre secourir.
Si ton voisin vient à mourir,
C'est sur toi que le fardeau tombe.

Un Âne accompagnait un Cheval peu courtois,
Celui-ci ne portant que son simple harnois,
Et le pauvre Baudet si chargé qu'il succombe.
Il pria le Cheval de l'aider quelque peu :
Autrement il mourrait devant qu'être (1) à la ville.
La prière, dit-il, n'en est pas incivile : (2)
Moitié de ce fardeau ne vous sera que jeu.
Le Cheval refusa, fit une pétarade ; (3)
Tant qu'il vit sous le faix mourir son camarade,
Et reconnut qu'il avait tort.
Du Baudet, en cette aventure,
On lui fit porter la voiture, (4)
Et la peau par-dessus encor.


Sources : Esope, Le cheval et l'âne. (Nevelet, p.188)

(1) avant d'être
(2) impolie
(3) ruade accompagnée de pets
(4) la charge des charrettes


La nécessité de l'entr'aide est très présente dans les fables
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Message par crodan00 Lun 7 Sep - 4:18

LE CHEVAL ET LE LOUP


Jean de la Fontaine Chvalo10


Un certain loup, dans la saison
Que les tièdes Zéphyrs ont l'herbe rajeunie,
Et que les Animaux quittent tous la maison,
Pour s'en aller chercher leur vie,
Un Loup, dis-je, au sortir des rigueurs de l'hiver,
Aperçut un Cheval qu'on avait mis au vert.
Je laisse à penser quelle joie !
Bonne chasse, dit-il, qui (1) l'aurait à son croc (2).
Eh! que n'es-tu Mouton ? car tu me serais hoc (3) :
Au lieu qu'il faut ruser pour avoir cette proie.
Rusons donc. Ainsi dit, il vient à pas comptés,
Se dit écolier d'Hippocrate ;
Qu'il connaît les vertus et les propriétés
De tous les simples de ces prés,
Qu'il sait guérir, sans qu'il se flatte,
Toutes sortes de maux. Si Dom Coursier (4) voulait
Ne point celer (5) sa maladie,
Lui Loup gratis le guérirait ;
Car le voir en cette prairie
Paître ainsi, sans être lié,
Témoignait quelque mal, selon la Médecine.
J'ai, dit la bête chevaline,
Une apostume (6) sous le pied.
Mon fils, dit le Docteur, il n'est point de partie
Susceptible de tant de maux.
J'ai l'honneur de servir Nosseigneurs les Chevaux,
Et fais aussi la Chirurgie.
Mon Galant ne songeait qu'à bien prendre son temps,
Afin de happer son malade.
L'autre qui s'en doutait lui lâche une ruade,
Qui vous lui met en marmelade
Les mandibules et les dents.
C'est bien fait (dit le loup en soi-même fort triste)
Chacun à son métier doit toujours s'attacher.
Tu veux faire ici l'Arboriste (7),
Et ne fus jamais que Boucher.


Cette fable vient d'Esope "L'âne et le loup"
(recueil Névelet) ;
D. Loayza traduit la fable d'Esope sous le titre :
"Le loup médecin" et la morale :
"Quand on se mêle de ce qui ne vous regarde pas,
on essuie à juste titre des revers"
(Esope, traduction D. Loayza, Flammarion)
Ici, le loup utilise la ruse au lieu de la force, il utilise le
boniment comme les charlatans. Il dégage lui-même
la leçon : "A chacun son métier".

(1) pour qui
(2) crochet auquel on suspendait la viande
(3) tu serais à moi (allusion à un jeu de cartes où
l'on dit "hoc" en jetant sur le tapis les cartes qui font gagner)
(4) titre d'honneur "seigneur cheval"
(5) cacher
(6) une tumeur, un abcès
(7) l'herboriste
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Message par crodan00 Mar 8 Sep - 3:16

LE CHEVAL S'ETANT VOULU VENGER
DU CERF (*)


Jean de la Fontaine Cheveg10


De tout temps les Chevaux ne sont nés pour les hommes.
Lorsque le genre humain de gland se contentait (1),
Âne, Cheval, et Mule, aux forêts habitait (2) ;
Et l'on ne voyait point, comme au siècle où nous sommes,
Tant de selles et tant de bâts,
Tant de harnois pour les combats,
Tant de chaises, tant de carrosses (3),
Comme aussi ne voyait-on pas
Tant de festins et tant de noces.
Or un Cheval eut alors différend
Avec un Cerf plein de vitesse,
Et ne pouvant l'attraper en courant,
Il eut recours à l'Homme, implora son adresse.
L'Homme lui mit un frein (4), lui sauta sur le dos,
Ne lui donna point de repos
Que le Cerf ne fût pris, et n'y laissât la vie;
Et cela fait, le Cheval remercie
L'Homme son bienfaiteur, disant : Je suis à vous,
Adieu. Je m'en retourne en mon séjour sauvage.
Non pas cela, dit l'Homme ; il fait meilleur chez nous :
Je vois trop quel est votre usage (5).
Demeurez donc, vous serez bien traité,
Et jusqu'au ventre en la litière.
Hélas! que sert la bonne chère
Quand on n'a pas la liberté !
Le Cheval s'aperçut qu'il avait fait folie ;
Mais il n'était plus temps : déjà son écurie
Etait prête et toute bâtie.
Il y mourut en traînant son lien.
Sage s'il eût remis une légère offense.
Quel que soit le plaisir que cause la vengeance,
C'est l'acheter trop cher, que l'acheter d'un bien
Sans qui les autres ne sont rien.



(*) Les sources viennent de la "rhétorique" d'Aristote
(II,20) qui avait choisi cette fable comme exemple
d'apologue approprié à l'orateur. Il la cite d'après
le poète Stésichore d'Himère. Le thème a été ensuite
repris par Gabrias, Phèdre ...

(1) Horace et Virgile citent le gland comme nourriture
des premiers hommes
(2) l'accord n'est fait qu'avec un seul sujet...
(3) tout ce qui est nécessaire à "l'utilisation" du cheval,
pour la guerre ou pour le luxe.
(4) un mors
(5) utilité
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Message par crodan00 Mer 9 Sep - 2:54

LE CHIEN A QUI ON A COUPÉ LES OREILLES


Jean de la Fontaine Chienc10


Qu'ai-je fait, pour me voir ainsi
Mutilé par mon propre maître ?
Le bel état où me voici !
Devant les autres chiens oserai-je paraître ?
Ô rois des animaux, ou plutôt leurs tyrans,
Qui vous ferait choses pareilles ?
Ainsi criait Mouflar, jeune Dogue ; et les gens,
Peu touchés de ses cris douloureux et perçants,
Venaient de lui couper sans pitié les oreilles.
Mouflar y croyait perdre : il vit avec le temps
Qu'il y gagnait beaucoup ; car étant de nature
A piller (1) ses pareils, mainte mésaventure
L'aurait fait retourner chez lui
Avec cette partie en cent lieux altérée ;
Chien hargneux a toujours l'oreille déchirée.
Le moins qu'on peut laisser de prise aux dents d'autrui
C'est le mieux. Quand on n'a qu'un endroit à défendre,
On le munit, (2) de peur d'esclandre : (3)
Témoin maître Mouflar armé d'un gorgerin,
Du reste ayant d'oreille autant que sur ma main ;
Un Loup n'eût su par où le prendre.


Le chien Mouflar semble être une victime de la tyrannie des hommes, mais... sa nature de chienx hargneux fait que cette mutilation se révèle perfectionner sa nature même d'agresseur en le protégeant des risques qu'il courait auparavant, le gorgerin (collier) contribue de plus à le rendre inattaquable... et... il n'est que l'instrument des instincts prédateurs de l'homme qui l'ont mis dans cet état ...

(1) mordre
(2) munir : pourvoir et fournir de toutes les choses qui sont nécessaires (Richelet)
(3) vieux mot qui signifiat autrefois un accident fâcheux (Furetière)
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